(Archives) Silence, on achète : l’Etat se rend acquéreur de la clinique MedPoint pour Rs 145 M

Voici l’article par lequel l’affaire MedPoint a éclaté. Publié le 16 janvier 2011 dans les colonnes de Week-End, le texte trace les contours d’un scandale à en devenir. Car déjà est évoqué que l’achat par l’Etat de cette clinique surévaluée constitue « une opération qui vise à renflouer les affaires d’un proche du pouvoir ». Plus tard le samedi 29 janvier, Paul Bérenger révèlera que la clinique, estimée à Rs 144 millions, avait initialement été évaluée à Rs 75 millions.

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Ci-dessous l’article dans son intégralité :

  • C’est un projet qui, avec le Sun Trust, avait été l’objet des plus virulentes critiques de favoritisme et de passe-droit de la part du PTr

Comme prévu dans notre article . de la semaine dernière sous le titre “Silence, on achète » et faisant état de l’acquisition par la National Pension Fund de deux immeubles du Groupe Altima, Altima et Ebène Heights, pour Rs 780 millions, l’Etat a décidé de se rendre acquéreur de la clinique MedPoint à Phoenix pour Rs 145 millions.

Voilà ce que nous écrivions la semaine dernière : « Il y a les acquisitions et on annonce même celle imminente de la clinique MedPoint, en difficulté, sous prétexte qu’il y a urgence de  doter le pays d’un hôpital gériatrique, mais il y a aussi les cessions scandaleuses des terres de l’Etat ». C’est madame la ministre de la Santé, Maya Hanoomanjee, une des ministres du MSM qui est le plus proche du clan Jugnauth, qui l’a, elle-même, annoncé cette semaine.

La clinique MedPoint a été dès le départ (1991) un projet controversé. Et pour cause, c’est alors que sir Anerood Jugnauth est Premier ministre que son gendre, le Dr Krishan Malhotra, lance l’idée d’une clinique  privée. C’est le ministre de la Santé, le Dr Prem Nabasing, qui pose la première pierre de cet établissement, le 30 octobre 1992.

Un proche du PTr, le Dr Fez Kasenally, a, lui aussi, un projet similaire à Paillotte, sauf qu’on lui dit que le sien est rejeté et ne peut être accepté parce que trop proche du site réservé aux tirs de la SMF à Candos alors, qu’en réalité c’est le site de MedPoint qui est le plus rapproché.

L’affaire fait scandale. Sir Bhinod Bacha, Secretary  for Home Affairs , très influent auprès du Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, est pointé du doigt dans la responsabilité du boycott du projet Kasenally, mais il dément et renvoie la balle au Security Adviser, M. Taimni, et son adjoint, M. Sembjoo, qui est d’ailleurs le signataire d’une lettre au conseil municipal de Vacoas/Phoenix objectant à la réalisation du projet du Dr Fez Kasenally.

Les choses trainent jusqu’en 1995, année de la fin des travaux de construction de la clinique MedPoint, mais les dénonciations visant ce projet venant essentiellement des travaillistes pleuvent. Les rouges ont, depuis avril 1994, contracté une alliance avec le MMM.

Un des plus farouches opposants ou du moins le plus vocal quant aux méthodes du gouvernement MSM/RMM d’alors, le président du PTr, Kailash Purryag, citant ce projet et celui du Sun Trust ne disait-il pas à un rassemblement à Montagne-Longue, en octobre 1994, que « les prochaines élections générales se joueront entre l’alliance PTr/MMM et les millions de Jugnauth ».

Certains des dirigeants rouge avaient même trouvé louche, juste avant la construction de cette clinique et l’aménagement du premier hypermarché Jumbo de Roland Maurel, un des rares hommes d’affaires à avoir publiquement affiché ses couleurs politiques, celles de l’orange du MSM, la décision d’aménager  une toute nouvelle bretelle entre Sodnac et Phoenix et un rond point aujourd’hui connu d’ailleurs comme le rond-point Jumbo. Ils avaient soutenu que ce développement routier servait les intérêts non seulement de l’enseigne commerciale mais aussi ceux de la clinique MedPoint.

Le grand déballage de 1996

C’est donc  durant l’année mouvementée de 1995, entre la partielle de janvier à Rose-Hill/Stanley et les générales de décembre, avec le second  60/0 de l’histoire du pays, que la clinique MedPoint ouvre ses porte. Il y a quelques questions à l’Assemblée nationale, mais les réponses, on le devine, restent évasives.

Ainsi, à une question de Rajesh Bhagwan, fin mai 1995, le Premier ministre, Sir Anerood Jugnauth, dit que des étrangers n’ont pas besoin d’autorisation pour investir. Quant à savoir, comme le lui demande le député de Beau-Bassin/Petite-Rivière, quels sont les noms des expatriés qui ont investi dans le projet, le chef du gouvernement d’alors décrète que « ce n’est pas dans l’intérêt public » de divulguer ces noms.

Si c’était les informations au compte-gouttes avant décembre 1995, ce sera, par contre, le grand déballage après l’alternance et l’installation du premier gouvernement de Navin Ramgoolam. Les back-benchers du gouvernement PTr/MMM, Kishore Deepralsing, Lormesh Bundhoo, Veda Baloomoody ou encore Clarel Malherbes pour ne citer que ceux-là, se disputent les questions sur le Sun Trust et MedPoint.

En janvier 1996 déjà, le ministre des Finances qui est alors Rundheersing Bheenick, répondant à une interpellation, indiquera que ce sont Krishan et Shalini Malhotra de même que Pravind Jugnauth qui étaient les actionnaires initiaux de la clinique MedPoint mais que, par la suite, la State Investment Corporation (SIC) a investi Rs 5 millions et la State Insurance Corporation of Mauritius (SICOM) Rs 2 millions dans cette entreprise.

Le ministre des Finances devait aussi révéler que les exemptions dont a bénéficié la clinique MedPoint sous le Health Development Certificate, tant sur les matériaux de construction que sur les équipements médicaux, avaient totalisé Rs 6 millions. Ce qu’on sait à l’époque, c’est que c’est Sir Deo Dookun, père de l’actuelle ministre de la Sécurité sociale, Leela Devi Dookun-Luchoomun, qui est le président du conseil d’administration de MedPoint.

D’autres révélations vont suivre le fil des questions des back-benchers. Très volubiles, le Premier ministre autant que ses collègues vont s’étendre dans un luxe de détails, pour dénoncer le fait que Air Mauritius avait conclu un accord pour que son personnel soit soigné à la clinique MedPoint qui, pour s’étonner du fait que le Dr Malhotra avait obtenu la nationalité mauricienne, le 18 décembre 1995, soit deux jours avant les élections générales.

Cela n’empêchera pas les proches du Dr Malhotra de célébrer le premier anniversaire de la clinique, en février 1996. En présence de l’ancien PM, Sir Anerood Jugnauth, mais aussi en celle, remarquée, du président de la République d’alors, Cassam Uteem.

Après le deuxième anniversaire et le grand évènement qui consistait à baptiser deux services, la maternité Princess Diana, et celui des soins intensifs Mother Teresa, il y eut comme une impasse sur les activités de la clinique, sauf qu’il  y eut quelques accusations de cas de négligence et l’agression à l’acide de son directeur, Krishan Malhotra, en mars 1998. Bien qu’il reste aux commandes de l’établissement, en faisant le va-et-vient entre Londres et Phoenix, les activités ralentissent.

Teeren Appasamy en intermédiaire, Appollo en racheteur

Même si des informations circulent après le retour de Sir Anerood Jugnauth en 2000 faisant état du rachat de la clinique par le groupe indien Apollo par l’intermédiaire de l’homme  d’affaires Teeren Appasamy, les choses vont en rester là. Sans suite.

On n’entend pas parler de MedPoint jusqu’à l’arrivée du MSM au gouvernement en mai 2010. Les rumeurs d’un intérêt de l’Etat pour cet établissement vont vite se répandre et elles ne seront que renforcées deux mois plus tard lorsque la fermeture de la clinique est évoquée.

Ses quelque 21 travailleurs, en colère, se mobilisent pour essayer d’obtenir des indemnités. D’autant que selon ce qu’il leur a été dit, c’est que le centre est en rénovation et qu’il y a effectivement des travaux de relooking et de peinture. En fait, c’était pour mieux convaincre l’Etat, si besoin était, que c’était une bonne affaire que d’investir dans cet établissement devenu vraiment lugubre au fil des années.

L’affaire se corse lorsqu’un des créanciers décide, las d’avoir attendu d’être payé, de demander la mise sous administration judiciaire de MedPoint. Il s’agit de la pharmacie Méridionale qui réclame une somme de Rs 473 382  pour des factures impayées de médicaments fournis à la clinique.

Finalement, en septembre 2010, MedPoint accepte de régler sa dette auprès de la Pharmacie Méridionale. Il est bon de souligner que c’est l’avocat Ashock Jugnauth qui représentait, avec son collègue Me Seebaluck, les intérêts de MedPoint devant la Cour commerciale dans cette affaire.

Un connaisseur de ce genre de dossier nous signale aussi que si la clinique avait été mise en liquidation, sa valeur marchande aurait considérablement dégringolé et l’Etat ou tout autre intéressé auraient pu l’avoir pour bien moins que les Rs 145 millions que les contribuables vont casquer pour en faire une propriété publique.

En marge de ce dénouement, on parle aussi d’une anecdote concernant les véhicules de la clinique MedPoint. Le service de gardiennage assuré, selon les mauvaises langues, par SOS Guard ayant été réduit au minimum, compte tenu des difficultés financières de l’établissement de soins, c’est dans un endroit hautement sécurisé, celui où habite une personnalité, que les véhicules de secours étaient gardés lorsqu’ils n’étaient pas utilisés.

C’est pour abriter un centre gériatrique que l’Etat a décidé d’acheter MedPoint. Les habitués des services de santé ne sont pas du tout convaincus par cet argument et ils rejoignent ceux qui pensent que c’est une opération qui vise à renflouer les affaires d’un proche du pouvoir.

Ils citent les espaces libres qui existent à Candos dans la nouvelle aile récemment livrée et ils soutiennent qu’à l’heure de la décentralisation il n’y a aucune raison de parquer les vieux dans un seul établissement. Ils proposent que des wards dédiés aux personnes âgées soient aménagés dans le nouvel hôpital Jeetoo et dans tous les établissements régionaux.

Pourquoi une personne du troisième âge, qui habite Bramsthan, Cap-Malheureux, Deux-Frères, Quatre-Soeurs ou Le Morne, viendrait-il se faire soigner à Phoenix, loin de la famille et des siens? Bonne question que se posent les spécialistes du service public et dont la réponse reste encore à être donnée.

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