DE GOODLANDS À MEMPHIS : Yannick Nanette his blood is blues…

Il sera le 19 juillet prochain sur la scène du Paléo, grand festival en plein air de Suisse et événement musical majeur d’Europe. L’an dernier il s’est produit au prestigieux Jazz festival de Montreux. En 2014, il a représenté la Suisse au mythique Festival international de Blues à Memphis. Et il y a quelques jours, il a remporté cinq prix au Cahors Blues Festival. Lui, artiste international, c’est Yannick Nanette. Le gamin de Goodlands, aujourd’hui basé à Lausanne, trace en ce moment, avec son groupe The Two, un incroyable parcours où le blues se tripe en anglais et en créole. Et ça fait feu de toute voix…
À voir l’amplitude de la route de Yannick Nanette au cours de ces dernières années, on pourrait croire qu’il a chaussé des bottes de sept lieues. Son extraordinaire réussite actuelle ne relève pourtant pas du conte de fées. Et s’il a gardé cette fraîcheur, cette simplicité et cet enthousiasme qui font qu’il s’émerveille clairement de ce qui lui arrive, on sent bien qu’il y a, derrière cette explosion, beaucoup de détermination, de travail. De passion tenace.
Musicien, chanteur et danseur, Yannick Nanette aurait pu faire son miel d’une sympathique carrière dans le circuit hôtelier mauricien. Mais ceux qui rencontrent le jeune homme lors de ses débuts sentent d’emblée qu’il a, chevillées au corps, une curiosité, une envie, une exigence qui vont beaucoup plus loin.
La musique, ça court dans la famille Nanette. Son père et ses oncles ont la passion de la guitare, et c’est à travers l’un d’eux, le peintre Fabien Cango, qu’il découvre le monde du blues. Aux Jeux des Îles de 2000 à Madagascar, il se rend véritablement compte de la place de la musique dans sa vie. Soucieux de son avenir, ses parents tentent toutefois de lui faire valoir qu’il ne trouvera pas là un métier. Mais même s’il prend de l’emploi comme prof de design et de français au Collège la Confiance, il persévère, « ziska ki zot rann zot kont ki zafer-la,li dan mwa ».
Cette période est aussi pour lui celle du questionnement identitaire. Sur sa couleur de peau. Sur ses cheveux qu’il décide de laisser pousser. Ses employeurs le somment de retrouver le chemin du coiffeur. Il a recours au syndicat et résiste.
Sa route, il semble avoir toujours voulu la tracer à sa façon. Pas révolté, mais habité d’une foi particulière en ce qu’il veut, ou pas. C’est d’ailleurs au sein de l’Eglise catholique que débute son parcours musical. Membre du Groupe 40, il aurait même caressé le désir de devenir prêtre! Mais c’est une autre scène qui l’appelle. Comme celle des Enfants d’un Rêve avec Éric de Chasteauneuf.
Et puis il y a le Théâtre Talipot de la Réunion qui vient présenter à Maurice sa dernière création, Kala le feu. C’est le choc. « Je me suis dit: c’est pour ça que je vis ».
Percevant le potentiel brut de ce jeune homme charismatique, le directeur Philippe Pelen l’embauche pour sa prochaine création, Maravann, réunissant une pléiade d’artistes de l’océan Indien. Un spectacle puissant, où Yannick Nanette explose comme un soleil au milieu de la scène. Mais l’aventure tourne court pour Yannick qui claque la porte dès lors qu’il a le sentiment d’être exploité. « Ça a été une très grosse déception d’amour », confie-t-il.
Rentré à Maurice, il se joint à la compagnie Omada pour quelques créations. Un nouveau déclic se produit en 2009, lorsque Christine d’Andrès Guilloteau, psychomotricienne et chorégraphe suisse vivant à Maurice, lui propose de participer à sa création Liens iliens. L’aubaine vient de subventions suisses obtenues par la chorégraphe, pour partir trois semaines en résidence de création dans son pays d’origine, et y présenter la première du spectacle. « Je ne connaissais pas la Suisse. Je croyais que Genève était un pays », rigole Yannick!
L’expérience artistique qu’il y vit le comble. Christine d’Andrès lui parle alors d’une fondation qui offre des bourses pour poursuivre des études en Suisse. Pourquoi ne pas tenter de prolonger le Diploma in Fine Arts obtenu au MGI? Examen, interview. Deux heures après l’entretien, un coup de téléphone: ok, vous avez la bourse… »Laport inn ouver an gran ».
Il s’installe dans la montagne suisse, découvre une pédagogie stimulante, s’imprègne de tout. Mais la musique lui manque. Non loin de chez lui, il y a une salle de concert. Un samedi il s’arrête. Un band de funk américain effectue le sound check. « Un musicien est sorti. Je lui ai dit: lamizik-la mari bon, je joue de l’harmonica, j’pourrais jouer un morceau avec vous. Il était tellement défoncé qu’il m’a dit oui! A la fin du concert, j’ai chanté avec eux sur scène. Ils m’ont dit : toi tu restes avec nous! »
Le groupe s’appelle Brainless, et avec eux il va tourner tous les week-ends. Faute de train pour rentrer, il ira dormir chez le guitariste du groupe, Thierry Jaccard, à Lausanne. « Lui son univers est plutôt funk, hip hop. On se complète ».
Très vite, Thierry et Yannick découvrent le plaisir de jouer ensemble. Just The Two of them. Et le parcours de Yannick Nanette semble jalonné de ces cailloux qui font dire qu’il n’y a pas de hasard, juste des rencontres. « Un jour, un copain de Thierry nous a proposé de bosser comme bénévoles sur un festival de blues. A la pause, on s’est mis à jammer tous les deux. Tous les musiciens se sont groupés autour de nous. Eric McFadden, le chanteur et guitariste de Parliament, nous a dit: quand est-ce que vous jouez les gars, nous on veut vous entendre. On a répondu: nous on joue pas, on porte le matos. Il nous a lancé: demain vous jouez sur scène avec nous! »
Une nuit blanche et une scène de folie plus tard, nos deux compères se réveillent avec la gueule de joie: « on s’est dit ouais, on a notre place dans ces festivals! » Peu de temps après, Yannick est approché pour assurer la première partie du groupe Jimi Colors, qui fait des reprises de Jimi Hendrix. « On a monté un set de 45 minutes, avec nos chansons. The Two démarre là ».
On est alors en 2012. Et le groupe enchaîne les prestations dans les bars, les caves, les restos. Sa réputation grandit rapidement. En 2014, The Two est choisi pour aller représenter la Suisse à l’International Blues Challenge de Memphis, aux États-Unis. Yannick crée le buzz en chantant le Roseda de Ti Frère en créole. Qui les amène en demi-finale. Il n’en garde pas pour autant un souvenir ébloui. « C’était très business. Mais ça a été intéressant de voir ça ».
La même année, The Two sera le coup de coeur du off du Montreux Jazz Festival, le plus grand festival de jazz au monde. Et en 2015, c’est dans la programmation in qu’ils sont invités. Magique. Ils font ensuite la première partie de Johnny Hallyday à l’Arena de Genève, puis celle de John Mayall aux Docks.
Le choix du blues? « Pour moi, le blues ce n’est pas qu’une esthétique musicale. C’est l’histoire d’un communauté qui, pour dépasser la souffrance, a chanté. Après on peut appeler ça comme on veut. Ti Frere c’est du blues. Kaya, c’est du blues. C’est un esprit, c’est aller gratter dans les profondeurs, et en sortir ce cri vital qui dérange, et rage, et met en mouvement, et rassemble. Le blues, c’est une spiritualité, c’est une prière, c’est de la communion, c’est ce rapport avec ce qui nous dépasse, et nous maintient en vie, et nous permet d’avancer ».
Avancer, The Two n’arrête pas. En constante création, ils vont tourner dans les mois à venir à travers l’Europe et jusqu’au Canada. Tout cela en poursuivant leurs études: maîtrise en sociologie pour Thierry, en pédagogie pour Yannick.
Mais le rêve de ce dernier, aujourd’hui, serait de venir jouer à Maurice. Oui, c’est aussi à ce pays et à ceux qui ont accompagné son éveil humain et artistique que Yannick Nanette veut dire sa gratitude, ses doutes, ses questionnements, sa joie. Entre le génie de Kaya, le Blues dan mwa de son « bondié » Eric Triton, Labsans feeling décriée par Zanzak Arjoon, ses racines musicales, et affectives, sont là. On le ressent d’ailleurs dans le premier album de The Two, sorti en 2014. Une majorité de titres en anglais, comme Mojo on ou I got blues in my blood. Mais aussi deux titres en créole, l’incroyable reprise de Roseda, et Mama Nette, écrite par Yannick en souvenir de sa grand-mère et d’une enfance à Goodlands. Voix qui feule, steel guitars qui voyagent la mélancolie jusqu’à la jubilation: le blues de The Two, c’est du puissant. Et sur scène, ça déménage. « On veut que notre musique soit itinéraire, voyage, traversée. Dans nos concerts, ça commence gentiment. Après ça crie, ça gueule, c’est fou! Le pari, c’est que tu te rappelles que tu es un être vibrant! »
Alors avis aux organisateurs de concerts locaux: big talent on the road…

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