OPÉRATION « LAKAZ LERWA LION » : Nandanee Soornack joue sa carte maîtresse

Le principal dossier à charge contre l’ex-partenaire d’affaires de Rakesh Gooljaury porte sur les commissions de Rs 100 millions virées dans un compte à l’Union Bancaire Privée de Genève
Un message e-mail de Frank Gleeson à la veille des élections de 2014 implique Ramgoolam dans l’acquisition des Airbus A350-900 et les commissions de 4,2% de la MDFP
Un peu plus de 42 semaines après son départ en catastrophe pour Parme en Italie, le jour de la proclamation des résultats des résultats des élections générales du 10 décembre dernier et trente-trois semaines après le déclenchement de l’opération trois L « Lakaz Lerwa Lion », qui a débouché sur l’arrestation de l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, Nandanee Soornack n’aura d’autre choix que de jouer sa carte maîtresse. En effet, mardi, devant le juge siégeant au tribunal de Parme, celle qui fut l’une des femmes les plus puissantes sous le précédent gouvernement travailliste devra sortir au moins un argument de choc pour échapper à demande d’extradition à Maurice. Dans la conjoncture, il s’avère que ses chances de convaincre la justice italienne qu’elle n’est qu’une victime expiatoire dans un « vil règlement politique » entre deux clans sont considérées comme étant relativement minces. Mais la question qui se pose demeure si en cas de l’obtention d’un ordre d’extradition Nandanee Soornack comptera prendre avantage des différentes possibilités d’appel en vue de repousser les échéances. En tout cas, que ce soit du côté de la direction générale du Central CID, supervisant toute la série d’enquêtes criminelles avec Navin Ramgoolam comme Prime Suspect, ou dans le camp des hommes de loi de Nandanee Soornack, le rendez-vous de mardi à Parme s’annonce crucial pour la suite des événements.
Les recoupements d’informations effectués par Week-End auprès des sources concordantes indiquent que la balle est dans le camp de celle qui régnait en « véritable maîtresse » derrière les rideaux au Prime Minister’s Office jusqu’à la chute du régime Ramgoolam. « Nandanee Soornack will have to show cause before the judge in Italy on Tuesday why she should not be sent back to Mauritius », fait-on comprendre dans des milieux qui suivent l’évolution de ce dossier de manière systématique.
À ce jour, « Madam Ou Koné Ki Mwa » a articulé sa défense sur deux axes majeurs pour contester son rapatriement de force à Maurice, à savoir qu’elle détient un titre de séjour en bonne et due forme en Italie, qui est valide jusqu’en 2017, et qu’à sa connaissance elle n’a commis aucun acte répréhensible justifiant sa déportation de son pays d’adoption et ensuite que si jamais elle était renvoyée à Maurice, des menaces de « forced labour » pèseraient sur sa tête au cas où elle serait condamnée pour des délits sous la Prevention of Corruption Act.
Avec ce dernier risque allégué, Nandanee Soornack a touché à une corde sensible sur le plan de la protection des droits fondamentaux des autorités en Italie, au point où celles-ci ont sollicité des éclaircissements de la part de l’Attorney General’s Office à Port-Louis. « Devant ces allégations de la prévenue, Maurice a écrit officiellement en Italie pour rappeler que le pays est respectueux des droits de l’homme, que les peines d’emprisonnement faisant partie de la Statutes Book sont conformes aux principes en vigueur en Italie aussi bien qu’en Europe, et que des sections relatives de la Constitution sont littéralement un copier-coller des dispositions de la Convention des droits de l’homme en Europe », ajoute-t-on tout en se disant confiant d’avoir dissipé des craintes chez les autorités italiennes.
Bien que « positively optimist » quant à la décision du tribunal de Parme de mardi pour un éventuel ordre confirmant l’extradition de Nandanee Soornack à Maurice, ces milieux préfèrent maintenir un low profile jusqu’à l’annonce formelle au plus tôt mardi ou même après dépendant du tribunal. Puis, il y a le fait que des procédures d’appel sont possibles contre toute décision du tribunal dans un sens comme dans l’autre.
Commissions
Pour justifier les procédures d’extradition, la partie mauricienne s’appuie sur le fait que « la présence de Nandanee Soornack à Maurice est d’une importance capitale au vu des accusations de trafic d’influence sous la Prevention of Corruption Act portées contre elle et que les enquêteurs du Central CID ont besoin de consigner sa version des faits avant de décider de la marche à suivre ». Il ne fait aucun doute qu’en cas de retour de l’ancienne partenaire d’affaires du patron de Fashion Style, qui bénéficie aujourd’hui d’une immunité totale, devra subir toute une série d’interrogatoires under warning sur divers scandales déterrés depuis l’avènement du gouvernement de Lalyans Lepep.
Le premier dossier devrait être le versement des commissions d’un montant de Rs 100 millions par Dufry, la société basée en Suisse ayant décroché le contrat de management et d’approvisionnement en produits de luxe pour les boutiques de Mauritius Duty Free Paradise Ltd que ce soit au Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport et au Sir Gaëtan Duval Regional Airport à Rodrigues. Au terme du Sales Agency Agreement signé entre la société Frydu avec Nandanee Soornack en tant que paravent, les Suisses de Dufry étaient tenus à verser des commissions représentant 4,2% du chiffre d’affaires réalisé par les boutiques hors-taxes.
Cette affirmation de commissions suite à l’octroi du contrat à Dufry par Mauritius Duty Free Paradise Ltd est étayée par des virements bancaires, soit six au total pour un montant global de Rs 100 millions entre le entre le 25 octobre 2012 avec un premier transfert de 431 000 euros et le 16 janvier 2015, commission payée à Ramgoolam et consorts même après la déroute aux élections du 10 décembre dernier. Ces paiements ont été effectués dans des comptes opérés à la VP Bank de Zurich et ensuite à l’Union Bancaire Privée de Genève au profit de la compagnie de Nandanee Soornack, comme suit :
25 octobre 2012 : 431 000 euros ;
3 mai 2013 : 211 351 euros représentant les 4,2% sur des ventes de Rs 10,2 millions ;
21 octobre 2013 : 469 719 euros – à cette même époque Nandanee Soornack er Rakesh Gooljaury sont forcés à abandonner leur participation au sein de Frydu pour favoriser l’entrée en scène de Wigan Holding Ltd, basée à Nicosie à Chypre avec pour principaux protagonistes Frank Gleeson, Benjamin Muscat et Steward Blackburn, ces derniers étant également des partenaires au sein de GlobalCapital plc de Malte, société où le Chairman Emeritus de BAI, Dawood Rawat, détient une majorité dans l’actionnariat ;
6 février 2014 : 389 558.20 euros de commissions ;
6 juillet 2014 : 337 134.50 euros de commissions versées à l’Union Bancaire Privée de Genève ;
16 janvier 2015 (même si Navin Ramgoolam n’est plus Premier ministre) : 296 466.75 euros sur des ventes de 6,5 millions d’euros.
L’éventuel interrogatoire de Nandanee Soornack, si elle accepte volontairement de répondre aux questions des hommes de l’assistant commissaire de police, l’ACP Heman Jangi, au lieu de garder son droit au silence sur le volet des commissions de Rs 100 millions versées par les Suisses de Dufry, devrait être révélateur des dessous de cette sinistre affaire d’extortion de fonds. Jusqu’ici, elle a soutenu, par la voix de ses conseils légaux, dont Me Raj Boodhoo, qu’à aucun moment elle n’a bénéficié de ces fonds détournés de Mauritius Duty Frre Paradise Ltd sous prétexte d’un Sales Agreement Agency.
Madam Ou Koné Ki Mwa ira-t-elle jusqu’à tout révéler sur ces commissions de Rs 100 millions ou encore les bearer bonds investis au Luxembourg au point de corroborer les aveux de Rakesh Gooljaury ? Difficile à dire vu les liens étroits qui retiennent Nandanee Soornack à Navin Ramgoolam.
Mr Sharp
Comme dans le dossier du BAI Mega-Financial Scam, dont le principal protagoniste Dawood Rawat est hors de portée des limiers du Central CID en raison d’un passeport français, dans le dossier consacré aux commissions de Rs 100 millions, le même scénario de missing link devrait intervenir. Ainsi, le dénommé Frank Gleeson, qui est le propriétaire de la campagne de Victor Hugo à Paris, Irlandais de naissance, est également détenteur d’un passeport français. Donc, aucune possibilité d’entendre cet apporteur d’affaires recommandé à Navin Ramgoolam par l’ancien président français Jacques Chirac il y a de cela dix ans, faute d’un traité d’extradition avec la France.
Pourtant, Frank Gleeson, connu sous le nom de Mr Sharp, en sait des choses dans les big deals conclus sous les deux précédents gouvernements de Navin Ramgoolam. Et pas seulement le contrat de Rs 41 milliards pour doter la compagnie aérienne nationale, Air Mauritius, de six Airbus A350-900. Il était aussi au centre des transactions relatives aux commissions de Dufry. Ce n’est pas l’ancien Chief Executive Officer d’Air Mauritius, André Viljoën, qui dira le contraire. Il a été au centre de ces tractations délicates, au point de se demander ce que celui-ci avait à faire les versements bancaires de Dufry à Frydu et à Wigam Holding Ltd.
En tout cas, un message e-mail en date du 14 novembre 2014, soit à moins d’un mois du jour du scrutin pour les élections générales, est révélateur à plus d’un titre. À 17h31 ce jour-là, Frank Gleeson avait transmis au CEO d’Air Mauritius un message électronique de sa société Glibro avec des instructions très précises au sujet du contrat d’Airbus et des réunions avec les représentants de Dufry. La teneur de cette correspondance confirme la participation active de l’ancien Premier ministre dans ces intrigues de haut niveau, avec en prime des commissions alléguées.
Frank Gleeson écrit à l’attention d’André Viljoën au sujet du contrat pour le renouvellement de la flotte d’Air Mauritius que « it is agreed with the Prime Minister that we’ll have to wait for Seabury analysis and your conclusions before fixing the date of our meeting », tout en exprimant le souhait que « hopefully we will meet before the elections but the Prime Minister’s schedule will be tough as we get closer to the election ».
« Defining moment »
Dans cette même perspective, Mr Sharp aborde le volet de Dufry où, techniquement, l’ancien CEO d’Air Mauritius ne devrait avoir aucun « direct interest or concern ». Avec son départ pour un nouveau poste à la tête de Fiji Airways, cette zone d’ombre demeurera, à moins que Nandanee Soornack ne décide d’éclairer la lanterne des limiers du Central CID. En effet, Frank Gleeson confirme à André Viljoën que « we are postponing the meetings with Dufry (Duty Free) until late January ». Encore plus difficile à dire quel devrait être l’agenda de ces consultations.
Par ailleurs, Nandanee Soornack, qui avait été appréhendée en Italie par des carabinieri le 16 avril dernier, fait également fait face à deux autres accusations communiquées aux autorités italiennes, soit le délit de blanchiment de fonds de Rs 30 millions avec l’acquisition de la campagne Maingard à Floréal et de complot dans les incidents survenus dans la nuit du 2 au 3 juillet 2011 au bungalow de Navin Ramgoolam à Roches-Noires et lors desquels l’ancien Premier ministre fut agressé au tournevis par un suspect, dont l’identité attend toujours confirmation formelle.
D’ici mardi, la pression montera d’un cran, le temps que la justice en Italie décide de trancher sur cette première demande d’extradition, dont les conséquences pourraient constituer un defining moment dans le devenir de l’ancien Premier ministre et leader du Parti Travailliste…
 
En marge des scandales
Arbitrage à Rs 35 milliards : la guerre des nerfs — Les conseils légaux internationaux engagés par le gouvernement et le groupe BAI Co (Mtius) Ltd dans l’affaire de l’arbitrage international avec des réclamations éventuelles de Rs 35 milliards pour « Deprivation of Property », se livrent à une véritable guerre de nerfs. En effet, dans les délais de trois mois après réception de la mise en demeure du Chairman Emeritus de BAI, Dawood Rawat, les hommes de loi de Lalive (Genève), avec le Dr Vijo Hesikanen, un Finlandais, en tant que Lead Counsel pour le gouvernement, ont contesté formellement la démarche.
Dans une correspondance adressée aux hommes de loi de Dawood Rawat, la partie mauricienne a communiqué ses observations en qualifiant les réclamations de « vexatious ». Ils s’appesantissent sur le fait que « la demande ne comporte aucun mérite et que Dawood Rawat a toujours effectué des investissements et des placements à Maurice en tant que Mauricien et n’a jamais fait prévaloir sa nationalité française à cet effet. Et cela depuis les années 1980 ». Sur la base de ces prémisses, il ne peut se prévaloir des dispositions du traité protégeant les investissements français à Maurice.
Depuis cet échange de correspondance, les ponts sont coupés entre les deux parties en vue de ne pas donner d’indications quant au prochain move envisagé dans cette affaire d’arbitrage suite au démantèlement de l’empire Rawat. « À eux de décider s’ils veulent aller en arbitrage », indique-t-on dans les milieux concernés à l’hôtel du gouvernement.
De son côté, dans une communication à notre confrère Le Mauricien, Dawood Rawat, qui rejette les accusations portées contre lui, réitère son intention d’aller en arbitrage. Affaire à suivre…
 
Le prêt de Rs 40 M de Bramer à Ramgoolam au peigne fin — Le Central CID a pris la décision de passer au peigne fin toutes les procédures adoptées au sein de Bramer Banking Corporation Ltd en vue d’accorder le prêt de Rs 40 millions à l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam. Ce prêt, qui n’a jamais été remboursé, a servi à financer l’acquisition du bungalow de Roches-Noires. La demande d’emprunt avait été logée à la banque de Dawood Rawat dans la matinée du 18 novembre 2010 et le montant décaissé en cours d’après-midi du même jour. En janvier 2011, ce prêt fut converti en découverts bancaires.
Tous les membres du Credit Committee de la Bramer Banking Corporation Ltd devront être entendus under warning, notamment Hassam Vayid, ancien banquier de la Mauritius Commercial Bank reconverti à sa retraite sur le board de la Bramer, qui est attendu dans les prochains jours pour des explications sur ce traitement spécial accordé à Navin Ramgoolam. Au cours de la semaine écoulée, le banquier Yatelani Gujadhur, qui a siégé sur cette même instance, a été longuement entendu sur ce dossier, de même que Swadeck Taher, Chief Executive Officer de Bramser Services Group, un des signataires de la lettre de garantie à la Bramer Bank en faveur de Navin Ramgoolam.

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