Mubarak Sooltangos : « Relancer l’industrie et préserver le savoir-faire vieux de 50 ans »

« L’industrie du textile doit être relancée ! » C’est l’impératif que lance Mubarak Sooltangos, consultant en stratégie. Dans le sillage de la crise et de la dépréciation de la roupie engendrées par la pandémie de Covid-19, le consultant en stratégie et management tire la sonnette d’alarme, rappelant les atouts d’un secteur qui « renferme un savoir-faire et des relations avec les divers partenaires internationaux vieux de 50 ans ». L’emploi que l’industrie parvient en dépit de tout à préserver malgré la crise, souligne-t-il, « doit être protégé ».

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En guise de mesures de relance, il propose, entre autres, la délocalisation « autant que possible de la production bas de gamme vers des pays à plus bas salaires et de conserver chez nous la production d’articles de milieu et haut de gamme axée sur la qualité plutôt que sur la quantité ». Il martèle l’importance « que le gouvernement se sente responsable et concerné ». Face à la dépréciation de la roupie, il recommande l’application d’un double taux de change en laissant d’une part les forces du marché de devises dicter le taux de change de la roupie, et d’autre part fixer un taux subventionné pour les entreprises exportatrices. Pour lui, « prétendre que la dépréciation de la roupie est sans frais pour l’Etat est un faux postulat ».

Parmi les mesures concrètes que propose Mubarak Sooltangos figure la délocalisation de notre production bas de gamme pour le marché de masse à l’étranger vers des pays à plus bas salaire et à plus haute productivité de main-d’œuvre manuelle. « D’autres pays n’auront pas ces mêmes commandes directement sur la base de leurs seules propositions, puisqu’ils n’ont pas l’antériorité et le climat de confiance que nos chefs d’entreprise ont bâti au fil des années avec leurs clients d’outre-mer », explique-t-il.

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Pour cela, toutefois, prévient-il, « le gouvernement se doit de se mouiller et s’engager davantage, en négociant avec ces pays d’accueil de nos activités de production ». Il propose dans cette optique des traités de non double imposition, et au besoin, les imposer, puisque la délocalisation générera des emplois dans ces pays hôtes. « Ils pourraient se passer de l’impôt sur les bénéfices tout en restant globalement bénéficiaires. »
Par ailleurs, poursuit-il, des concessions terriennes pour abriter physiquement les centres de production pourraient être négociées. « Mieux encore serait de ne pas construire des bâtiments, ce qui demande des investissements lourds, mais de louer des structures faites sur mesure, construites soit par le gouvernement hôte, soit par ses entreprises ou ses fonds d’investissement. La trésorerie liquide sert mieux l’acquisition de machines, les investissements en marketing, la formation du personnel et la production plutôt que le béton. »
L’auteur de Business Inside Out va plus loin en suggérant au gouvernement d’« utiliser son poids pour que les financements de leasing pour l’acquisition d’équipements se fassent à Maurice en vue de faire bénéficier nos entreprises de leasing du business généré par nos entreprises ». Il suggère encore à ce propos la mise en place d’incitations fiscales en matière de Corporate Tax « afin d’encourager nos entreprises qui auront délocalisé leur production à rapatrier leurs bénéfices à Maurice et en plus de donner des super incitations si ces fonds sont réinvestis dans du productif et non pas dans du béton ou distribués sous forme de dividendes ».

Il ne se fait pas d’illusion et concède que les négociations bilatérales avec les pays d’accueil seront ardues. « Toutefois, il faudrait que nos administrations gouvernementales se décarcassent et fassent preuve de dextérité dans la conduite des négociations, ce qui, malheureusement, ne semble pas être nos points forts. Il n’y aura aucun progrès avec des administrations qui s’attellent à s’occuper du plus facile en espérant que les problèmes plus compliqués se régleront d’eux-mêmes », dit-il.

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Quant aux activités qu’il convient de conserver chez nous, Mubarak Sooltangos cite toute la partie concernant la négociation de commandes et de prix aussi bien pour l’exportation des produits finis que pour l’importation des matières premières.

« Toutes les tâches requérant des aptitudes poussées, aidées par du matériel informatique performant disposé en réseau, tels que la comptabilité, le Payroll, les transactions financières d’import et d’export et de Hedging, le Merchandising des produits à être manufacturés, le planning global de développement des ressources humaines, le monitoring continu de la productivité de la main-d’œuvre, la consommation de matières premières, les rejets et le Wastage par des moyens informatiques doivent se faire en temps réel, pour permettre de prendre des mesures correctives en toute vitesse en cas de besoin », explique-t-il.

Mubarak Sooltangos encourage, en outre, de garder chez nous « toute la production d’articles de milieu et haut de gamme axée sur la qualité plutôt que sur la quantité et le Fashion Designing, en prenant avantage de notre esprit créatif. » Il faut en même temps, selon lui, rechercher des commandes de produits élaborés, demandant plus de main-d’œuvre spécialisée à valeur ajoutée.

« Dans ces opérations, il faut rechercher des moyennes et petites commandes assorties d’un plus grand nombre de styles, de coloris et de tailles, puisque ce sont des productions qui se paient cher et qui demandent une faculté d’adaptation rapide et constante de la main-d’œuvre. C’est l’exact opposé des techniques de production de masse, pour laquelle nous sommes dépassés depuis belle lurette. Les grands centres de production de masse autour de nous comme l’Inde, le Bangladesh et Madagascar sont pauvres dans la fourniture de telles prestations et n’ont pas la faveur des gros acheteurs », met en avant Mubarak Sooltangos.

Dans la mise en place de toute cette nouvelle orientation, souligne-t-il, le gouvernement doit se sentir responsable et concernée et ne pas laisser toute cette initiative aux entreprises. « Souvent, ces entreprises ont une telle diversité de problèmes à gérer au jour le jour et à faire du fire fighting qu’elles naviguent à vue, sans planification à moyen ou long terme. »

Selon Mubarak Sooltangos, il semble incongru, choquant même, que le gouvernement n’ait pas de service conseil gratuit pour chacune de nos industries, hors un apport de marketing pour l’hôtellerie. « Si une entreprise exportatrice a besoin de conseils stratégiques, on se demande à quelle porte gouvernementale elle peut frapper. C’est un soutien minimum à l’industrie que tout pays producteur qui se respecte doit pouvoir fournir. »

Face à la dépréciation subite, Mubarak Sooltangos estime qu’il y a des alternatives. « À part les entreprises exportatrices, tous les importateurs voient leurs factures d’importation grimper, que ce soit pour les matières premières essentielles à la production ou pour la consommation, nécessaire ou superflu », note-t-il. Ce qui rejaillit sur les ménages à faible revenu mais aussi sur des industries de substitution d’import « avec des prix de matières premières qui rendent leurs produits invendables ».

Il propose comme alternative l’application d’un double taux de change, en laissant d’une part « les forces du marché de devises dicter le taux de change de la roupie comme cela se fait toujours, et d’autre part, fixer un taux subventionné pour les entreprises exportatrices ».

Mubarak Sooltangos prend ainsi cet exemple : « Si on laisse le taux du dollar sur notre marché bancaire suivre son cours naturel, disons autour de Rs 42, et on achète les recettes en dollars des entreprises exportatrices, disons à Rs 46, cette mesure renflouerait les caisses des exportateurs de 10% en plus, sans toucher au pouvoir d’achat des ménages. On pourrait être encore plus imaginatif en fixant aussi un taux préférentiel pour les importations de matières premières destinées à la production génératrice de valeur ajoutée, de croissance de PIB et d’emplois, cette fois-ci, en dessous du taux grand public et des entreprises important des marchandises pour la consommation pure et simple. »
Un taux d’achat de dollars pour les importations destinées à la production, disons de Rs 40, fait valoir le consultant, allégerait leurs factures de 7% et sauverait leur rentabilité. « On peut varier la recette en opérant un régime de changes multiples. Par exemple, rien ne nous empêche de garantir aussi un taux de change des dollars investis par des étrangers sur notre sol dans le but d’éviter la fuite massive de devises par des investisseurs échaudés par la dépréciation. »

S’il reconnaît que des économistes se montrent souvent sceptiques quant au double taux de change ou multiple « qui a tourné à la catastrophe dans certains pays comme l’Argentine », en revanche, nuance-t-il, cela marche très bien en Chine « parce qu’il est bien géré ». En anticipation aux propos de détracteurs qui diraient que « le régime de taux de change double ou multiple est une subvention directe qui coûte de l’argent à la Banque centrale », il répond que « certes mais c’est un faux débat puisqu’une dépréciation d’envergure coûte aussi de l’argent à l’Etat ».

Les pertes pour le Trésor public, selon Mubarak Sooltangos, se trouvent au niveau des recettes de la TVA en moins, de la taxe corporate en moins en raison de la chute des bénéfices des entreprises de négoce et de substitution d’importation et aussi d’une liste additionnelle de produits de consommation à faire exempter de la TVA pour alléger les dépenses des ménages. « Donc, prétendre que la dépréciation de la roupie est sans frais pour l’Etat est un faux postulat », conclut-il.

 

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