Pas tous égaux

Comme nous l’avons plusieurs fois répété, les crises actuelles – pour la plupart aux origines anthropiques – ont pour dénominateur commun notre propension à vouloir à tout prix faire perdurer un monde axé sur le profit immédiat. Au sens premier du terme, bien sûr, mais aussi en termes de confort (biens et services), et que seul une croissance économique soutenue peut nous garantir. La plus dramatique d’entre elles, si nous ne réussissons pas à inverser la vapeur, reste, bien entendu aussi, la crise climatique. Car une fois la limite franchie, à un instant X – par définition incalculable, mais caché quelque part dans les années à venir –, plus rien ne sera jamais comme avant. La planète basculera alors dans une longue ère de réchauffement, qui pourrait d’ailleurs avoir raison de notre espèce et de bien d’autres.
Pour autant, si cette sinistre prophétie se réalise, cela ne se fera évidemment pas en un jour. Car le dérèglement climatique n’est pas une déclaration de guerre, ni un virus, mais un phénomène qui s’inflitre dans nos vies de la manière la plus insidieuse et sournoise qui soit, c’est-à-dire lentement, très lentement. Histoire probablement de ne pas trop éveiller notre attention pendant que nous sommes occupés ailleurs. À produire et à acheter, à scruter nos mouvements bancaires, nos investissements. À s’offusquer des conséquences de la guerre en Ukraine, autrement dit évidemment des pertes de précieux dollars plus que de vies humaines. Continuant donc, dans le même temps, à polluer l’atmosphère et à remettre à demain la question climatique.
Sauf que… il n’y a déjà peut-être plus beaucoup de « demains ». Une fois le point de non-retour franchi, le climat s’emballera, et les catastrophes (tempêtes, ouragans, inondations, sécheresse, etc.) s’enchaîneront à un rythme soutenu. Avec une première évidence : aucune région du monde, aucune société, aucune population n’y échappera. Le seul problème, et c’est là une deuxième évidence, c’est que nous n’en paierons pas tous le prix au même moment. Certes, Dame Nature ne fait pas de distinction entre les espèces, pas plus que de religions ou de couleur de peau, car elle ne fait finalement que de répondre à une situation physique… et chimique conjoncturelle. Pour autant, nous ne serons malgré tout pas tous égaux devant de tels phénomènes.
Ainsi, les populations les plus exposées, dans un premier temps, seront (et sont d’ailleurs déjà) celles qui, il y a encore quelques années, souffraient déjà énormément des aléas climatiques, et ce, du fait notamment de leur position géographique et de la géologie de leur région. À l’instar du Bangladesh, par exemple, où la mousson a de tout temps occasionné un nombre incalculable de drames, mais qui promet, avec le réchauffement, d’accentuer le problème de manière exponentielle. Dans ces régions, les conséquences seront multiples. Crises sociales, accès limité à l’eau et à la nourriture, déplacements de populations, etc. Autant de calamités, donc, qui viendront s’ajouter à la force des éléments.
Le fait est que, au même moment, les régions du globe les plus riches, elles, pourront (plus ou moins) se prévenir de ces désastres. En tout cas dans un premier temps. Pour autant, elles ne pourront indéfiniment éviter les impacts sociaux. Ainsi le GIEC – dont les conclusions sont généralement jugées trop optimistes – décrivait-il, dans un récent « rapport synthèse », les risques d’accroissement des inégalités entre riches et pauvres, mais aussi entre hommes et femmes. Faisant ainsi référence à une augmentation de la pauvreté dans les régions vulnérables, aux violences sexuelles liées aux conflits armés du fait de déplacements de populations, aux destructions d’habitations, etc…
Malgré ces nouveaux avertissements, rien ne semble pourtant bouger. Les accords continuent de prendre la poussière dans les tiroirs, et le monde de conserver le statu quo, tout en s’auto-congratulant de la moindre timide (et inutile) avancée climatique. Cet immobilisme de nos grandes économies est assurément mû par une vision court-termiste. Avec un seul credo : qu’importe le passé, qu’importe l’avenir; seul le présent compte. En oubliant que nous sommes tous sur le même bateau, et que, cette fois, même les plus riches manqueront de canot de sauvetage lorsqu’il viendra à couler.

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