Trois naturalistes, trois hommes d’exception, trois destins

PIERRE DE BOUCHERVILLE BAISSAC

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Président

Société Royale des Arts et des Sciences de Maurice

En 2018 la Société Royale des Arts et des Sciences de Maurice célébra les 200 ans de la naissance du Colonel Nicolas Pike. En 2019 elle célébra les 300 ans de la naissance de Pierre Poivre. Cette année la Société Royale célèbrera les 250 ans de la mort de Philibert Commerson.

Qui étaient donc ces hommes, quels étaient leurs qualités, leurs métiers, leurs mérites et leurs accomplissements qui ont valu les honneurs de la Société Royale ?

Avant de répondre à ces questions il est probablement nécessaire de lire l’extrait suivant du discours du Président d’alors de la Société Royale, le docteur Octave Wiehe, lors de la séance anniversaire du 17 août 1966 :

« Nos prédécesseurs du siècle dernier ne se doutaient malheureusement pas dans quelle mesure la nature serait profanée au cours du vingtième siècle…. (dans ces lieux) où ne subsistent plus maintenant que de minces lambeaux de végétation autochtone, derniers refuges d’espèces endémiques, hautement spécialisées et adaptées à leur environnement et dont l’étude jette un peu de lumière sur les innombrables énigmes de la vie. »

Voyons ce qui fit de ces trois hommes des personnages spéciaux.

Nicolas Pike (1)

Nicolas Pike est né le 26 janvier 1818 aux États-Unis d’Amérique. Il occupa, de 1852 à 1859, le poste de consul général des États-Unis au Portugal. Il s’engagea ensuite, avec le grade de colonel, dans les forces de l’Union durant la guerre de Sécession.

Déjà passionné d’histoire naturelle, il constitua une des premières collections de la flore marine des côtes d’Amérique du Nord.

En 1865 Nicolas Pike fut nommé Consul des États-Unis d’Amérique à l’Ile Maurice. Arrivé au pays, il devint très vite membre de la Société Royale des Arts et des Sciences de Maurice, fréquentant ainsi tous les scientifiques alors présents dans le pays.

Scientifique et naturaliste Pike parcourut l’île, découvrant, étudiant et collectionnant de nombreux spécimens de coraux, de poissons, d’escargots, de champignons, d’oiseaux et d’algues marines, contribuant ainsi à l’avancement de l’histoire naturelle de Maurice.

Il publia de nombreuses communications scientifiques sur la géologie, les mollusques terrestres, les poissons et l’histoire naturelle des oiseaux dans les Transactions de la Société Royale, journal dans lequel il fit aussi la description de l’île Ronde (2).

Pike occupa son poste jusqu’à 1873, date à laquelle il retourna aux États-Unis. Là il publia son livre SubTropical Rambles in the land of the Aphanapteryx, une œuvre qui reste de nos jours sa publication phare, dans laquelle il fit des descriptions détaillées sur divers lieux du pays, sur les religions, mœurs et coutumes du pays ainsi que de nombreuses descriptions du pays, sur sa flore et sa faune ainsi que ses deux visites de l’île Ronde.

Pendant son séjour à Maurice, Pike accumula une vaste collection de plusieurs centaines de spécimens de poissons de mer et de rivière du pays qu’il emporta avec lui à son départ. Cette précieuse collection est aujourd’hui logée au Muséum d’Histoire Naturelle de l’Université de Harvard dans le Massachusetts.

L’épouse de Pike produisit une très belle collection de peinture de ces poissons qui est aujourd’hui logée au Natural History Museum de New York.

Nicolas Pike incarne le savant naturaliste du 19ème siècle. Grâce à lui de nombreuses traces et descriptions de l’île de cette époque nous sont parvenues, ses collections et plusieurs données scientifiques faisant toujours référence.

Aujourd’hui, le nom de Nicolas Pike est inscrit sur l’Obélisque Liénard, monument appartenant à la Société Royale et se trouvant au Jardin de Pamplemousses, un hommage à sa contribution envers l’avancement scientifique et la connaissance de notre flore et faune endémique.

Pierre Poivre (3)

Les XVIème et XVIIème siècles européens furent une immense période de voyages de conquête, d’aventure et de découverte. De nouvelles terres, de nouvelles végétations et de nouveaux peuples furent découverts aiguisant la curiosité et la réflexion des savants.

Ainsi, de nombreux naturalistes furent embarqués pour ces voyages pendant lesquels ils collectèrent, inventorièrent, dessinèrent et développèrent de nouvelles idées et méthodes de classification des espèces animales et végétales, ouvrant ainsi de vastes horizons scientifiques concernant les richesses de la flore et la faune.

Émane alors, dès les 17ème et 18ème siècles, un important courant européen de réflexion donnant lieu à l’apparition de sociétés savantes tels que l’Académie des Sciences de Paris créée en 1666 et encore celle de Lyon créée en 1700, de jardins botaniques, de savants et scientifiques, de muséums d’histoire naturelle.

Il en résultat un grand besoin de jardiniers, d’horticulteurs, de spécialistes en identification et de classification des espèces, encourageant la professionnalisation des sciences, surtout des sciences naturelles, dont de grands savants tels que les frères Bernard et Antoine de Jussieu et Georges Buffon, Pierre Poivre, familier de ces réseaux, déjà membres d’Académies scientifiques, ainsi que Philibert Commerson.

Poivre, arrivé à Maurice, prit immédiatement un nombre de mesures pour protéger l’agriculture et l’environnement naturel dont dépendait la production agricole (4). Nous en citerons seulement deux :

Le 24 octobre 1767 Poivre promulgue une ordonnance pour la protection de l’oiseau introduit, le martin, qui contrôlait avec beaucoup d’efficacité les sauterelles ravageuses des champs et cultures de la colonie, introduisant ainsi le concept du contrôle biologique d’une espèce envahissante par une autre espèce.

En 1769 Poivre réglementa le déboisement des montagnes et des rivières par la toute première et la plus visionnaire des lois pour la protection écologique en promulguant le Règlement Economique, la toute première loi au monde à faire le lien direct de cause à effet entre le déboisement et la réduction de la pluviosité, en d’autres mots le changement climatique (5).

Pierre Poivre fut ainsi un grand précurseur de l’écologie, le vrai catalyseur de l’environnementalisme français, démontrant ses qualités extraordinaires de visionnaire. Ainsi, Pierre Poivre figure sur l’Obélisque Liénard.

Philibert Commerson (6)

 Bien que destiné au notariat familial, Commerson sent brûler en lui, initié et encouragé par ses maîtres d’école depuis sa jeunesse, la passion et une vocation irrésistible de la botanique. Commerson, devenu médecin en 1754, développe un réseau étendu de correspondants dans son domaine de prédilection, l’étude des plantes.

En 1767, il rejoint l’expédition de Bougainville, la première circumnavigation française officielle, en tant que médecin et naturaliste du Roi, motivé par sa « vive passion que j’ai toujours eue pour les choses grandes et difficiles ». Sur le chemin de retour l’expédition fait escale à l’île de France où Poivre, alors intendant, l’y attendait. Il débarque prenant avec lui ses collections d’herbiers.

Commerson se met à l’œuvre tant à Maurice, qu’à Madagascar et à la Réunion (7). Il mourra le 13 mars 1773 à la Retraite sans être jamais retourné en France. Il lèguera une collection considérable d’herbiers méritant le commentaire suivant : « Commerson a fourni à la botanique le plus large contingent d’espèces nouvelles que j’ai jamais connu. » Il figure aussi sur l’Obélisque Liénard.

Ainsi, les vies si actives et les œuvres si vastes de ces trois hommes ne peuvent se résumer en quelques lignes. Mais elles prennent en contrepoids, par la vaste connaissance de notre histoire naturelle, de nos espèces animales et végétales uniques, des écosystèmes vulnérables et fragiles de notre pays qu’elles nous lèguent, ce texte cité plus haut : « Nos prédécesseurs du siècle dernier ne se doutaient malheureusement pas dans quelle mesure la nature serait profanée au cours du vingtième siècle ». C’est, malheureusement, bien nous qui ne nous doutons toujours pas.

La Société Royale des Arts et des Sciences de Maurice, dont les origines remontent à la Société d’Histoire Naturelle de Maurice fondée en 1829, a pour but d’étudier, d’informer et de diffuser les connaissances scientifiques et artistiques avec comme objectif final l’assurance d’un avenir meilleur pour notre pays.

C’est donc pour cela que la Société Royale décida, au-delà de l’inscription de leurs noms sur l’Obélisque Liénard, d’honorer la mémoire de ces trois grands naturalistes et l’importance de leurs travaux, tout particulièrement de nos jours par rapport à l’actualité du dérèglement climatique, de la pénurie d’eau, de l’érosion côtière, la déforestation, et la perte de notre biodiversité qui nous menacent gravement aujourd’hui.

Notes

1. Dr Job L. DITTBERNER, biographer of Col. Nicolas Pike 2018 “Col. Nicolas Pike, Homme
Extraordinaire
”. RSAS conference on Pike

2. Pike, Nicolas 1868-1873 Transactions Royal Society of Arts and Sciences of Mauritius.

3. Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts (Lyon) 2022 ; Pierre Poivre 1719-1786 L’Intendant des Mascareignes.

4. Pierre de B. Baissac 2019 L’impératif écologique de Pierre Poivre in. Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts (Lyon) 2022 ; Pierre Poivre 1719-1786 L’Intendant des Mascareignes.

5. Pierre de B. Baissac 2019 Pierre Poivre and the Règlement Economique, Where are we now ? Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts (Lyon) 2022 ; Pierre Poivre 1719-1786 L’Intendant des Mascareignes.

6. Dr. Alfred Orian 1973. La vie et l’œuvre de Philibert Commerson des Humbers. The Mauritius Printing Cy Ltd.

7. Allorge, Lucile. 2018.La fabuleuse odyssée des plantes. JC Lattès, France.

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