Le Qatar dit ouvrir grands ses bras aux supporteurs du monde entier dans l’optique du Mondial-2022 dans l’émirat conservateur, mais certains restent sceptiques, dans un pays où l’homosexualité reste théoriquement passible de la peine de mort.
« Nous vivons dans une société où les homosexuels ne sont pas encore reconnus. Etre gay est +haram+ », déclare à l’AFP un barman gay philippin de Doha, en référence au mot arabe utilisé pour désigner les interdits dans la religion musulmane.
« Le Qatar n’est pas encore prêt », poursuit le jeune homme qui s’exprime sous le couvert de l’anonymat.
Même si aucune preuve d’une volonté malveillante n’existe à ce jour, ce ressortissant philippin, au fil de l’échange, dit notamment craindre que la police surveille les applications de rencontres entre personnes de même sexe, et expulse les homosexuels.
Contrairement à d’autres pays du Golfe, les applications de rencontres homosexuelles ne sont pas bloquées au Qatar, mais les utilisateurs y affichent rarement leur visage.
Si Doha n’abrite aucun lieu ouvertement gay, une poignée de bars sont connus pour accueillir une clientèle homosexuelle: personnel des compagnies aériennes, employés de l’hôtellerie et autres expatriés, dans un pays où la grande majorité de la population est étrangère.
– « Notre culture » –
En septembre, le chef de l’organisation du Mondial-2022, Nasser al-Khater, a donné des gages d’ouverture. « Tout fan, quel que soit son sexe, son orientation (sexuelle), sa religion ou sa race, doit être assuré que le Qatar est l’un des pays les plus sûrs du monde, et qu’ils seront tous les bienvenus », a-t-il assuré.
Dans un pays qui applique la charia (loi islamique), le responsable a toutefois appelé à respecter la pudeur de mise dans l’émirat, qui se prépare à accueillir l’un des plus grands événements sportifs et festifs au monde, avec ses inévitables scènes de liesse.
« Les manifestations publiques d’affection sont désapprouvées, cela ne fait pas partie de notre culture, et ça s’applique à tout le monde », a prévenu Nasser al-Khater.
Récemment, les organisateurs du Mondial-2022 se sont rendus en Grande-Bretagne pour rencontrer des fans de Liverpool, dont les Kop Outs, un groupe des supporters LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), ont indiqué à l’AFP des personnes informées de cette réunion.
Paul Amann, fondateur des Kop Outs, qui comptent 150 membres et des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux, a ensuite effectué une visite à Doha avec son mari, en novembre, à l’invitation de ces organisateurs.
« Il y avait clairement une certaine appréhension, mon mari a dit la veille du départ qu’il aurait préféré ne pas avoir accepté », a commenté M. Amann dans un rapport pour Kop Outs dont l’AFP a obtenu une copie.
Contacté par l’AFP, cet employé municipal de 50 ans s’est néanmoins dit « très satisfait » de la politique d’ouverture affichée par Doha.
« Inutile d’être paranoïaque, les gens ne vont pas se mêler de vos histoires personnelles », a-t-il avancé.
« Si les gens suivent le conseil de ne pas manifester publiquement leur affection, je n’imagine pas qu’ils puissent être identifiables », a-t-il encore argué.
– « Niveau de tolérance » –
Mais la pudeur prônée par l’émirat conservateur ne convient pas, par avance, à tous. C’est même « le plus dur », estime un chorégraphe sud-africain homosexuel, en visite à Doha.
« On ne réalise pas à quel point il est difficile de se contrôler soi-même (surveiller son comportement, NDLR) tant qu’on n’y est pas confronté », a-t-il fait valoir auprès de l’AFP, en souhaitant là aussi conserver l’anonymat.
Lors d’une récente visite du Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, trois experts indépendants ont eux constaté le maintien en détention d’une personne transgenre, « jusqu’à ce qu’elle change de comportement ».
Les experts indépendants ont aussi fait état de la détention d’individus en raison de « crimes » liés à leur orientation sexuelle.
« Personne ne devrait être détenu au motif de la personne qu’il aime », a souligné à l’AFP Elina Steinerte, une spécialiste lettone des droits humains qui a pris part à cette visite.
La question avait déjà abordée à l’occasion du Mondial-2018 en Russie, où les militants LGBT sont souvent l’objet d’hostilité et de violences.
Lors de la compétition, le réseau international FARE, qui lutte contre les discriminations dans le football, avait ouvert à Moscou une zone de projection de matchs pour les fans de football gays et des minorités ethniques.
Ni la Fédération internationale de football (Fifa), ni les organisateurs qataris n’ont annoncé leur intention d’accepter de tels événements lors du Mondial-2022.
« Nous avons en tête quelque chose de similaire mais nous devons voir ce qui est possible », a de son côté déclaré à l’AFP Pavel Klymenko, membre de FARE. Pour lui, « les Qataris sont doués pour dire que tout va bien. Mais, en réalité, le niveau de tolérance sur ces questions pourrait être bien inférieur à celui de la Russie. »
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