Portraits d’ex-lauréats : le col romain à la place du col blanc

Rentrer au pays pour servir son pays. Tel est le dessein de beaucoup de jeunes et de jeunes boursiers notamment, qui, après de longues années d’études à l’étranger, décident de retourner au pays. Loin des métiers col blanc — auxquels les lauréats sont généralement prédestinés —, il y a aussi ceux qui ont choisi de porter le col romain et de servir leur pays autrement. Un parcours que l’on pourrait qualifier de surprenant, voire d’atypique pour des jeunes de notre ère d’hyperconsommation et d’hyperconnexion. Week-End est allé à la rencontre d’Alexandre Donat, lauréat de la cuvée 2015, Youth Worker pour le diocèse anglican de Maurice, s’apprêtant à partir à Singapour pour ses études en théologie, et Cédric Lecordier, lauréat de la cuvée de 2008, jésuite et diacre à la paroisse de Mahébourg, en fin de parcours d’études en théologie.

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La proclamation des lauréats de la cuvée 2023 s’est tenue, mercredi, et ils ont été nombreux à partager leurs projets d’avenir. Du haut de leurs 18, 19 ou 20 ans, beaucoup pensent entamer de belles études universitaires, débouchant sur une belle carrière toute tracée avec un white collar job. Et pourtant, certains ont décidé de faire autrement et de suivre leur cœur. Alexandre Donat en fait partie.

Âgé de 27 ans et des poussières, ce jeune homme détenteur d’un Master en génie aéronautique de l’Imperial College London est rentré au pays l’année dernière pour se mettre au service de l’église anglicane de Maurice. Un changement de trajectoire drastique pour certains, mais un alignement spirituel et personnel pour Alexandre Donat et ses proches.

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En effet, en 2016, il est sacré lauréat de la filière technique pour le collège Royal de Port-Louis (RCPL). La même année, son frère, un an plus petit que lui et lui aussi étudiant au RCPL, sera aussi lauréat de la filière scientifique. « J’ai fait une troisième année, car je savais que je ne m’étais pas vraiment donné à 100% la première fois. C’est comme cela que mon frère et moi avons été sacrés lauréats en même temps, mais nous ne sommes pas jumeaux », nous précise-t-il en un éclat de rire.

Détachementdu monde matériel
Alexandre Donat est d’un calme olympien. S’exprimant clairement, il a le contact facile. D’ailleurs, depuis son retour au pays en août 2023, il passe ses journées aux côtés des jeunes de l’église ou se prépare pour son voyage d’études en théologie à Singapour, au terme duquel il sera ordonné diacre, puis prêtre.
Une évidence pour le jeune homme, qui nous confie pourtant avoir eu une adolescence rebelle, et ce, malgré la présence d’un grand-père et d’un arrière-grand-père prêtres ! « J’étais athée pendant quelques années, et c’est à 17 ans que ma foi chrétienne est devenue réelle », dit-il. Alexandre Donat nous confie qu’à cet instant, il a senti ce besoin de se détacher du monde et des possessions matérielles.

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Très proche des jeunes, il est attentif à leurs griefs et à leurs craintes. « Il y a beaucoup d’influence des réseaux sociaux sur les jeunes. Beaucoup pensent par exemple que le seul moyen de réussir c’est de gagner beaucoup d’argent et de faire comme tous ceux qui montrent leur luxe en ligne, mais il y a bien plus que cela », dit-il. « L’argent ne fait pas le bonheur », souligne-t-il, tout en ajoutant qu’il est important pour les jeunes de se retrouver. « Évidemment, je ne demande pas à tout le monde de devenir prêtre, mais de privilégier des échanges sains et un mode de vie saine. Je vous partagerai une ligne de la bible qui vous dit d’aimer votre ennemi, et croyez-moi, je ne suis pas idéaliste en vous disant que cela marche. »
À l’annonce de son souhait de devenir prêtre, « mon frère l’a bien accueillie, mais mon père, mon number one fan, a lui pris quelques mois ! Mais il nous a toujours soutenus, encore plus après le décès de ma mère, à une semaine de mes 16 ans », dit-il. Aujourd’hui, Alexandre Donat a le cœur léger et est prêt pour reprendre ses études et se rapprocher encore plus de ce qui lui tient à cœur : sa foi inébranlable.

Simplicité et gratitude
Cedric Lecordier est lui aussi un ancien boursier de l’État qui a décidé de se consacrer au service des autres, à travers l’Église catholique. D’une humilité déconcertante, le diacre de la paroisse de Mahébourg, bien que reconnaissant de la chance qu’il a eue, semble un peu gêné de nous parler de cet épisode de sa vie. « Je suis un lauréat, mais pas un grand lauréat ! Je n’estime pas être l’exemple de la réussite académique dans toute sa splendeur », nous confie-t-il d’emblée. En effet, c’est en 2008 qu’il est sacré lauréat de la filière Arts au collège du Saint Esprit pour la cuvée 2007. Du haut de ses 18 ans, il estime aujourd’hui n’avoir pas eu suffisamment de maturité et de discernement pour prendre les meilleures décisions à ce moment de sa vie.

D’ailleurs pour l’anecdote, il nous raconte avoir pris connaissance de ses résultats alors qu’il était journaliste au Mauricien ! « Je ne pouvais pas ce jour-là couvrir cet événement, ne pouvant pas être sujet et auteur de l’article en même temps », dit-il. En effet, Cedric Lecordier, avec beaucoup de recul, voire de sagesse, nous confie aujourd’hui que c’est dans la simplicité qu’il a toujours eu envie de vivre. Conscient des opportunités qu’il a pu obtenir de par son environnement familial et autres, il garde les pieds sur terre. Et c’est sur le terrain, au contact des gens, qu’il a voulu grandir. « Quand j’étais plus jeune, j’ai même rêvé d’être journaliste de guerre », lance-t-il en s’esclaffant.

Finalement, c’est vers des études d’actuaire en Australie qu’il se tournera, sans trop y croire. Il décide de rentrer au pays après trois ans d’études et avec son diplôme de commerce et finance en poche, pour son parcours de discernement (entre-temps, Cédric Lecordier rejoint la rédaction du Mauricien pour deux années). Il commencera par la suite son noviciat jésuite en 2013 et entamera en 2015 ses études de cinq ans en philosophie et théologie. Après un stage à Marseille en 2020, en tant qu’éducateur dans un collège de banlieue, sa vocation au service des autres et de l’Église se confirme. « C’est d’ailleurs le milieu où je suis le plus heureux. C’est comme lorsque je travaillais dans un restaurant en Australie pendant mes études. Je faisais la vaisselle et parfois quelques salades, mais j’étais heureux de le faire aux côtés de mes amis, qui étaient des gens simples et extraordinaires. Ils comptent parmi les personnes les plus structurantes de ma vie en Australie », se souvient-il.

« …nous ne nous battons pas à armes égales »
Cédric Lecordier est en fin de son parcours d’études et rédige son mémoire de Master en théologie aux Facultés Loyola Paris. À la proclamation des lauréats, mercredi, il nous avoue avoir été touché par la déclaration des étudiants des collèges Lorette de Mahébourg et Keats, entre autres. « Je me suis dit que ces jeunes-là sont venus de loin pour arriver là. »

Par ailleurs, ayant lui-même bénéficié du système de bourses qu’il ne cautionne pas entièrement, il nous partage qu’il n’est pas tout à fait méritocratique, « car nous ne nous battons pas à armes égales ; nous ne bénéficions pas tous du même avantage socio-économique et du même accès à la culture ; bref, l’effort ne suffit pas toujours et moi, j’ai démarré la course avec une longueur d’avance. » Il pense que si les bourses de l’État continuent à être attribuées aux étudiants les plus méritants, le critère du mérite peut être davantage pondéré par d’autres données telles que le background social et économique des candidats.

Son rêve est de voir un jour un élève prendre part à un examen de General Paper en Kreol Morisien, par exemple. « Je rêve qu’il y ait au moins un papier de logique ou de compréhension de texte en Kreol Morisien pour tous les élèves, rien que pour voir le potentiel du raisonnement de nos jeunes dans leur langue maternelle. Il faut continuer à travailler à la démocratisation de ce système qui reste, selon moi, trop élitiste. » Cedric Lecordier, qui nous répète, avec humour, que « je n’ai pas cassé de montagnes en obtenant ce titre de lauréat », est aujourd’hui un adulte heureux. « Évidemment, je ne m’attends pas à ce que tous deviennent prêtres ou religieux, loin de là ! Mais je souhaite à chacun de donner du sens à ce qu’il fait, et ce, peu importe le domaine ou le travail qu’il choisit de faire. »

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