EXPOSITION: Le dernier gong du dugong

Trois longs siècles qu’il avait disparu de nos eaux, et voilà le dugong qui refait surface. Des abysses de l’oubli, il remonte dans la mémoire pour ramener à flot le souvenir et sensibiliser sur le sort des survivants. Autour du mammifère marin, le Blue Penny Museum renouvelle l’iconographie de nos animaux endémiques disparus. Des tableaux, des sculptures, des écrits, des représentations, pour une exposition fort instructive qui dure jusqu’au 31 janvier. L’événement est sponsorisé par la Mauritius Commercial Bank.
“Nous en trouvions quelque fois trois ou quatre cents ensemble qui paissaient l’herbe au fond de l’eau (…)”, écrit l’explorateur français François Leguat (1637-1753). C’était au temps où le dugong vivait en toute quiétude dans les lagons de Maurice et de Rodrigues. Trois siècles après, même son souvenir a disparu. Si on en aperçoit parfois dans les magazines spécialisés, le temps d’un reportage, il reste difficile d’imaginer que l’espèce faisait partie intégrante de notre environnement marin avant l’arrivée de l’homme.
Boucherie.
Les mémoires de François Leguat permettent de comprendre comment s’est joué le drame : “Les plus grands ont autour de vingt pieds de long et n’ont aucune nageoire que la queue et les deux pates. Le corps est assez gros jusque vers le nombril, et la queue a cela de particulier avec celles des baleines, que la largeur en est horizontale, lorsque l’animal est posé sur le ventre. (…) La chair en est excellente et a le gout fort approchant de celle du meilleur veau ; c’est une viande fort saine. La femelle a des mamelles comme celles des femmes. (…) Nous prenions ce poisson fort facilement. Il paît par troupeaux comme des moutons, à trois ou quatre pieds d’eau seulement, et quand nous entrions au milieu d’eux, ils ne fuyaient point ; tellement que nous pouvions prendre celui que nous voulions, le tirer à bout touchant avec un fusil ; si bon nous semblait, ou nous jeter sur lui deux ou trois, sans armes, et le trainer à force de bras sur le rivage (…). Ils ont un lard ferme qui est excellent. Il n’y a personne qui à la vue et au goût, ne prit pas la chair de ce poisson pour de la viande de la boucherie.” Son extermination de nos eaux devient ainsi simple à comprendre.
Mythe.
On lui prête une tête de cochon, on en parle comme d’un boeuf de la mer… Pour faire simple, on le considère comme un cousin du dauphin. Certains ont même fait l’erreur de l’associer au morse et au phoque. De deux à quatre mètres de long, pouvant atteindre 900 kilos, avec deux petites incisives en forme de défenses pour les mâles, malgré son imposante stature, le dugong est un pur végétarien affectueux, peu méfiant. Aujourd’hui, il resterait moins de 40 000 individus vivant dans les eaux tropicales peu profondes et sauvages de l’océan Indien, du Golfe Persique et surtout, de l’Australie. “Considéré comme le mammifère marin le plus menacé, le dugong est à l’origine du mythe des sirènes. Le taux de reproduction bas de l’espèce (un seul bébé tous les quatre ans), sa sensibilité à la pollution et la destruction progressive de son habitat par l’urbanisation des côtes menacent gravement les populations mondiales qui sont aujourd’hui en chute rapide”, précise Emmanuel Richon, du Blue Penny Museum, dans un communiqué.
Mystère.
C’est pour contribuer à sauver le dugong d’une extermination définitive – y compris des mémoires – que le musée a décidé de le placer au centre de l’exposition qu’il consacre aux animaux endémiques disparus. Jusqu’au 31 janvier, l’occasion est donnée à tous les visiteurs d’aller à la rencontre de cette espèce qui a longtemps nourri les légendes et les histoires. Le musée accueille deux spécimens naturalisés, de même que quelques livres et reportages qui en parlent. On découvrira, par exemple, que même dans L’île Mystérieuse, Jules Verne cite et décrit ce cousin du lamantin.
Représentation.
L’exposition est un bel hommage qui sauve de l’oubli d’autres espèces relayées au placard par le dodo. Nous avions le perroquet à large bec, le perroquet mascarin, la chouette de Commerson, tout comme il y a la crécerelle, le pigeon des mares et quelques autres. Toute cette faune est représentée dans de belles et fières couleurs par les tableaux de Ria Winters, de l’association Artists fot the Environement. Le Blue Penny Museum présente aussi des sculptures en bronze de Nick Biby, prêtées par la Mauritian Wildlife Foundation.
“Dernier représentant de l’ordre des siréniens avec le lamantin, le dugong est un animal que nous devrions protéger en encourageant la mise en place et le financement durable de réserves marines naturelles littorales”, dit le musée. L’exposition est une démarche fort louable en ce sens. Par ailleurs, l’album A Treasury of Endemic Fauna sera lancé le 15 décembre et offrira une nouvelle iconographie naturelle des animaux endémiques de Maurice.

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