95 ans de souveraineté française à Maurice, 300 ans d’influence française

Le 20 Septembre 1715, il y a 300 ans, le Capitaine de Vaisseau Guilhaume Dufresne d’Arsel, au nom du Roi de France, plantait solennellement le drapeau fleurdelisé sur le sol de Mauritius, et lui donnait un nouveau nom: l’Isle de France. Ainsi, une dizaine d’années après l’échec de la colonisati on hollandaise, commencera, pour « l’Etoile et la Clé de la Mer des Indes », une souveraineté française à laquelle mettra fin la conquête militaire de l’île par les Anglais en décembre 1810.
Cet anniversaire est une occasion, saisie par de nombreuses et éminentes personnalités, de faire un bilan de ce que la colonisation française, d’un siècle, a apporté de positif comme de négatif dans la construction de la Nation mauricienne. Je souhaite, modestement, y ajouter mon propos. Parmi les aspects positifs, je retiendrai ce formidable cadeau fait par les habitants d’origine française à leurs compatriotes: le maintien et le développement de la langue et de la culture française, qui seront si enrichissants pour l’île Maurice, multilingue et multi culturelle.
En effet, dès 1810, toute la population libre de l’Ile, blanche et métisse, décide spontanément de maintenir très haut le Français et le Créole, qui en est dérivé. Ce n’était pas si évident. Certes, le Traité de Paris de 1815 qui consacre la souveraineté de la Couronne britannique sur Maurice, Rodrigues et les Seychelles, stipule que la nouvelle puissance coloniale respectera la langue et la religion des colons français ainsi que le Code Civil, institué par Napoléon, mais, du jour au lendemain, l’Anglais devient, tout de même, la langue de l’Ecole et de l’Administration, les bourses d’études supérieures seront pour Oxford et Cambridge. Et, le gros des importations et exportations se faisant désormais avec la nouvelle Métropole, l’Anglais devient, de facto, aussi, la langue des affaires.
La presse française plus lue
Comment s’y sont pris les colons français? Tout d’abord en maintenant le Français et/ou le Créole comme langue du foyer familial et donc langues maternelles des nouveaux nés, quitte à ce que l’enfant aborde son premier jour d’école en Anglais, sans en connaitre un mot. Ensuite, en maintenant le Français et le Créole dans la vie quotidienne et la vie culturelle : Le seul journal existant, le Cernéen reste en Français et les nouveaux journaux qui paraitront seront presque tous en Français. La presse française continue à arriver dans la nouvelle colonie britannique et est bien plus lue que la presse anglaise. Le théâtre amateur est Français, et les écrivains mauriciens, romanciers, poètes, historiens, chroniqueurs préfèreront presque tous le Français à l’Anglais pour leurs écrits. Le théâtre de Port-Louis, inauguré en 1820, va accueillir des troupes françaises en tournée dans l’Océan Indien et des groupes de théâtre amateur locaux, et attirera des spectateurs venus des 4 coins de l’île, pour une brillante « saison théâtrale » annuelle.
La population d’origine française reste aussi très attachée au mode de vie de son pays d’origine et de nombreux petits commerces à Port-Louis, importent des produits français : vins et spiritueux, articles vestimentaires (gants, chapeaux, etc.), du dernier chic parisien, objets décoratifs et d’ameublement de France… Les publicités (on disait, à l’époque, les réclames) du Cernéen témoignent de cette affl uence de produits français, inhabituelle dans une colonie britannique. Les commerces qui vendent ces produits appartiennent soit à des Mauriciens, soit à des Français fraichement arrivés, lesquels, pour la plupart, s’implanteront défi nitivement à Maurice.
Les Mauriciens d’origine française arriveront même à l’exploit de faire apprécier le Français et le Créole au nouveaux immigrants indiens ou chinois au point que le Créole devient la langue comprise et parlée par toute la population du pays et que le Français est très souvent préféré par de très nombreux journalistes, écrivains, historiens, d’origine indienne ou chinoise. Il faut souligner aussi que les étrangers venus travailler à Maurice, qui épousent des Mauriciennes, se mettent au Créole et au Français et que, leur descendance, dès la première génération, devient francophone.
Pendant la période britannique, la représentation de la France à Maurice, est la même que pour toute autre colonie de la Couronne: un Consul, traitant l’état civil des Français et les visas, sans aucun moyen d’action culturelle. C’est dire le mérite de cette population à maintenir une vie culturelle française.
L’Alliance Française
Et voici que se crée, à Paris, en 1883 l’Alliance Française, destinée à diffuser la langue et la culture française dans le Monde. Quelques Mauriciens et Français de Maurice, déjà très engagés dans la vie culturelle locale, y voient une opportunité formidable d’amplifi er leur action. Et ainsi, dès l’année suivante, en 1884, ils créent une section locale de l’Alliance Française (la première après Paris), abritée dans les locaux du Consulat de France, qui va organiser des cours de Français pour enfants et adultes, gratuits pour les ménages à faible revenus, des concours de dissertation, d’art dramatique et de poésie, et même des bourses d’études supérieures en France. L’Alliance, fera aussi la promotion de la production littéraire locale d’expression française, dans ses cours, bien sûr, mais aussi en éditant une Revue Littéraire, la première dans le pays.
Chaque année, c’est l’Alliance Française qui se charge, avec le Consul, de l’organisation de la célébration de la Fête Nationale française. L’apothéose sera le 14 Juillet 1889, pour le centenaire de la prise de la Bastille. Tandis que la Tour Eiffel était inaugurée à Paris, à Port-Louis, l’un des fondateurs de l’Alliance, l’ingénieur Sumeire, a construit, pour l’occasion, une Tour Eiffel miniature, atteignant tout de même, 15 mètres de hauteur, qu’il installe sur la Place du théâtre, laquelle place est abondamment pavoisée aux couleurs françaises. A l’intérieur du théâtre, dans une salle comble, un autre fondateur de l’Alliance de Maurice, Jules Rouhier, ancien acteur du théâtre de l’Odéon à Paris, installé depuis une dizaine d’années dans l’Ile, joue, en solo, une pièce de l’auteur créole Fernand Duverger. A la fin de la représentation le public entonne spontanément « La Marseillaise », suivie d’un « God Save the Queen », pour témoigner leur allégeance à leur seconde Patrie, et à leur Souveraine, la Reine, Victoria.
Après la lecture de cet hommage aux colons français de l’île Maurice pour leur préservation de la langue et de la Culture française, la première question qui vient à l’esprit est: « Comment des personnes si attachées à leur racines culturelles, à leur religion, à leurs coutumes ont-elles pu mépriser, à ce point, ces mêmes valeurs pour d’autres peuples ? »
Je ne parle pas ici de toute la population libre de l’île, mais de ceux d’entre eux impliqués dans l’esclavage: les armateurs qui, tous pratiquaient la traite, les planteurs propriétaires d’esclaves et l’Etat qui possédait plus d’esclaves que tous les planteurs réunis.
Certes, l’esclavage, l’une des grandes barbaries de l’Histoire de l’Humanité, qui avait cours, à cette époque partout dans le monde, c’est l’exil, le travail forcé, le droit de cuissage du propriétaire et même le droit de vie et de mort, en cas de marronnage, mais fallait-il rajouter à cette souffrance, la destruction systématique de l’identité, de l’héritage socio-culturel, bref, des racines de celui que l’on mettait en esclavage ?
Jugeons-en: baptisés sur le pont du bateau avant de rejoindre, enchainés, le fond de cale, affublés d’un nouveau nom imprononçable pour eux et d’un patronyme souvent dégradant ou ridicule, ils ont été privés de leur langue, de leurs croyances animistes et des rites qui y étaient attachés, dont les très importants rites funéraires, de leurs coutumes, de leur art de bâtir, de leur musique, de leurs danses, de leurs instruments de musique, de leur artisanat, de leurs outils, de leurs habitudes vestimentaires et alimentaires …
Et, du reste, dans la langue créole et le Séga, qui seront la culture de remplacement que vont se créer les esclaves, rien ou presque rien ne transpire des cultures malgache ou africaines de leurs origines.
Le clergé catholique de l’époque porte aussi sa part de responsabi lité, tant ces conversions forcées sont loin du message de l’Evangile qu’il était censé propager. Et il faut noter que les missionnaires catholiques et protestants, un siècle plus tard, à Madagascar et sur le Continent africain, considèreront les croyances et pratiques animistes des populations, compatibles avec la foi chrétienne et qu’encore, aujourd’hui, ces pratiques cohabitent avec la pratique fervente des religions chrétiennes.
Les Gouverneurs français de la Colonie, (y compris le grand Mahé de Labourdonnais) portent aussi une part de responsabilité car ils avaient le pouvoir d’exiger que soient traités plus humainement les esclaves appartenant à l’Etat, et en plus, celui d’imposer aux armateurs, aux planteurs, et à tous les propriétaires d’esclaves, le respect de leur dignité humaine.
Quelle différence avec l’immigration des travailleurs agricoles indiens a Maurice connue sous le nom d’ « Engagisme », intervenue après l’abolition de l’esclavage. Les immigrés indiens bénéfi ciant de la protection de l’administration britannique, ont pu garder leurs noms de naissance, utiliser leurs langues, leur musique, leurs chants ; ils ont pu pratiquer leurs religions, construire des lieux de prières à l’intérieur des camps de l’industrie sucrière ou ils étaient cantonnés, conserver, leurs fêtes religieuses et leurs rituels funéraires, s’habiller dans leurs habits traditionnels, continuer à fabriquer leur artisanat, garder leurs habitudes alimentaires. Ils ont pu faire venir des pandits et des imams. Sur des portions de terre, offertes par des coreligionnaires commerçants ou planteurs et avec leur soutien financier, ils ont construit, durant la décennie 1850-1860, le premier temple Hindou (Maheshwarnath a Triolet), le premier Temple Tamoul (Kailasson à Port-Louis), les premières grandes Mosquées (Al Aqsa et Jummah) et la première Pagode (Kwan Tee), édifi ces de grande qualité architecturale, richement décorés qui font partie, encore aujourd’hui, des plus beaux édifi ces religieux du pays. Ils ont aussi pu acquérir des petites portions de terre pour le maraichage et l’élevage et y ont construit, selon les procédés ancestraux de leur pays d’origine, des huttes en pisé et chaume pour leur habitat et celui de leurs animaux, huttes appelées en créole: « lacaz tata vas ».
En conclusion, si les colons Français ont fait à la Nation mauricienne le cadeau de la préservation de la langue et la Culture française, ils l’ont privé de l’héritage culturel malgache et africain qui nous aurait autant enrichis que l’héritage européen ou asiatique. Ce qui fait que le lien du Peuple mauricien et rodriguais avec Madagascar et le Continent africain est un lien purement sentimental, sans fondement socio-culturel. Quel dommage !
Certains voudraient faire porter la responsabilité de l’esclavage et des traitements qu’ont subis les esclaves, aux descendants des esclavagistes. Cela n’a aucun sens. On n’est pas responsable des actes de ses parents et le racisme et la barbarie ne sont pas héréditaires. Et s’il en fallait une preuve, notons que, dans la liste des héros mauriciens de la Deuxième guerre mondiale, et donc du combat contre la barbarie nazie, fi gurent de nombreux blancs et métis, descendants d’esclavagistes.
Ile Maurice, septembre 2015

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