Un combat de tous les instants

Les résultats de récentes études d’opinion ont démontré que nos compatriotes se sentent, pour beaucoup, plus mauriciens qu’appartenant à un groupe ethnique particulier. D’autres chiffres montrent, par contre, qu’au lieu de progresser dans le vivre ensemble et dans la reconnaissance d’une identité commune et partagée, ils restent assez nombreux aussi à cultiver un instinct grégaire et à pratiquer l’entre-soi.

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Ces observations, certes instructives, mais ni inédites ou particulièrement révolutionnaires, ont provoqué une sorte d’emballement chez certains observateurs qui ont vite fait de conclure que l’on avait atteint une unité nationale à toutes épreuves et que le peuple est en avance sur la “classe politique”.

Vraiment ? Il y a des sondages de circonstance et des photographies d’un moment de la vie d’une nation qui peuvent être rassurants, comme ils peuvent aussi se révéler inquiétants. Mais il y a surtout les sondages grandeur nature que sont les élections, générales surtout. Et là, il y aurait beaucoup à dire sur le sens de “enn sel lepep enn sel nasyon”.

Avec l’émergence du MMM à la fin des années 60/début 70, il y eut une prise de conscience de la notion du mauricianisme, de l’importance de la langue-ciment qu’est le kreol, le morisien, et de la nécessité de ne rien faire qui affaiblisse l’unité nationale. Ce fut le temps de l’élection d’un Dev Virahsawmy dans le bastion de Sir Seewoosagur Ramgoolam à Pamplemousses/Triolet. La prémisse pleine de promesse de notre histoire post-coloniale.

Cet élan, ce rêve d’un pays qui reste toujours soudé face aux tentatives de division et de repli sectaire, se poursuivra aux élections de 76, lorsque l’idéologie sera le seul socle commun des laissés-pour-compte de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

C’est ce qui explique que des conseillers municipaux comme Rajiv Servansigh ou Noel Lee Cheong Lem arrivaient à se faire élire dans des arrondissements de la capitale qui ne correspondaient pas du tout au profil type qui était jusque-là proposé à l’électorat.

Si 1982 et les 60/0 ont été le prolongement ou le paroxysme de cette période glorieuse et le Champ de mars du 20 juin, le dernier grand rendez-vous historique d’une parfaite communion entre des élus et la population, 1983 plongera le pays dans des travers dont il ne s’est jamais vraiment relevé.

Le peuple en avance sur la classe politique ? On veut bien le croire, mais on a amplement pu vérifier cette hypothèse et la réponse n’a pas toujours été celle qui est attendue du peuple réputé admirable. Il est reproché aux partis de ne pas être en phase avec les attentes supposées avant-gardistes de la population, mais quelle a été la réponse populaire à chaque fois qu’un parti a osé casser les codes et sortir des lieux communs ?

Un rejet relatif, puis de plus en plus clairement exprimé. Paul Bérenger, Premier ministre entre 2003 et 2005, a essayé à quatre reprises – 1983, 2005, 2010 et 2019 – de briser les tabous. Il a échoué et a fini par renoncer.

Aux dernières élections générales, les mauves se sont présentés seuls aux élections, comme en 1976 et en 1983, ce qui n’est arrivé à aucun autre parti depuis l’Indépendance et ils ont, en plus, eu l’audace de proposer des profils atypiques dans des circonscriptions rurales.

Le résultat : non seulement, ces candidats ont été battus mais d’autres, ailleurs, ont été punis pour cette démarche jugée trop osée. Voilà pourquoi s’il est indispensable de tenir compte du sentiment de la population et que les jeunes, pas tous, malheureusement, sont plus enclins à faire l’impasse sur la communauté des candidats, il faut être réaliste dans le constat, tout en continuant à œuvrer pour que ce soit le mérite et la qualité d’un candidat qui soient les seuls critères d’un choix raisonné.

La coïncidence a voulu que le verdict dans l’affaire de Resistanz ek Alternativ tombe quelques jours après la publication des sondages sur les Mauriciens et leur attitude vis-à-vis de leur pays. Cruel paradoxe. Si ce peuple était vraiment en avance sur la classe politique, il aurait, depuis longtemps, choisi des candidats de cette formation plutôt que ces nombreux totems communaux présentés par certains partis politiques.

Le combat de ReA a commencé depuis longtemps. Les membres de ce parti veulent se présenter aux élections générales en se déclarant mauriciens et non sur la base de l’appartenance à une communauté.

Après les observations du comité des Nations Unies sur l’iniquité qui consiste à priver un citoyen de son droit à la députation parce qu’il ne veut pas se déclarer d’une communauté spécifique, il y eut, en attendant une réforme électorale, le Constitution (Declaration of Community) (Temporary Provisions) Bill voté en juillet 2014, ce qui avait permis à des candidats de ne pas avoir à déclarer leur communauté.

Malgré les appels lancés par d’autres partis pour qu’un nouvel amendement soit proposé en 2019, Pravind Jugnauth et son MSM avaient refusé, ce qui avait privé Ashok Subron et ses amis de toute participation aux élections. Un déni de démocratie.

Prendre les conclusions de deux sondages comme un graal qui nous prémunirait à jamais contre les affres de la division est un pari osé. Les faits au quotidien nous ramènent, hélas, rapidement sur terre. Le combat n’est donc pas terminé, loin s’en faut. Il doit être de tous les instants.

P.S. Le Premier ministre, qui a lui-même mortellement fauché un piéton en 1996, a jugé opportun de commenter l’accident impliquant Adrien Duval, lors de la célébration officielle de la journée des personnes âgées, hier. C’est non seulement méprisable qu’il continue de commenter des affaires relevant de la police lors de ses sorties publiques, mais le pire c’est qu’il choisit des cibles politiques et qu’il tienne des propos partisans. Puisqu’il s’est posé en garant des bonnes mœurs, il aurait dû profiter et glisser aussi un petit commentaire sur son député Kenny Dhunoo, le tapeur d’infirmier étranger.

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