CARNET D’UN MÉTISSE AU PAYS NATAL- MIKE ALAN ANDEE : Père et fils…

La semaine dernière, nous vous annoncions la parution du dernier volet des textes poétiques partagés par Mike Alan Andee. Mais les diverses réactions (préjugés, intimidations dont nous a fait part l’auteur) face à ce travail de poésie, nous poussent à publier un nouvel envoi du poète : Père et fils et l`île Maurice en danse. Entré en littérature, il y a cinq ans, Mike Alan Andee s’est un peu défait de ses engagements pour s’attacher à une oeuvre poétique propre. Son poème prend en charge le métissage, le réel. Mais il n’est rien de plus fragile que la capacité humaine d’accepter la réalité, de reconnaître le droit imprescriptible d’un poète, sa liberté, son droit d’appréhender le réel à sa manière. Car il y a chez Mike Alan Andee une poétique du déferlement des perceptions, idées, visions, qui s’entrecroisent dans le temps et l’espace changeants.
Père et fils perchés sur un monticule
L’édifice est inachevé, la demeure des métis profite d’une halte, père et fils posent nichés dans un de ces creux du temps où absence de vent et voiles abaissées imposent l’arrêt à la barque familiale. Du haut d’un monticule, d’une faille, de notre sommet himalayen où deux plaques s’affrontent, nous fixons du regard le même objectif. Le spectacle du violent heurt entre la Grande péninsule et l’Hexagone se dérobe à notre vision et ne se manifeste qu’à travers ce monticule sous nos pieds faits de basaltiques gravats. Les pierres extirpées de notre terre natale avant d’être broyées par d’énormes concasseuses gisent comme prémices de la fin d’une construction devant ce qui est l’entrée de la demeure et qui demain en sera l’avant-poste, mais également comme la mathématique prémisse de deux propositions qui aboutira au terme d’un long raisonnement à une inévitable conclusion. Cet amoncellement de gravats offre l’image de ce que nous sommes des êtres en devenir sur un terrain en perpétuel mouvement, fragments en cours d’unification incontournable étape précédant toute édification.
La rencontre brutale de ces deux lèvres de l’écorce terrestre s’annonce anatomiquement comme celle de deux pièces osseuses d’une articulation ankylosée, arthrosée, déformée. Une ligne interarticulaire ou plutôt intergénérationnelle délimite ici deux troubles liés aux temps, se signant l’un par une paresthésie causée par l’absence prolongée de mouvements et l’autre par une douloureuse raideur causée par une usure liée à des traumatismes répétés et par de métaboliques dépôts. Mais s’agit-il au fond de deux pathologies ou plutôt de la même à deux temps différents?, des mouches probablement sartriennes tournoyaient au-dessus de nos existences sans que pour autant de ce poste d’observation nos yeux ne cessent un instant de converger. La rencontre entre l’Inde et la France ne demeura en nous que sous forme de gênes présents dans nos chairs, loin de la conscience d’une telle constance biologique nous étions dans nos têtes distants de l’une comme de l’autre lointaines, mais néanmoins proches origines. La radio diffusait aux heures d’émission en langue indienne de généreuses et langoureuses musiques et chansons de Lata Mangeshkar, Mohamed Rafi, Kishore Kumar, Asha Bhosley et de Mukhesh, mon père y était fortement attaché par le coeur affichant ouvertement sa préférence pour les deux premiers : il me transmit religieusement sa dévotion à ces vibrations sonores tandis que ma mère vocalisant sur Edith Piaf m’introduisit au militantisme vocal francophonique et je devins un ardent dévot de Jean Ferrat. Nous ne nous sentions pour autant ni français ni indiens, tout au plus créoles ou mulâtres aux yeux de certains et malbars aux yeux des autres, à coup sûr perchés sans aucune étiquette sur un no man’s land et loin pour ce qui est de nos troubles existentiels de tout questionnement nosologique. En avançant dans le temps à quelques années-lumière de ce cliché lorsque la maison familiale fut entièrement achevée je rencontrai dans mon avancée Pithukuli, cette lumière populaire de la bhaktipaadal et en digne descendant de kuli je me mis à rivaliser en baryton avec Barry ce noir qui se nomme Blanc. Je pensais à ce moment-là avoir laissé Jean Ferrat et la musique sacrée que mon père entonnait en ténor le vendredi saint avec « Victoire tu régneras ô croix tu nous sauveras » ou Gloria in excelsis deo le jour de la nativité, je découvris à son décès que je les portais toujours en moi à mon insu. Je récuse aujourd’hui tout rapport discriminatoire entre l’une et l’autre musique sacrée, le sacré ne se nourrit d’aucune discrimination, je refuse de choisir entre Edith et Lata, Jean et Pithukuli, Bach et Arunagirinathar car je porte les deux gènes en moi et en moi se sont assemblées les deux chairs. Je ne partirai pas en croisade contre les pneumatomaques, et du souffle, ce pneuma des Grecs, qui émane de mes deux poumons, je chanterai jusqu’à m’époumoner que « Le poète a toujours raison » car comme dans Les Poètes « Je ne sais ce qui me possède et me pousse à dire à voix haute … » ou plutôt si je perçois la lumière d’une telle possession. De la présente halte sur cette ancienne halte mon regard convergeant vers l’universel je salue d’un clin d’oeil lunaire de l’oeil gauche la terre mère et d’un clin d’oeil solaire de l’oeil droit la déesse mère avant de reprendre ma route en chantonnant sur un rythme carnatique: ama ama taayé agilanedé swariniyé… mère que ton oeil, celui des trois qui projette le feu de la connaissance, en constante nourriture demeure posé sur nous car Maurice a faim. 

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