BUDGET 2013:Du positif masqué par des lacunes

A une semaine d’intervalle de la présentation du budget 2013, il est bon d’en faire une deuxième lecture. Le discours du ministre des Finances est loin d’avoir tout dit, d’autant plus qu’il a choisi de mettre en annexe un nombre considérable de mesures concernant surtout la fiscalité et les services financiers. On avait coutume de dire qu’il fallait lire entre les lignes des discours budgétaires ; pour celui de 2013, c’est l’annexe qui nous livre bien des changements à venir.
Cet article comporte deux parties distinctes. La première se penche sur ce qu’il y a de relativement positif dans ce budget, et la deuxième met l’accent sur des non-dits dont on ne sait s’ils sont toujours d’actualité ou s’ils sont renvoyés aux calendes grecques.
Recettes et paiements
Il y a lieu de reconnaître que la situation des finances gouvernementales s’est améliorée. Le Tableau 1, ci-dessous,nous en donne un aperçu sommaire.
En 2013, il est prévu des recettes de 83,3 milliards de roupies, soit 21,9% du Produit Intérieur Brut (PIB), contre 21,5 % en 2012. On remarquera que, si les recettes fiscales passeront de 64,6 milliards en 2012 à 71,7 milliards en 2013, elles font pratiquement jeu égal en termes de pourcentage du PIB à 18,7% et 18,8%. Maurice reste un pays à fiscalité faible, et le gouvernement n’a pas succombé à la tentation d’accroître le taux déjà élevé de la TVA (15%).
Les paiements courantspassent de 72,1 milliards en 2012 à 80,1 milliards en 2013. Toutefois en termes de ratio du PIB, la situation est quasiment inchangée, soit 21,0% en 2012 et 21,1% en 2013. On remarquera la hausse du poste : salaires, de 19,2 à 22,8 milliards, PRB oblige, tandis que les intérêts sur la dette publique seront, en termes de pourcentage, moins élevé qu’en 2012 (2,9% contre 3,1 % du PIB). Il est, à ce propos, intéressant de noter qu’en 2013, le montant à payer au titre des intérêts est maintenant estimé à 10,5 milliards, alors que selon les estimations d’origine, il était égal à 11,4 milliards. Le Trésor économise ainsi quelque Rs. 900.000 en termes d’intérêts, sans doute à cause de la faiblesse actuelle des taux d’intérêts mondiaux. Une belle aubaine offerte par la crise mondiale !
Au chapitre des investissements publicsémargeant au budget, il n’y a pas de quoi se réjouir. Il avait été prévu à l’origine des paiements de l’ordre de 14,3 milliards en 2012. Le montant révisé est égal à 10,4 milliards. C’est cette « économie », associée à celle des intérêts moins élevés que prévu, qui ramène le déficit budgétaire de 2012 à 8,4 milliards (2,5% du PIB) au lieu de 13,5 milliards (3,8% du PIB).
A ce sujet, il est nécessaire de préciser que la totalité de dépenses d’investissement publics (gouvernement et institutions de l’État) a atteint 18 milliards en 2012 et qu’il est prévu 28,6milliards en 2013, soit une hausse de 59% (et non de 39% comme inscrit au para.283 du discours du budget). Espérons que ce montant sera réalisé car, avec la morosité de l’investissement privé, notre pays a besoin de cet apport public pour soutenir l’emploi et améliorer l’infrastructure. Toutefois, la question qui reste posée est celle de la capacité de mise en oeuvre de projets par le secteur public, tel que reconnu par les autorités elles-mêmes : «  quality of bidding documents submitted by public bodies to Central Procurement Board (CPB) is inadequate. The CPB has set up a Help Desk to provide guidance to Public Bodies to improve quality of bidding document”.  (Budget Estimates 2013, p.216).
Le déficit budgétaire
A  première vue, le ministre semble avoir réussi un tour de magie, celui de ramener l’estimation du déficit budgétaire à 2,2% du PIB en 2013. Mais le chapeau du magicien est doté d’un compartiment qui a pour nom les Fonds Spéciaux. Ils sont sept au total. En 2013, ces Fonds Spéciaux, notamment le National Resilience Fundet le Road Decongestion Programme, contribueront aux dépenses gouvernementales à hauteur de 4,1 milliards. De plus, le National Resilience Fund reversera au Consolidated Fund (où est enregistrée la totalité des recettes et dépenses budgétaires) une somme de 1,2  milliards. Si ces transactions à partir des Fonds Spéciaux sont tenues en ligne de compte, le déficit budgétaire passe à 13,8 milliards, soit 3,6% du PIB. Les montants correspondants pour 2012, c’est- à-dire après la prise en compte des Fonds Spéciaux, sont 21,5 milliards ou 6,3%du PIB.
La croissance
Avec ou sans Fonds Spéciaux, il est prévu en 2013 une baisse du déficit budgétaire en pourcentage du PIB. Comment cela arrivera-t-il ? La réponse se trouve dans l’estimation du PIB à 380 milliards en 2013, représentant un taux réel de croissance égal à 4%. (Le taux réel s’exprime hors inflation prévue à 6%) Il suffirait que ce taux réel soit inférieur à 4% pour que le ratio du déficit budgétaire au PIB soit plus élevé.
La question a été maintes fois évoquée : ce taux de 4% est-il réalisable ? Il convient de rappeler les hypothèses qui sous-tendent cette estimation. Elles sont explicitées à la page x des Budget Estimates :
 — reprise de l’économie mondiale, selon les dernières prédictions du Fonds Monétaire International.
— reprise du secteur manufacturier et de l’industrie du « seafood »
— accroissement des arrivées touristiques, à partir de nouveaux pays émetteurs tels que la Chine, la Russie et les pays d’Afrique.
— une mise en oeuvre plus efficace des projets de PSIP ( Public Sector Investment Programme).
— la réalisation complète (100%) des mesures budgétaires.
— le coût du pétrole à 105 dollars le baril.
— un glissement annuel de 3,5 % du taux nominal de la roupie vis-à-vis des devises internationales.
Voilà donc les hypothèses qui ont été utilisées pour alimenter le modèle économétrique des techniciens du ministère. Pour l’instant, nous en prenons acte. Affirmer d’emblée que le taux de croissance de 4% est irréalisable en 2013, équivaudrait à taxer le ministre d’être un aventurier prêt à prendre le risque d’être éventuellement désavoué par la brutale réalité. Les procès d’intention sont stériles.
Et quid de l’avenir ?
Cette observation nous conduit à la deuxième partie de l’article. En effet, s’il est permis de compter sur une reprise mondiale en 2013 pour réamorcer nos exportations de marchandises et de services, il est impérieux de se préparer à soutenir la croissance durant les autres années qui viennent. La question qui se pose est la suivante : ce budget ouvre-t-il des perspectives de croissance durable et de qualité au-delà de 2013 ? Comment augmenter le taux de croissance à 5,5%, ce qui a été la moyenne réalisée pendant environ deux décennies depuis les années quatre-vingts ? Ce sont ces questions-là que le discours aurait pu avoir évoquées, sinon abordées. Nous y reviendrons.
Mais auparavant, il paraît judicieux de rappeler ce qu’est l’exercice budgétaire du gouvernement, puis de le confronter aux attentes de la population mauricienne.
Le ministre des Finances a la responsabilité de pourvoir aux dépenses du gouvernement, en termes de rémunérations, de projets, d’aides sociales et de service de la dette. Quand il se présente à l’Assemblée Nationale pour prononcer son discours, son but premier est de révéler aux députés-et à la nation-combien il prévoit de dépenses au titre de l’Appropriation Bill. Ce bill deviendral’Appropriation Act, lorsque les députés l’auront approuvé, après maints débats. Comme il est évident que le gouvernement a besoin de revenus pour faire face à ses obligations, le ministre présente aussi ses propositions en matière de fiscalité, ce qui intéresse au plus haut point les contribuables, d’où l’intérêt de ceux-ci à écouter le ministre. Il faut préciser que les propositions fiscales du ministre, incorporées dans un Finance Bill, ne seront débattues et votées à l’Assemblée Nationale qu’après l’adoption de l’Appropriation Bill.
Voilà donc le processus budgétaire qu’il importe au ministre des Finances de mener à bien. Mais il se trouve que le ministre des Finances détient un deuxième portefeuille, celui du développement économique. Tout en menant à bien sa tâche comptable de pourvoir aux dépenses du gouvernement par une politique fiscale judicieuse, il lui incombe de situer cet exercice dans la perspective de la croissance économique et du développement social de la population. Peut-être est-ce trop lui demander d’en rendre compte en une seule soirée, celle du Budget Day. D’ailleurs, le discours du 7 novembre dernier s’est favorablement démarqué des discours-fleuves de certaines années précédentes. Peut-être qu’une séance antérieure à celle du budget pourrait être consacrée à passer en revue l’année écoulée en termes du développement socio-économique et à tracer la voie que compte suivre le gouvernement pour les années à venir. Cette séance donnerait lieu à des débats et auraient l’avantage d’éclairer la population tout entière sur la politique socio-économique du gouvernement en regard des problèmes du moment. Il y a là matière à réflexion pour 2014.Pour l’instant, fermons la parenthèse.
Des perspectives nouvellesTableau 2
Il y a certes quelques perspectives nouvelles dans ce discours (voir Tableau 2). Elles vont de l’intégration régionale à l’ouverture sur l’Afrique, de la diffusion de l’internet à la distribution de repas chauds à des enfants pauvres, de l’établissement de passerelles entre le domaine professionnel et le monde de l’entreprise, sans oublier l’épineux problème de l’accès aérien.
Des lacunes et des non-dits
Si ces mesures louables se réalisent, on ne pourra que s’en féliciter. Encore faut-il qu’elles soient traduites dans le concret avec promptitude et efficacité. Mais ce qui manque, c’est l’insertion de ces mesures dans un schéma global de développement économique national avec des caractéristiques comme celles qui sont énumérées ci-dessous:
— La recherche pour le tourisme mauricien d’un nouveau profil répondant aux attentes d’un marché diversifié;
— La panoplie de politiques à adopter pour que Maurice soit une passerelle commerciale et financière entre l’Asie et l’Afrique;
— L’état des études en vue de promouvoir l’économie océane et la pêcheindustrielle;
— Les défis qui se présentent au secteur immobilier(IRS et RES);
— La modernisation de l’agricultureet la sécurité alimentaire;
— Les perspectives et recherches en matière d’énergie renouvelable;
— La réforme de l’éducationdu pré-primaire à l’enseignement supérieur, compte tenu des déchets que produit le système, en commençant par les recalés du CPE, ainsi que la course effrénée aux diplômes, au détriment d’une formation complète incorporant l’innovation et l’entrepreneuriat;
— Les problèmes liés à la démographieavec des risques de conflits intergénérationnels entre des personnes âgées de plus en plus nombreuses et des actifs de plus en plus stressés.
— Le faible taux de productivité des facteurs de production à Maurice. Notons à ce sujet que le Boarddu National Productivity and Competitiveness Council(NPCC)  sera dorénavant composé de sept membres seulement, contre vingt précédemment. Voilà un aveu entre les lignes que cela ne tourne pas rond au sein de l’organisme qui est censé travailler à accroître la productivité et la compétitivité, des éléments essentiels au progrès économique de Maurice.
— La gouvernance des institutions paraétatiques et des entreprises appartenant à l’État. Alors que des améliorations sont constatées dans le milieu des  affaires et que le Financial Service Commission(FSC) sera dorénavant habilitée à insister sur l’observance du Code de Gouvernance par les compagnies qu’elle régule, aucune mention n’est faite par rapport à la gouvernance dans les institutions publiques. Pour que le finances publiques continuent à s’assainir, il est impérieux que les principes d’une gouvernance efficace et équitable soient observés, faute de quoi le gaspillage persistera, l’exécution des projets d’infrastructure du PSIP continuera à prendre du retard et la productivité pâtira.
On pourrait certes allonger cette liste de défis majeurs que Maurice doit relever. Ils ne sont pas insurmontables. D’ailleurs, ce pays a prouvé depuis les années quatre-vingts qu’il avait la capacité de franchir des obstacles majeurs. Encore faut-il que la population d’aujourd’hui ne se laisse pas endormir par les succès passés et les places d’honneur dans des indices internationaux. Il revient, en premier lieu, aux dirigeants du pays de susciter l’enthousiasme pour un développement socio-économique équilibré et durable dans le temps, en leur proposant une vision et les moyens de la réaliser.
 Cette vision-là est-elle apparente à la lecture du budget ? N’est-elle pas plutôt en demi-teinte avec une visibilité déficiente ?

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