La crise Air Mauritius n’en finit pas de rebondir. Après avoir confirmé noir sur blanc la suspension des facilités de voyage à tarif réduit pour les retraités et employés engagés dans une action en justice contre la compagnie, le président Kishore Beegoo cristallise la colère. L’Air Mauritius Retirees Association (AMRA) dénonce une « double peine » infligée à des anciens salariés déjà poussés à la sortie en 2020. Et les contradictions dans les discours du président, qui avait lui-même reconnu publiquement que l’ancienne administration les avait contraints, accentuent le sentiment d’injustice.
Un départ forcé en 2020 : la blessure originelle
Tout commence au plus fort de la pandémie. Le 28 mai 2020, alors qu’Air Mauritius est placée sous administration volontaire, les employés les plus anciens reçoivent une proposition d’Early Retirement (ER). Le document présenté à l’époque est lourd de menaces. Il stipule :« The company will be likely to cease business, close down and dispose of its activities, due to “economic reasons” and will therefore be likely to go into liquidation. »
Les signataires comprennent que s’ils refusent, ils seront orientés vers le Redundancy Board et qu’ils risquent de tout perdre. Ils acceptent donc, contraints et forcés, de quitter la compagnie au 31 juillet 2020. Beaucoup comptent plus de 33 ans de service.Lors d’une conférence de presse le 1er juin 2020, l’administrateur Sattar Hajee Abdoula confirme cette lecture : « Ceux ayant complété 33 ans de service doivent partir. La liquidation est une possibilité réelle. »
Quatre ans plus tard, les faits prouvent que la liquidation n’a jamais eu lieu. Aucun employé permanent mauricien n’a été déclaré redondant. Certains retraités ont même été rappelés sous contrat à durée déterminée dès août 2020. Pour eux, c’est la preuve qu’ils ont été abusés.
2024 : les retraités portent l’affaire devant la justice
Le 14 août 2024, les anciens employés se regroupent au sein de l’AMRA et déposent une plainte devant la Cour industrielle. Dans leur acte de procédure, ils évoquent des « manœuvres dolosives » visant à les pousser vers une retraite anticipée injustifiée.
Leur argumentation repose sur plusieurs points :
• ils ont été trompés par des menaces de liquidation, jamais réalisées ;
• leurs postes ont été ensuite pourvus par de nouveaux employés, ce qui contredit l’engagement que leurs fonctions ne seraient pas remplacées ;
• ils auraient pu, si l’information avait été complète, choisir d’autres solutions temporaires (congé sans solde, travail à temps partiel).
Ils réclament des indemnités de licenciement équivalentes à une compensation de départ abusif.
Août 2025 : la polémique sur les privilèges de voyage
La polémique éclate en août 2025. Le 27 août,la presse révèleque MK envisagerait de supprimer les privilèges de voyage pour tout employé ou retraité poursuivant la compagnie en justice.
L’AMRA, choquée, adresse le lendemain une lettre officielleau président de MK. Dans ce courrier, signé par son président Ajit Kumar Gujadhur, on peut lire :
« The Executive Committee of the Air Mauritius Retirees Association (AMRA) has taken note of an article published today which suggests that staff travelling privileges may be withdrawn from any employee or retiree of Air Mauritius who initiates legal action against the Company. Given the seriousness of such a report and the anxiety it may cause among our members, we would be grateful if you could kindly confirm whether this information is accurate. »
29 août 2025 : la réponse écrite de Beegoo
La réponse tombe le 29 août à 07h59. Dans un mail laconique, Kishore Beegoo confirme :
« Confirm the company has taken a decision to suspend all privileges once a legal case is brought against it in court. »
Quelques heures plus tard, joint par téléphone par la presse, il réaffirme :
« C’est la politique de la compagnie. C’est un privilège et non un droit. Cette politique s’applique à tout le monde. Trop d’abus ont eu lieu dans le passé. »
Et d’ajouter que certains anciens directeurs, ayant quitté la compagnie depuis des années, continuaient à profiter indûment de ces avantages.
Une double peine selon l’AMRA
Pour l’AMRA, cette réponse est vécue comme une injustice flagrante. Dans une note envoyée à ses membres, l’association s’indigne :
• les retraités avaient déjà été contraints à quitter MK en 2020 dans des conditions abusives ;
• ils cherchent aujourd’hui réparation en justice ;
• au lieu d’un dialogue, la compagnie choisit de les sanctionner à nouveau en supprimant leurs avantages.
Ajit Kumar Gujadhur résume la position de l’AMRA : « Ce que nous vivons, c’est une double sanction. Ceux qui ont été contraints à partir sont aujourd’hui privés de leurs droits pour avoir exercé un recours légitime devant la justice. »
Beegoo et la ligne dure
Cette fermeté correspond à une posture que Beegoo a lui-même annoncée publiquement. Quelques jours plus tôt, à la radio, il avait prévenu :« Je serai intraitable. J’agirai en militaire. »Pour lui, maintenir des avantages à des personnes qui attaquent la compagnie en justice serait une contradiction inacceptable.Mais cette position soulève un paradoxe : il a lui-même reconnu que les administrateurs de 2020 avaient contraint du personnel expérimenté à la retraite. En admettant leur statut de victimes hier, il leur inflige une sanction aujourd’hui.
Un passé judiciaire qui revient hanter
La polémique est accentuée par l’histoire personnelle de Beegoo. Il avait lui-même, dans un passé récent, été en litige avec Air Mauritius. Sa société de fret avait fait l’objet d’une enquête et d’un procès. Après avoir obtenu gain de cause en appel, il avait conclu un arrangement financier à l’amiable avec MK, un pactole jamais rendu public.
Trois employés de la compagnie, accusés de connivence avec lui, avaient été suspendus puis licenciés. L’un d’eux, Sudh Ramjatun, a ensuite retrouvé une place comme consultant à ses côtés. Pour ses détracteurs, cet épisode illustre un double standard : celui qui avait tiré profit de son propre bras de fer avec MK refuse aujourd’hui le même droit à d’autres.
Un climat social explosif
L’affaire relance la défiance envers le management d’Air Mauritius. Pour de nombreux salariés actuels comme retraités, la compagnie apparaît comme autoritaire et punitive. La suspension des privilèges est vue comme un acte de représailles, non comme une politique de gestion. Un ancien cadre résume ainsi : « Ce n’est pas une politique de gouvernance, c’est une punition collective. Cela ne fait que raviver les blessures de 2020. »
Une crise qui devient politique
Vendredi 29 août, Paul Bérenger est monté au créneau. Pour lui, Air Mauritius et la Banque de Maurice sont désormais les deux dossiers les plus « urgents et graves » à résoudre avec le Premier ministre Navin Ramgoolam. Une rencontre est prévue dès cette semaine.« La situation à MK est vraiment très grave et urgente », a-t-il déclaré, ajoutant que les discussions se feront « dans le respect des prérogatives du Premier ministre et dans l’intérêt supérieur du pays ». Cette déclaration place le dossier Air Mauritius au cœur de l’agenda politique national.
Conclusion : un test pour la gouvernance
La confirmation écrite de Kishore Beegoo marque une rupture. En affichant sa ligne dure, il voulait montrer sa fermeté. Mais cette décision, loin d’apaiser, relance une crise sociale et accentue les contradictions de gouvernance.
Entre des retraités qui dénoncent une injustice, un président accusé de double standard et une opinion publique troublée, Air Mauritius s’enfonce dans une polémique qui dépasse désormais le seul cadre de la compagnie.
Pour Ramgoolam et Bérenger, la gestion de ce dossier sera un test. Non seulement pour l’avenir du transporteur national, mais aussi pour leur capacité à concilier justice sociale, crédibilité institutionnelle et redressement économique.
Hors-texte
Beegoo dans l’œil du cyclone : un tournant crucial pour sa carrière à Air Mauritius
Depuis son arrivée à la tête d’Air Mauritius, Kishore Beegoo s’était voulu l’homme de la rigueur, celui qui remet de l’ordre dans une compagnie meurtrie par une décennie de gestion contestée. Mais en confirmant la suspension des privilèges de voyage pour les retraités et employés qui contestent la compagnie en justice, il vient de franchir une ligne rouge.
Car l’affaire réunit désormais tous les ingrédients d’une tempête parfaite : colère sociale, contradictions personnelles, et pression politique. Sociale d’abord, car les retraités dénoncent une double peine : contraints à quitter la compagnie en 2020 sous menace de liquidation, ils sont aujourd’hui punis pour avoir osé réclamer justice. Personnelle ensuite, car Beegoo est rattrapé par son propre passé : celui qui avait, à travers sa société de fret, mené un bras de fer judiciaire contre MK – soldé par un arrangement financier jamais révélé – est accusé de pratiquer un double standard en refusant aux autres ce qu’il s’était accordé à lui-même. Politique enfin, car les leaders de l’alliance au pouvoir, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam, ont placé Air Mauritius parmi les dossiers les plus urgents et sensibles à résoudre « dans l’intérêt supérieur du pays ».
En se présentant comme « intraitable » et en promettant « d’agir en militaire », Kishore Beegoo a peut-être voulu projeter l’image d’un président fort. Mais il a surtout placé sa propre présidence au centre de la tourmente. Tout ce qu’il a déclaré hier – qu’il fallait reconnaître les injustices passées, qu’il fallait tourner la page de la gestion autoritaire – se retourne aujourd’hui contre lui.
Beegoo aborde ainsi une phase cruciale de sa carrière à MK : soit il parvient à transformer cette crise en démonstration de leadership équilibré, capable de concilier autorité et justice sociale ; soit il restera l’homme qui, en voulant incarner la discipline, aura rallumé les braises d’un conflit social et politique dont Air Mauritius avait le moins besoin. Dans l’un ou l’autre cas, il est désormais dans l’œil du cyclone.
Air Mauritius : « Une décennie de mismanagement ne s’efface pas en trois mois »
L’ancien CEO d’Air Mauritius, Megh Pillay, accueille avec prudence l’annonce d’un bénéfice trimestriel de Rs 252,7 millions, le premier depuis neuf ans. Selon lui, il s’agit d’une bonne nouvelle après des années marquées par les pannes d’appareils et les difficultés d’exploitation, mais les fondamentaux restent fragiles.
Il rappelle qu’en 2016, année de référence, la compagnie avait réalisé un bénéfice net record de Rs 1,4 milliard grâce à une gestion rigoureuse et une hausse du trafic passager. Aujourd’hui, malgré l’annonce d’un profit, Air Mauritius affiche encore un shareholder’s deficit de Rs 3,76 milliards, ce qui maintient la compagnie dans une situation de précarité financière.
Pour Pillay, le problème est structurel : une décennie d’ingérences politiques et de mauvaise gouvernance a miné la compagnie. La période d’administration judiciaire, sous la houlette de Sattar Hajee Abdoula, a aggravé la situation avec la perte d’une partie de la flotte et de personnels expérimentés. Depuis la sortie d’administration en 2021, « rien de significatif n’a changé », estime-t-il, les mêmes responsables étant restés en place.
Il plaide pour une autonomie accrue de la compagnie vis-à-vis du politique, une gouvernance plus transparente, ainsi qu’une stratégie claire d’investissement dans la flotte et les ressources humaines. Selon lui, clarifier la structure d’Airport Holdings Ltd, maison-mère de MK, et s’inspirer de modèles performants comme Singapore Airlines, est indispensable pour espérer un redressement durable.
Air Mauritius : le spectre du conflit d’intérêts
La double casquette de Kishore Beegoo, à la tête d’Air Mauritius tout en étant impliqué dans la société Cargotech, relance une vieille polémique. Le Code d’éthique de la compagnie stipule pourtant clairement que dirigeants et employés doivent éviter tout conflit d’intérêts, réel ou apparent.
Cette question n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été au cœur d’un litige judiciaire opposant Beegoo à Air Mauritius, un procès qui n’a finalement jamais eu lieu. L’affaire s’était close par un arrangement à l’amiable : la compagnie avait versé un important dédommagement à son dirigeant pour mettre fin à la procédure.
Aujourd’hui, la situation ressurgit avec d’autant plus de force que Cargotech entretient des relations commerciales avec MK. M. Beegoo tente de minimiser la controverse : « Cargotech a demandé à MK d’ouvrir une enquête. Nos livres sont ouverts, la MRA a eu accès à tous les documents. C’est légal et ce sont les affaires. »
Une défense qui peine toutefois à dissiper le malaise. Car au-delà de la légalité, c’est la question de la perception qui se pose : celle d’un transporteur national dont la réputation peut être affectée par le simple soupçon de mélange des genres
Air Mauritius : sécurité renforcée et partenariat éducatif
Nouvelles règles pour les batteries externes à bord
À compter du 1er septembre 2025, Air Mauritius introduira de nouvelles directives concernant le transport et l’utilisation des batteries externes (Power Banks), en raison d’incidents signalés au niveau international et du rappel de certains modèles.
• Une seule batterie par passager est autorisée, avec une capacité maximale de 100 Wh, clairement indiquée sur l’appareil.
• Leur transport est interdit en soute et elles devront être rangées en cabine, soit sous le siège, soit dans la pochette du siège, mais jamais dans les coffres à bagages.
• Il sera également interdit de les utiliser pour recharger des appareils pendant le vol ou de les recharger via l’alimentation de l’avion.
Former les techniciens aéronautiques de demain
Par ailleurs, Air Mauritius et Polytechnics Mauritius ont annoncé le lancement d’un programme inédit : le Diploma in Engineering Technology (Aircraft and Engine Maintenance). Il vise à répondre à la pénurie de techniciens spécialisés dans la maintenance aéronautique et à développer des compétences locales.
Le projet, conçu en partenariat avec les ingénieurs d’Air Mauritius, cible des étudiants ayant obtenu au moins cinq crédits en Grade 11, dont obligatoirement les mathématiques et la physique. La sélection s’est faite à travers un processus rigoureux mêlant tests, simulations et entretiens.
Pour Kishore Beegoo, président d’Air Mauritius, ce diplôme illustre trois piliers stratégiques de la compagnie : résilience, innovation et autonomisation. Le programme ambitionne de réduire la dépendance à la main-d’œuvre étrangère et de bâtir un écosystème d’excellence dans le domaine aéronautique
Air Mauritius : « Une décennie de mismanagement ne s’efface pas en trois mois »
L’ancien CEO d’Air Mauritius, Megh Pillay, accueille avec prudence l’annonce d’un bénéfice trimestriel de Rs 252,7 millions, le premier depuis neuf ans. Selon lui, il s’agit d’une bonne nouvelle après des années marquées par les pannes d’appareils et les difficultés d’exploitation, mais les fondamentaux restent fragiles.
Il rappelle qu’en 2016, année de référence, la compagnie avait réalisé un bénéfice net record de Rs 1,4 milliard grâce à une gestion rigoureuse et une hausse du trafic passager. Aujourd’hui, malgré l’annonce d’un profit, Air Mauritius affiche encore un shareholder’s deficit de Rs 3,76 milliards, ce qui maintient la compagnie dans une situation de précarité financière.
Pour Pillay, le problème est structurel : une décennie d’ingérences politiques et de mauvaise gouvernance a miné la compagnie. La période d’administration judiciaire, sous la houlette de Sattar Hajee Abdoula, a aggravé la situation avec la perte d’une partie de la flotte et de personnels expérimentés. Depuis la sortie d’administration en 2021, « rien de significatif n’a changé », estime-t-il, les mêmes responsables étant restés en place.
Il plaide pour une autonomie accrue de la compagnie vis-à-vis du politique, une gouvernance plus transparente, ainsi qu’une stratégie claire d’investissement dans la flotte et les ressources humaines. Selon lui, clarifier la structure d’Airport Holdings Ltd, maison-mère de MK, et s’inspirer de modèles performants comme Singapore Airlines, est indispensable pour espérer un redressement durable.
Air Mauritius : le spectre du conflit d’intérêts
La double casquette de Kishore Beegoo, à la tête d’Air Mauritius tout en étant impliqué dans la société Cargotech, relance une vieille polémique. Le Code d’éthique de la compagnie stipule pourtant clairement que dirigeants et employés doivent éviter tout conflit d’intérêts, réel ou apparent.
Cette question n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été au cœur d’un litige judiciaire opposant Beegoo à Air Mauritius, un procès qui n’a finalement jamais eu lieu. L’affaire s’était close par un arrangement à l’amiable : la compagnie avait versé un important dédommagement à son dirigeant pour mettre fin à la procédure.
Aujourd’hui, la situation ressurgit avec d’autant plus de force que Cargotech entretient des relations commerciales avec MK. M. Beegoo tente de minimiser la controverse : « Cargotech a demandé à MK d’ouvrir une enquête. Nos livres sont ouverts, la MRA a eu accès à tous les documents. C’est légal et ce sont les affaires. »
Une défense qui peine toutefois à dissiper le malaise. Car au-delà de la légalité, c’est la question de la perception qui se pose : celle d’un transporteur national dont la réputation peut être affectée par le simple soupçon de mélange des genres.