LE CHANT DE L’AUBE QUI S’ÉVEILLE : Entre tension et éclat

Pour son premier roman « Le chant de l’aube qui s’éveille » (La Maison des Mécènes, 2012), Brigitte Masson s’empare de l’histoire du passé (les années de braise ou le début des années 70 à Maurice) et travaille avec une part de vécu la complexité d’une nation multiculturelle. L’histoire racontée par la narratrice est inséparable d’une mémoire qu’elle tente de reconstruire en brouillant les pistes. Histoire, mémoire, histoire amoureuse : le roman offre des réflexions sur les enjeux identitaires contemporains de la société mauricienne. Dédoublement, récits fragmentés, remémorés, réels ou fantasmés, le roman met en scène les facteurs de la classe ou du genre. La narratrice est une jeune fille qui rentre au pays et découvre l’île Maurice de l’après indépendance avec son lot d’injustices et de tabous. Elle entame à la fois un parcours initiatique et un engagement politique, notamment auprès des dockers en grève.?Les événements (et sentiments éprouvés par l’auteur à l’époque et toujours présents) sont reconstruits par la transmission de récits. Le regard va du passé au présent. L’histoire reste une source précieuse que l’auteur manipule habilement et mêle à un récit intimiste sur le mode de l’introspection. Le titre du livre (un pléonasme) inaugure une tension entre passé et présent. Ce vers quoi tend « Le chant de l’aube qui s’éveille », dans cette tension, c’est vers l’espoir et l’éclat.?Outre le climat politique et intellectuel du roman ou la logique idéologique qui sous-tend le texte, la problématique reste ouverte sur tous les aspects de la vie quotidienne à Maurice : le combat des femmes, le rêve d’un monde meilleur. Le livre ne propose pas une intrigue précise mais dévoile un mal-être (caractérisé par l’exil, le nomadisme, l’enfermement). Entre création et tension, l’auteur multiplie les personnages, les transforme par son regard en sujets de son discours. Chacun venant illustrer un passé reconstitué. Le goût affirmé de l’auteur pour les digressions (récit/blog) et le jeu avec le lecteur, permettent de brasser de nombreuses questions connexes abordées dans le texte : l’absence d’engagement des jeunes, le manque de perspectives. L’auteure explore à rebours et pense la complexité d’une société. Elle nourrit un fantasme ou une nostalgie du passé et crée un espace ambigu qui est une constante négociation entre l’autre et soi-même. On retient la figure marquante de Diego, le docker, dont la relation avec la narratrice se heurte aux tabous. Il y a d’autres personnages (Sybille et Hervé Masson, Paul Bérenger, Madeleine Mamet, Herbert) saisis dans leurs combats, leurs contradictions, leurs pulsions pour amener à une sorte de compréhension humaine. Moments soulevés et suspendus, les blocs de présent et de passé s’entrelacent. Mais quels que soient les clivages de ces sensations, on entend davantage les messages d’espoirs. Il faut aller, notamment, écouter les poèmes dans le texte. « Le chant de l’aube qui s’éveille » est un roman qui mêle à sa langue, le présent, le passé, le futur. On pourrait reprocher à cette écriture par moment une trop grande maîtrise, un désir de faire de la forme. Mais l’auteure sait, par ailleurs, ce que c’est que casser la forme, faire place au relâchement ou à la nonchalance.?Ce qui ressort, à première vue, de son premier roman, ce sont les lignes de fêlures qui ouvrent des voies au moment où nous nous heurtons à une sorte d’impasse historique.?

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