Le Directeur des Poursuites publiques, Me Rashid Ahmine, a logé, hier, une plainte constitutionnelle en Cour suprême contre la Financial Crimes Commission Act de 2023. Il demande à cette instance de décréter cette loi comme étant anticonstitutionnelle, car ce cadre légal ne fait que créer une commission de nominés politiques, usurpant du même coup ses pouvoirs en matière de poursuites au pénal. La plainte est dirigée contre l’État et l’Attorney-General.
Le DPP fait ressortir que sous la section 72 de la Constitution, il dispose de toute l’indépendance voulue pour initier des poursuites au pénal devant n’importe quelle Cour de justice, reprendre à son compte toute poursuite au pénal qui a été initiée par une autre personne ou entité ou mettre fin à ces poursuites.
Le DPP souligne qu’il est nommé par la Judicial and Legal Services Commission (JLSC) et jouit de la même Security of Tenure qu’un juge de la Cour suprême.
Le 19 décembre 2023, le Parlement avait voté la Financial Crimes Commission Act. Toutefois, à ce jour, aucune date n’a encore été fixée pour l’entrée en vigueur des dispositions de cette loi.
La section 4(3) de la FCC Act prévoit que : « subject to this Act, the Commission shall, in the discharge of its functions and exercise of its powers, not be under the direction or control of any person or authority ». La section 11(3) établit le poste de directeur-général de la FCC et fait état que ce dernier « shall, in the discharge of his functions and exercise of his powers, not be subject to the direction or control of any person or authority ».
Or, la section 72(6) de la Constitution fait état que : « in the exercise of the powers conferred upon him by this section, the Director of Public Prosecutions shall not be subject to the direction or control of any other person or authority. »
Pour le DPP, il est clair que cette loi supplante ces prérogatives en ce qui concerne les délits financiers en faveur de la FCC, ce qui contrevient à la section 1 de la Constitution, stipulant que Maurice sera un État souverain démocratique, et que dans cette optique, que le DPP soit indépendant.
Le DPP se pose aussi des questions sur l’indépendance et la Security of Tenure du directeur-général et des membres de la Financial Crimes Commission. En effet, la section 10 de la FCC Act prévoit que le directeur général sera nommé par le président de la république, agissant sur les conseils du Premier ministre. Ce dernier aura au préalable consulté le leader de l’opposition. Ce sera le Premier ministre qui déterminera les Terms and Conditions de sa nomination. Un scénario similaire est envisagé pour la nomination des autres membres de la Commission.
Le président, agissant sur les conseils du Premier ministre, pourra mettre fin à la nomination du directeur-général ou d’un membre de la Commission pour « misconduct, default or breach of trust in the discharge of his functions » ou s’ils ont commis un délit grave ou s’ils sont physiquement ou mentalement inaptes à assumer leurs fonctions.
Pour le DPP, il est clair que vu le rôle du Premier ministre dans la nomination du directeur général et des membres de la Commission et vu le fait qu’il pourra déterminer les Terms and Conditions de leur nomination, la Commission elle-même et son processus d’instituer des poursuites au pénal seront soumis à des influences ou à des considérations politiques.
Le DPP met l’accent dans sa plainte sur le fait que lui-même et les pouvoirs dont il dispose sont isolés de toute influence politique. « The prosecution of offences under the Act are too serious to be entrusted to the Commission – led by political nominees – without consulting the DPP. This is in contravention of section 72(3)(a) and section 1 of the Constitution », affirme le DPP.
La section 142 de la FCC Act prévoit que la Commission peut en effet initier une poursuite au pénal sous cette loi ou la Declaration of Assets Act. Elle prévoit aussi que ce pouvoir s’exercera sans préjudice au pouvoir du DPP de « take over, continue or discontinue such criminal proceedings » sous la section 72 de la Constitution.
Le DPP reconnaît qu’il y a des entités autres que lui qui ont le pouvoir d’initier des poursuites au pénal. Mais il fait ressortir qu’il ne devrait avoir aucun empêchement pour lui « to take over continue or discontinue such criminal proceedings ». Et pour cela, il doit avoir accès au dossier complet. Mais la FCC Act ne contient aucune obligation envers la Commission pour qu’elle fournisse au DPP le dossier complet, ce qui fait que ses pouvoirs de « take over, continue or discontinue such criminal proceedings » sont caducs.
Les sections 57 and 58 font état que la Commission peut abandonner une enquête. En cas de « discontinuance » par la FCC, le DPP pourra ne pas être informé de cette décision vu que la Commission n’est pas dans l’obligation de lui fournir le dossier. Ce qui implique qu’il sera privé de la possibilité d’exercer ses prérogatives pour instituer une poursuite au pénal sous la section 72 de la Constitution.
Un autre contentieux concerne le Compounding of Offences. Sous ce processus, une autorité établie sous une loi et quelqu’un qui contrevient à cette loi peuvent tomber d’accord sur un montant que le contrevenant doit payer, ce qui évite des poursuites en Cour par la suite. Or, sous plusieurs lois qui contiennent le processus de Compounding, le consentement du DPP est requis avant qu’il n’y ait Compounding. Parmi ces lois, il y a le Customs Act 1988, l’Income Tax Act 1996, le Value-Added Tax Act 1998 et le Companies Act 2001 entre autres.
Or, sous la section 150 du FCC Act, qui prévoit le processus de compounding pour tous les délits sous cette loi ou sous le Declaration of Assets Act, le consentement du DPP ne sera pas requis. Et une fois le compounding complété, avec la FCC et le contrevenant arrivant à un accord sur le montant à être payé par ce dernier, il ne pourra alors être question de poursuite par le DPP.
Pour le DPP, la FCC Act contrevient à ses prérogatives sous la section 72 de la Constitution par des Colourable Devices. Il crée une Distortion of the Criminal Process. Ce texte de loi viole l’esprit même de la Constitution, vu que les pères fondateurs n’avaient jamais envisagé que le DPP, titulaire d’un poste constitutionnel, serait évincé de son rôle portant sur le « overall constitutional control of the criminal process » par une commission mise sur pied par voie d’une Act of Parliament ordinaire, voté à majorité simple.
Le DPP conclut ainsi que : « the institution of a process under the control of a politically appointed Commission and its Director-General which is capable of ousting the Plaintiff’s right to prosecute or discontinue cases of corruption (including by politicians) where “he considers it desirable to do so” is undemocratic and inconsistent with the scheme of the Constitution as a whole . »
Il demande donc à la Cour suprême d’émettre un jugement déclaratoire à l’effet que la FCC Act contrevient aux sections 1 et 72 de la Constitution. Il maintient que la loi dans son intégralité est nulle et non avenue. Ou alternativement, de décréter nuls et non avenus
les sections 57(3)(b) et 58(8)(b), donnant à la FCC le pouvoir de « discontinue » une enquête), la section 142(1)(a), conférant à la FCC le pouvoir d’initier une poursuite au pénal, et
la section 150 (qui porte sur les pouvoirs de la FCC sur le compounding of offences).
Samedi dernier, lors d’une conférence de presse, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, avait confirmé qu’il avait été « consulté » par voie d’une lettre en date du 5 mars 2024 par le Premier ministre sous les sections 7 et 10 du FCC Act, concernant la nomination de Navin Beekarry en tant que directeur général de la Commission et la nomination de Narainkrishna Peerun, Abdool Carrim Namdarkhan, Jugdish Dev Phokeer et Marie Claudine Josiane Lilette Paya comme membres de la Commission.