JUGEMENT EN APPEL DE PRAVIND JUGNAUTH : Controverses juridiques autour d’une section de la POCA, selon Me Sonah Ruchpaul

Me Sonah Ruchpaul, avocat qui exerce au barreau mauricien depuis une quarantaine d’années, commente le jugement de la Cour d’appel de la Cour suprême dans l’affaire Medpoint impliquant l’ancien vice-Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth. Dans l’article qui suit, l’avocat précise qu’il ne commente qu’en droit ce qui semble être devenu un contentieux entre deux cours de justice mauriciennes.
Loin d’être « implacable » — dans le sens de l’inflexibilité ou sévérité que cet adjectif peut comporter —, le jugement que vient de rendre la Cour suprême dans l’appel de Pravind Jugnauth provoque plus de controverses juridiques que jamais auparavant sur l’interprétation d’une section de la Prevention of Corruption Act (POCA).
Ce jugement sème, en effet, plus de doutes dans l’esprit de son lecteur que celui des magistrats de la Cour intermédiaire, N. Ramsoondur et M. I. A. Neerooa. En plus, il me semble évasif sur certains points, incohérent et brouillon sur d’autres. Ne serait-ce pas un jugement écrit ou amendé à la hâte dans l’intempérance ?
Les points que je soulève ne sont aucunement exhaustifs. Ceux que j’explique ne s’étendent pas avec la suffisance voulue, faute de place.
Le premier qui saute aux yeux se rapporte à quelque chose qui est plutôt singulier dans le jugement de la Cour suprême. Je me fonde sur la copie officielle publiée sur le site-web de cette Cour en date du 25 mai 2016. J’attendais ce jugement avant de me prononcer sur celui des magistrats de la Cour intermédiaire, que j’ai étudié dès le 30 juin 2015, le jour de son prononcé, armé d’une copie certifiée de tout le dossier de cette Cour, documents compris.
Généralement, les raisons d’appel de tout jugement, que ce soit au civil ou au criminel, sont exposées au tout début du même jugement pour être considérées, soit l’une après l’autre, soit dans l’ordre que la paire de juges décide, soit en groupes. Mais, dans pratiquement tous les cas, les raisons d’appel sont reproduites comme libellées par l’avocat de l’appelant.
Dans le cas présent, l’avocate Clare Montgomery QC invita la Cour suprême à ignorer les « grounds of appeal » d’origine logée le 22 juillet 2015 et de ne considérer que celles logées le 27 juillet suivant.
Des « grounds » locales ?
Je sais que Pravind Jugnauth avait retenu les services de l’avocate anglaise après sa condamnation par la Cour intermédiaire. Il était même parti à Londres, probablement pour des consultations (« conferences ») avec son avocate additionnelle. Auparavant, ses raisons d’appel avaient été rédigées par pas moins d’une douzaine de ses avocats locaux. Lorsque je pris connaissance de ces « grounds », j’eus l’impression que c’était un rassemblement des « grounds » locales, ce qui veut dire que l’ensemble était répétitif, les raisons empiétant l’une sur l’autre, et que, s’ils avaient à considérer ce méli-mélo, les juges perdraient leur latin.
Le Chef juge Matadeen et le juge Caunhye écartent, donc, volontiers le marécage en des termes peu glorieux pour leurs rédacteurs mauriciens : « We wish to make a preliminary observation on the grounds of appeal which have been filed on behalf of the appellant. They have been drafted under headings and in a lengthy and extensive manner. This is not a common and acceptable practice before our Supreme Court. Time and again we have reminded legal representatives that each ground is usually required to be couched in specific, precise and succinct terms in the notice of appeal and for each ground to be later developed more extensively in skeleton arguments. »
Cependant, la Cour suprême trouve la deuxième série mise au point par Me Montgomery également longue et décide de s’en débarrasser aussi. Elle ne va donc citer que les titres sous lesquels la deuxième série regroupe les raisons, présumément les titres choisis par Me Montgomery elle-même : « In view of the length of the amended grounds of appeal, we do not propose to reproduce them but for the sake of convenience, we shall refer to them under the different headings in which they have been presented. »
Et ces titres sont, en « grounds » descendantes : 1 – The mental element of the offence, 2 – The meaning of « personal interest », 3 – Errors in relation to conflict of interest, 4 – The construction of « any proceedings » relating to a « decision  which a public body is to take »,  5 – Disclosure, 6 – Charging, et 7 – Injustice in sentencing.
Les titres de la première série de « grounds », que Me Montgomery avait appelé la Cour à « disregard » étaient les suivants: 1 – Misdirection, 2 – Unfairness at pretrial and at trial, 3 – The Prosecution, 4 – The Court, 5 – The CAB250 Document, 6 – Delay and Limitation of Action, 7. Burden of Proof, 8. Unlawful Arrest, 9 – Irregularity et 10 – Sentence.
Il y a quelque temps, j’eus l’occasion de parler de ces raisons d’appel à l’un de ces avocats, qui me répliqua avec fierté que mes commentaires n’étaient pas fondés, car c’était lui qui avait rédigé le fourre-tout.
La question de « mens rea »
Primo, ce qui m’étonne, c’est que, à leur tour, les juges trouvent que les raisons d’appel du 27 juillet sont également longues et décident de ne pas les reproduire et de ne citer que les titres sous lesquels elles ont été groupées. Si les avocats locaux — et ils ne sont pas nombreux— peuvent se faire remettre la deuxième série de « grounds », quid des milliers de lecteurs du site web de la Cour suprême ? Pourront-ils suivre la plume commune de nos honorables juges ?
Secundo. Il y a certainement cette question de « strict liability ». Lorsque j’avais lu pour la première fois le jugement des magistrats, j’avais pensé que c’était là la grande faiblesse de leur raisonnement. Car cette conclusion impliquait la question de « mens rea », l’âme même de toute défense au criminel ici et en Angleterre. Mais il me semble que les juges ont rejeté l’argument de « strict liability » ou « absolute prohibition » trop facilement. Car la possibilité que le législateur ait créé deux catégories de délit est visible dans la POCA. Il se peut que « conflict of interest » sous la section 13(2) et (3) fût envisagé distincte des autres « corruption offences » de cette même loi.
Ces délits sont comme suit:  4. Bribery by public official, 5. Bribery of public official, 6. Taking gratification to screen offender from punishment, 7. Public official using his office for gratification, 8. Bribery of or by public official to influence the decision of a public body, 9. Influencing public official,10. ‘Trafic d’influence’, 11. Public official taking gratification, 12. Bribery for procuring contracts, 13. Conflict of interests, 14. Treating of public official, 15. Receiving gift for a corrupt purpose, 16. Corruption of agent, 17. Corruption to provoke a serious offence.
Une lecture de ces sections révèlera que «Conflict of interests » se départage des autres délits. Raison : l’actus reus requis pour prouver la culpabilité de l’accusé est différent de celui des autres. Dans « Conflict of interests», c’est une conduite de l’accusé qui cause le délit. Dans les autres, une propriété quelconque change de main. En d’autres mots, Conflict of interests est régulatoire. Les autres délits ne le sont pas. C’est ce qui explique la catégorisation faite par les magistrats.
Tertio. Le jugement de la Cour suprême répand autant d’obscurité que les écrits des magistrats. Par exemple, sur la distinction à être faite entre les actions d’une personne dans une compagnie et les droits de cette même compagnie sur ces mêmes actions. Les magistrats disent que « it goes without saying that accused’s sister had a direct personal interest in whatever decision affecting Medpoint Ltd ». Les juges, par contre, pensent que les magistrats « appear to have failed to recognise that Medpoint Ltd was a separate and distinct legal entity and appear to have conflated Medpoint Ltd’s interest with those of the appellant’s sister. » Les juges citent alors plusieurs jugements anglais pour se soutenir, mais j’ai l’impression que dans ce contexte ils mélangent les pommes et les oranges. Car, d’abord, ils ne font aucune comparaison entre les faits qui ont mené à ces jugements anglais et ceux qui avaient mené à l’inculpation de Pravind Jugnauth. Les faits et circonstances des jugements étrangers cités par la Cour suprême ne sont aucunement semblables aux faits et circonstances de l’affaire Medpoint qui ont mené à l’inculpation de Pravind Jugnauth.

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