Au tribunal de Curepipe, du 26 mai au 20 juin 2025, plus de 20 personnes ont déjà témoigné ce qui sera un procès salvateur pour les proches des familles mortes au cour de cette période. En effet, l’enquête judiciaire qui se déroule sur les décès de douze patients dialysés au plus fort de la pandémie de Covid-19 prend des allures de réquisitoire implacable contre la gestion sanitaire menée sous le ministre Kailesh Jagutpal. Jour après jour, depuis plus d’un mois, la Cour de district de Curepipe devient la scène bouleversante de récits de souffrances, d’abandon et d’indignité humaine. Ce que les familles réclament depuis plus de quatre ans est désormais mis au grand jour : leurs proches n’ont pas seulement été victimes du virus, mais d’un système défaillant, bureaucratique et, parfois, inhumain. À ce stade, près d’une vingtaine de témoins ont déjà été entendus, et leurs témoignages dressent un portrait effroyable de cette gestion de crise.
Tout commence en mars 2021, lorsqu’un infirmier du service de dialyse du New Souillac Hospital est testé positif au Covid-19. En réaction, les autorités sanitaires ordonnent le placement en quarantaine de dizaines de patients dialysés dans un hôtel de Bel-Ombre, le Tamassa Resort. Ces patients, parmi les plus vulnérables du pays, sont entassés dans des bus bondés, sans masques, sans distanciation, sans eau ni nourriture, pour un trajet qui dure jusqu’à sept heures. C’est ainsi que Didier Lesage, premier témoin appelé à la barre, arrive au Tamassa, épuisé, affamé, et privé de toute assistance médicale pendant son séjour. « Si je n’avais pas apporté mes biscuits, je serais allé au lit l’estomac vide», a-t-il lâché d’une voix tremblante.
« Il criait qu’il allait mourir »
À leur arrivée, les patients ne reçoivent ni repas, ni eau, ni soins. Les appels à l’aide restent sans réponse ; le téléphone mis à disposition dans les chambres est hors service. Keerpanand Beedassy, récemment amputé d’une jambe, est laissé seul, incapable de se déplacer, sans changement de pansement, sans assistance, en proie à des douleurs atroces. « Il criait qu’il allait mourir », témoigne son neveu Vinaye Soodhoo, resté avec lui à l’hôtel. Malgré trois alertes à la réception, personne ne s’est déplacé.
Sarodjnee Ramsamy, diabétique, cardiaque et dépendante à l’insuline, se retrouve seule. Aucune injection, aucun suivi. Les repas servis ne sont pas adaptés à son état. « Ma femme a été traitée comme un animal », dénoncera plus tard son mari en larmes à la barre. Elle décède après 26 jours d’une lente dégradation, sans que son époux n’ait pu la revoir.
« On lui a donné du Panadol, matin, midi et soir. C’est tout »
De retour à l’hôpital pour leurs séances de dialyse, les patients ne reçoivent que des traitements incomplets : 1 à 2 heures au lieu des 4 heures habituelles. Les conséquences sont immédiates : démangeaisons, gonflements, vomissements, jusqu’à l’effondrement. Nicole Hart, qui dépendait entièrement de la dialyse pour vivre, ne sera jamais dialysée correctement, faute de personnel qualifié pour gérer sa fistule. « On nous a dit de degaze, que la MBC allait venir filmer », raconte sa fille Jennifer. Sa mère meurt quelques jours plus tard.
Mahadoo Jeebun, ancien plongeur, meurt étouffé après avoir été privé d’oxygène malgré un ordre médical. Son gendre, Kishore Hanzary, raconte comment il a dû supplier un médecin personnel d’intervenir, tant le personnel hospitalier ignorait ses appels. « On lui a donné du Panadol, matin, midi et soir. C’est tout. »
Certificats de décès hâtifs,
sans autopsie
Dans plusieurs cas, les familles n’ont pas été informées du décès de leurs proches. Les corps sont remis dans des « caisses en bois brut », hermétiquement scellées. Oomadevi Beesoo, épouse de Dhananand Beesoo, apprend que son mari est mort seulement après avoir insisté au téléphone. Trois tests PCR avaient pourtant révélé qu’il n’avait jamais contracté la Covid-19. Son fils, Shyland, s’interroge : « Mon père est mort de solitude, de malnutrition, d’un abandon organisé. »
Un médecin a témoigné qu’il avait été contraint par un supérieur à ne pas ordonner d’autopsie, et à inscrire « arrêt cardiaque » comme cause de décès. « Je ne saurai jamais ce qui l’a tué », lâche Oomadevi Beesoo.
Nombreux sont les proches qui dénoncent aujourd’hui l’absence de communication, le mépris des autorités, le traitement indigne réservé aux malades. Laval Sab, qui a perdu son épouse, a appris son décès de la bouche d’un préposé hospitalier. Jennifer Hart, qui a tout tenté pour que sa mère reçoive sa dialyse, dénonce une décharge administrative décidée le jour même où la MBC filmait l’hôpital. « On lui a dit : dégagez, votre famille peut venir vous chercher. »
Plusieurs familles envisagent désormais de poursuivre l’État. Mais pour beaucoup, la priorité est ailleurs : retrouver leur dignité, faire leur deuil, et que justice soit rendue.
L’enquête judiciaire, toujours en cours, continue d’entendre des témoignages accablants. Elle pourrait devenir un tournant majeur dans la manière dont la responsabilité politique et administrative est engagée en temps de crise. Au cœur de cette affaire : des vies sacrifiées non pas seulement par un virus, mais par un système aveugle, sourd, et souvent cruel…. où l’incompétence et la négligence prend tout sa signification ?
Citations clés des témoins
- Didier Lesage : « Si je n’avais pas apporté mes biscuits, je serais allé au lit l’estomac vide. »
- Vinaye Soodhoo, neveu de Keerpanand Beedassy : « Il criait qu’il allait mourir… Personne n’est jamais venu malgré mes alertes. »
- Canabady Ramsamy, époux de Sarodjnee : « Ma femme a été traitée comme un animal. »
- Kishore Hanzary, gendre de Mahadoo Jeebun : « On lui a donné du Panadol, matin, midi et soir. C’est tout. »
- Shyland Beesoo, fils de Dhananand : « Mon père est mort de solitude, de malnutrition, d’un abandon organisé. »
- Jennifer Hart, fille de Nicole Hart : « On nous a dit de degaze, que la MBC allait venir filmer. »
- Oomadevi Beesoo : « Je ne saurai jamais ce qui l’a tué. »