Nucléaire iranien : l’accord international ne tient plus qu’à un fil

L’accord sur le nucléaire iranien de 2015 est presque vidé de sa substance après que Téhéran a annoncé dimanche la levée de toute limite à son équipement en centrifugeuses, utilisées pour la production de combustible nucléaire.

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L’Iran a cependant fait preuve d’une prudence stratégique en évitant de dénoncer frontalement ce texte qui lie le pays aux grandes puissances, laissant à tous les acteurs une ultime marge de manoeuvre dans un contexte régional explosif, selon les analyses recueillies par l’AFP.

Quel effet immédiat de l’annonce ?

« C’est plutôt un soulagement, Téhéran reste dans la continuité » de ses précédentes annonces, a réagi auprès de l’AFP un diplomate bon connaisseur du dossier.

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L’Iran est « politiquement très prudent » car « il ne dit pas +nous quittons l’accord+ », note l’expert Robert Kelley, un ancien directeur des inspections de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA).

Après plusieurs mois durant lesquels la République islamique a pris une série de mesures de désengagement de l’accord signé à Vienne en 2015 pour garantir la nature pacifique de son programme nucléaire, la communauté internationale appréhendait la nouvelle annonce de ce pays.

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L’escalade des hostilités entre Téhéran et Washington, après l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani, tué vendredi par une frappe aérienne américaine à Bagdad, a encore dramatisé l’enjeu.

La décision de lever toute restriction sur les centrifugeuses « est moins dure que celle redoutée sur le passage à un enrichissement de 20% », écrit sur twitter Ali Vaez, directeur du projet Iran à l’International Crisis Group.

En vertu de l’accord de 2015, l’Iran n’a le droit d’enrichir de l’uranium qu’à hauteur de 3,67%, bien en deçà des 90% requis pour fabriquer une bombe.

En rétorsion au retrait des Etats-Unis de l’accord en 2018 et au rétablissement de sanctions économiques, le pays s’est affranchi de ce plafond et enrichit actuellement à 5%, niveau permettant d’alimenter les centrales pour la production d’électricité.

Enrichir à 20% laisserait suspecter des visées militaires.

Autre point clé pour les défenseurs de l’accord de Vienne : Téhéran a réaffirmé dimanche poursuivre sa collaboration avec les inspecteurs de l’AIEA qui vont donc continuer d’avoir accès aux sites nucléaires du pays.

« Le JCPOA (sigle de l’accord) est peut-être un zombie mais il n’est pas encore mort », selon Richard Johnson de l’ONG américaine Nuclear Threat Initiative (NTI).

Des centrifugeuses, pour quoi faire ?

Les centrifugeuses sont indispensables à la production d’uranium enrichi.

Après l’accord de Vienne, l’Iran avait réduit à 5.060 le nombre de ses centrifugeuses en activité (contre plus de 19.000 auparavant), s’engageant à ne pas dépasser ce nombre pendant dix ans.

En septembre, le pays a revu ces dispositions en lançant, en nombre limité, sur son site nucléaire de Natanz des centrifugeuses de technologie avancée proscrites par l’accord. En novembre, il a relancé l’enrichissement dans les centrifugeuses de l’usine de Fordo.

Quelle dimension va donner Téhéran à ses installations après sa nouvelle annonce ?

« On va rentrer dans une période d’attente où l’on va voir ce que les opérateurs font sur le terrain », explique la source diplomatique, selon laquelle « c’est en fonction des éléments techniques que les Iraniens fourniront à l’AIEA qu’on pourra se faire une idée » du potentiel d’enrichissement.

Pour l’analyste Kelsey Davenport, de l’institut Arms Control, il faut voir « combien de centrifugeuses supplémentaires va installer l’Iran et combien vont être utilisées pour produire de l’uranium enrichi ».

L’assemblage des centrifugeuses en cascades -montées en séries, qui améliorent et accélèrent le processus d’enrichissement- sera aussi déterminant.

Pourquoi le temps presse ?

L’objectif de l’accord était de porter à au moins un an le temps nécessaire à l’Iran pour se doter de la bombe atomique si le pays en avait l’intention, ce qu’il a toujours nié.

Le compte à rebours est virtuellement engagé depuis que l’Iran a lancé son plan de désengagement de l’accord et recommencé à accumuler de l’uranium enrichi au-delà la limite autorisée.

Après les multiples mesures de révision des contraintes prises par Téhéran, ce délai, connu sous le nom de « breakout time », est passé à un peu moins d’un an, selon l’analyste Kelsey Davenport.

Si l’Iran passait à un taux d’enrichissement de 20% combiné à une augmentation significative de la capacité de ses centrifugeuses, il se réduirait encore.

« Il n’y a plus aucun obstacle entravant le programme nucléaire de la République islamique d’Iran sur le plan opérationnel », qu’il s’agisse de « la capacité à enrichir, du niveau d’enrichissement, de la quantité de matériau enrichi, ou de la recherche et développement », a déclaré Téhéran dimanche.

Le pays a de nouveau à souligné que ces mesures de désengagement sont réversibles si les sanctions américaines rétablies en 2018 sont levées.

L’impasse diplomatique actuelle rend ce scénario peu probable, mais l’Iran « joue le jeu jusqu’à la toute, toute fin, de façon à dire +nous n’avons jamais quitté l’accord+ », estime Robert Kelley.

smk/cr

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