SUCRE : Sans précédent

Indépendamment du satisfecit que pourrait attribuer la mission du Fonds monétaire international, dirigée par Amadou Sy, à l’économie mauricienne, demain après-midi, un problème préoccupant hante l’Hôtel du gouvernement. Depuis les révélations de Week-End en date du 23 juillet dernier au sujet d’une réduction substantielle, soit de plus de Rs 2 000, du prix de la tonne de sucre aux planteurs et usiniers/planteurs, les consultations au plus haut niveau entre l’industrie sucrière et l’Hôtel du gouvernement se sont multipliées. Pas plus tard que la fin de la semaine dernière, une séance de travail, présidée par le ministre de l’Agro-Industrie, Mahen Seeruttun, a été convoquée en vue de se pencher sur ce « grave problème socio-économique » et d’identifier les mesures d’urgence pour parer à toute éventualité. En tout cas, la formule magique de l’intervention du Sugar Insurance Fund Board (SIFB) pourrait ne pas avoir les effets escomptés compte tenu de ses engagements financiers déjà pris auprès du Sugar Investment Trust dans le cadre d’un bailing out exercise. En marge de la passe extrêmement difficile que traverse l’industrie cannière, la mission Amadou Sy, qui devra faire avaliser les conclusions des dernières Article IV Consultations par le board du FMI, a identifié les economic challenges facing Mauritius, notamment avec un carton jaune au secteur bancaire pour le niveau élevé des non performing loans, (NPL), ou encore sous la forme d’un état des lieux de la résilience du Global Business Sector et l’endettement public.
L’urgence de la situation au niveau de l’industrie sucrière se précise avec la dernière déclaration publique du Chief Executive Officer du groupe Omnicane, Jacques d’Unienville, laissant entendre que la différence de prix de cette année comparativement à l’année dernière est de 100 euros (Rs 3 840), soit au-delà de la réduction évoquée dans les milieux d’un Syndicat des Sucres sans dent de l’ordre de Rs 2 100. Mais tous les spécialistes s’accordent à avancer que la conjugaison des effets de la baisse du prix de sucre à l’exportation, la réduction de la récolte sucrière de cette année et l’élimination du dernier filet de protection, sous la forme de la fin des quotas d’exportation de sucre vers l’Union européenne à partir du 1er octobre prochain, constitue « an unprecedented event in the modern history of the sugar industry in Mauritius »
« Pour revivre une telle équation difficile pour le sucre, il faudra remonter aux années 1930 », confie-t-on dans les milieux avisés. Par contre, pour le CEO d’un des majors de l’industrie cannière, les perspectives de prix sont encore plus pessimistes, avec le potentiel de risques de surplus sur le marché. « Pour la première fois dans le annales du marketing du sucre à Maurice, nous ne sommes qu’à 20% des commandes seulement, au lieu de 80%. Dans un tel contexte, des pressions à la baisse sur la tonne de sucre à l’exportation se feront davantage sentir. En plus cette année, il y a une différence de 100 euros comparativement à l’année dernière », concède Jacques d’Unienville, qui a déjà sondé l’option du marché au Moyen-Orient aussi bien que régional. La carte de sucres spéciaux, une exclusivité de Maurice, pourrait être d’une certaine utilité dans la conjoncture.
« Les sucres spéciaux vont nous assurer quand même un taux de valeur ajoutée assez important. Par contre, au niveau du sucre raffiné, la commodité sucre est plus difficile cette année. Pour les marchés dans la région, nous avons des possibilités aux Comores, à Madagascar, aux Seychelles, un peu en Afrique du Sud et au Kenya, qui est un marché très important », poursuit le CEO d’Omnicane, qui ajoute également qu’ « il se trouve qu’il y a 160 000 tonnes de sucre importées du Brésil sur le marché kenyan. Au Kenya, le sucre s’affiche à 800 dollars américains la tonne, mais il est tombé à USD 400 la tonne. » Cette tendance reflète la transcription du glut sucrier sur le marché mondial.
« C’est grave ! »
Même avec un scénario moins pessimiste, soit un prix de l’ordre de Rs 13 540 la tonne, les opérateurs de l’industrie cannière n’envisagent nullement l’avenir avec sérénité. Une première estimation est que les autorités auront besoin d’une enveloppe variant entre Rs 800 millions et Rs 1,2 milliard par an en 2017 et 2018 en guise de soutien à la communauté des planteurs. « Il n’y a pas 10 000 solutions, si le gouvernement veut assurer la survie de ce secteur économique avec une dimension politique et sociale non-négligeable. Il doit reconduire la formule d’intervention avec le complément d’au moins Rs 2 000 et le premium waiver de Rs 600 par tonne et cela, dans les meilleurs délais », réclament des associations des planteurs, inquiètes de la « timidité » du response du Syndicat des Sucres, alors que « the writings were on the wall » depuis longtemps déjà.
Contrairement aux précédents de 2014 et de 2015, les conditions au niveau du Sugar Insurance Fund ont subi des modifications. En effet, des recoupements d’informations effectués par Week-End auprès des sources concordantes indiquent que le bailing out du Sugar Investment Trust, qui s’est retrouvé avec des déficits, continue à peser dans la balance. Le SIFB aurait injecté quelque Rs 500 millions dans une bonds issue du SIT pour éponger le déficit du trust. En parallèle, des membres de la communauté des planteurs se demandent si c’est le rôle du SIFB de voler au secours de ceux qui sont responsables de mauvais jugements financiers au sein du SIT.
Dans l’immédiat, l’industrie sucrière est suspendue aux résultats d’une Actuarial Review du SIFB et des recommandations des experts financiers vu qu’en 2016, le Fonds d’Assurance de l’Industrie Sucrière avait arrêté un prix de référence de Rs 15 500 la tonne de sucre. « For 2017 and 2018, a fresh Actuarial Review is warranted », précise-t-on. À ce jour, très peu d’indications ont transpiré quant à la formule d’intervention qui sera adoptée. Valeur du jour, les fonds du SIFB s’élèvent à quelque Rs 3,5 milliards, avec la question le pertinente se posant « over and above all, can the SFB continue to bail out the sugar industry and for how long ? »
Dans le camp des capitaines de l’industrie, plus particulièrement au sein de Business Mauritius, qui ont eu des séances de travail avec la mission du FMI, l’unanimité se fait sentir sur la question sucre. « C’est grave ! Nos avons un problème. Nous avons même à gérer un double problème avec la baisse du prix et la baisse de la production. Nous travaillons sur la meilleure formule », indique-t-on à ce chapitre sans s’aventurer davantage.
Au sujet des discussions du secteur privé avec la mission Amado Sy, « les grandes préoccupations économiques, et surtout sur le plan macro-économique, ont été abordées ». L’un des secteurs à potentiel de croissance, soit les télécommunications, « provided the right things are done », a été au centre des échanges. Que ce soit les officiels du FMI ou les membres du secteur privé, la mise en opération du third fibre optic, comme un second backbone, s’inscrit dans la logique d’une double digit growth dans ce secteur.
« Avec la mission du FMI, nous avons fait un tour d’horizon général de l’économie et identifié les challenges. Le déficit à 3,5% ne représente pas un big issue. Le Brexit, soit le divorce de Londres d’avec Bruxelles, a été discuté avec une évaluation des risques pour Maurice en tenant compte de la reprise dans la zone Euro. L’Africa Strategy figure aussi parmi les préoccupations », fait-on comprendre dans les milieux du privé.
Contruction : la locomotive
À ce stade, très peu d’indications sont disponibles quant à la position du FMI par rapport à l’endettement du pays et la décision du gouvernement de revoir de fond en comble sa debt management strategy, en repoussant à 2021 tout redressement de la dette sous la barre des 60% en vue. « Le problème de l’endettement doit être analysé par rapport à la croissance économique. Le poids de la dette publique se juge en relation au Produit intérieur brut (PIB) et plus ce dernier indicateur évolue en territoire positif, mieux se portera la dette publique. But this has to be followed closely », reconnaît-on à la veille du point de presse animé par le FMI et consacré aux main findings des Article IV Consultations 2017.
Toutefois, au fil des séances de travail avec les différents stakeholders du public et du privé, dont la Banque de Maurice et la wrapping-up meeting avec le Premier ministre et ministre des Finances, vendredi, les grandes lignes de ce rapport sur l’économie à être soumis au board du FMI à Washington peuvent être reconstituées. Lors de la réunion de vendredi, « the Chief of Mission has congratulated Pravind Jugnauth pour la bonne gestion de l’économie mauricienne. » C’est ce qu’indiquent des sources officielles au Prime Minister’s Office.
Créances douteuses
D’un point de vue général, le FMI mise sur des prévisions de croissance de 3,9% pour 2017, avec un taux de 4% pour le moyen terme, soit sensiblement au même niveau que celles de la Banque de Maurice. Les procès-verbaux de la dernière réunion du Monetary Policy Committee notent que « Bank Staff maintain their real GDP growth in the range of 3.8 to 4 per cent for 2017. » L’on ne devrait pas s’attendre à voir la Banque centrale modifier sa position au sujet de la croissance lors de la prochaine réunion du Monetary Policy Committee du 6 septembre.
Avec des prévisions, la principale locomotive tirant l’économie sera la construction, notamment des investissements publics massifs dans l’infrastructure. Le FMI a pris note du calendrier d’exécution du projet de Metro Express opérant sur le corridor urbain Curepipe/Port-Louis dont les travaux de la première phase démarrent le 10 septembre, et la livraison de la ligne Port-Louis/Rose-Hill et les premiers trains en opération à partir de septembre 2019.
La mission Amadou Sy s’est également penchée sur le secteur des services financiers, et cela pour deux raisons spécifiques. D’abord, pour dresser une évaluation des retombées et établir la résilience du Global Business Sector dans le sillage de la révision du traité de non-double imposition (Double Taxation Avoidance Agreement) avec l’Inde. Ensuite par rapport aux mesures adoptées to « address the concerns raised by the OECD and the European Union » dans ce même secteur de l’économie. Avec la Grandfathering Clause dans le traité revu et corrigé avec l’Inde, le constat du FMI est des plus positifs, notamment au niveau des « capital and financial accounts ».
La filière bancaire a été également passée à la loupe par le FMI. Globalement, les banques sont considérées comme étant well-capitalized, liquides et profitables. Le bémol reste au niveau de la dégradation des créances douteuses. La mission Amadou Sy juge que les non performing loans sont encore trop élevées. La dernière édition du Monetary Policy and Financial Stability Report de la Banque de Maurice note que « non-performing loans to personal and professional sectors were as at end-December 10, 4 per cent and 7,7 per cent higher compared to their levels as an end-Decelmbre 2015 ».
Vibrant plaidoyer
Le niveau des réserves, atteignant Rs 175,9 milliards à la fin de juillet dernier contre Rs 166, 7 milliards il y a un an, est jugé comme étant dans le « advisable range of reserves ». Le Reserve Adequacy Assessment du FMI conclut que l’économie dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour juguler tout bouleversement sur le plan du foreign exchange funding et des besoins en liquidité des banques commerciales. Toujours au chapitre des Gross Official International Reserves (GOIR), la Banque de Maurice souligne que « based on the value of imports of goods (FOB) and non-factor services for the year 2016, the level of GOIR of the country represented 9,2 months of imports as at end-July 2017, compared to 9,5 months as at end-June 2017 and 8,8 months as at end-July 2016 ».
Le prochain Article IV Consultations Report du FMI devra mettre également l’accent sur la nécessité d’améliorer l’efficience du tax system, que ce soit pour la Corporate Tax et la Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA), et cela sans revoir à la hausse les barèmes d’impôts, du skills mismatch et également d’un « bold, coordinated, strategic vision by strong and independent institutions ». A ce dernier chapitre, Business Mauritius fait un vibrant plaidoyer pour un « upgrading of the regulators’ capacity building », comme l’Information and Communication Technology Authority, la Financial Services Commission ou encore l’Utility Regulatory Authority.
En guise de message à la veille de la publication de la End of Mission Statement du FMI, le secteur privé s’appesantit sur le fait « que pour intégrer la middle income league, the Regulatory Authorities should be given the necessary muscles to deliver » .

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