50 ans d’exil déjà – Chagos : redécouvrir le patrimoine culinaire de l’exil

Comme une balade dans le passé, le patrimoine culinaire des Chagos a été remis au goût du jour dimanche dernier. Forcés de quitter leur île natale, 50 ans après, les Chagossiens n’ont pas oublié leurs racines, encore moins le goût de leurs plats cuisinés sur Peros Banhos, Salomon, Diego. Le coco est indispensable dans leurs menus. L’initiative d’un salon culinaire a beaucoup plu, dimanche, au centre communautaire Charlesia Alexis de Baie-du-Tombeau. Les plats cuisinés qui ont fait voyager sonnent aussi comme un rappel du devoir de mémoire.

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Le soleil ardent ne décourage pas les Chagossiens réunis au centre communautaire Charlesia Alexis de Baie-du-Tombeau en cette journée dominicale. Un beau cliché s’offre aux yeux, l’épluchage et le râpage des noix de coco. Et cette petite astuce qui consiste à recueillir l’eau de coco dans un chiffon essoré et qui sert à préparer le seraz poul, des poissons, ourite ou même du sipay (gros crabe), selon la demande. Une technique courante connue sous l’appellation kame le coco.

La culture des Chagossiens tourne autour du coco. Cela, on l’a bien compris. Le seraz est traditionnellement cuit sans épices, sans huile ; on y ajoute du safran, de la menthe, du cotomili. Et voilà le fameux seraz qui affole les papilles.

Maudéa Saminaden, elle, prépare du muf, un dessert exécuté avec du riz et du lait de coco enveloppé dans des feuilles de bananes. « On laisse le riz trempé et une fois ramolli, on l’écrase et on laisse sécher au soleil, avant d’incorporer du lait de coco et de faire cuire enroulé dans des feuilles de banane. »

Le bred mouroum frit avec du piment est aussi une des spécialités de la cuisine des Chagos. Chagossienne de naissance qui a mal vécu la déportation, Maudéa évoque d’autres nourritures de son île comme le lalang vass, une sorte de brèdes, ou une bonne rougail avec des bilinbi long. On entend aussi parler du baka, faits de grains secs, fabriqués à partir de lentilles et du dholl mélangé avec du sucre et de l’eau et qui laisse place à une boisson alcoolisée après avoir fermenté. Quant à la boisson alcolisée appelée kalou, elle est faite à partir de la noix de coco.

« Ti promet nou lacaz bor la mer »

Quand Maudéa raconte son histoire, elle est tout émue. Elle est retournée en 2006 aux Chagos pour nettoyer le cimetière et l’église mais n’a pu rien ramener. À 73 ans, originaire de Peros Banhos qu’elle a quitté à 23 ans avec son mari et ses quatre enfants, elle ne peut que constater : « Boukou promess inn fer nou. » Maudéa avait embarqué sur le bateau Nordvaer pour une vie meilleure mais n’a connu que désillusions.

En débarquant du bateau, raconte-t-elle, elle a reçu Rs 10, montant remis à chaque exilé. Et on leur disait d’aller habiter Cité-la-Cure, puis Bois-Marchand avec ses laliann kabri. « Bien dir. » Devant le refus des exilés d’habiter des mansardes, le Docker’s Flat de Baie-du-Tombeau leur a été proposé. « Ti promet nou lakaz bor la mer. Monn fer 15 zan Baie-du-Tombeau. On n’avait rien. Finn aras nou dan nou zil. »

Repas qui rime avec la simplicité

À voir les Chagossiens et Chagossiennes réunis dans un même esprit d’équipe en train de mitonner des repas qui seront servis aux clients venus découvrir leur tradition, on ne peut qu’en être ému. Une saveur des mets authentique ! Même le roti est relevé de coco, ce qui n’est pas pour déplaire, car chaque repas rime avec la simplicité de vie des Chagossiens.
Haris Elysé, originaire de Peros Banhos, se souvient de sa déportation. Lui qui a été obligé de dormir dans la cale d’un bateau pendant quatre jours sur une palette en bois, après toutes les souffrances endurées, rejette le passeport anglais et se dit Chagossien « dans l’âme à vie et à mort ». Pour se changer les idées, Haris préfère orienter la conversation sur la cuisine des Chagos. Il explique que si toutes les recettes sont préparées avec du coco, c’est qu’aux Chagos, il y avait partout des cocotiers. Si en concoctant un seraz poul on souhaite une sauce plus consistante, il suffit d’ajouter un morceau de giraumon.

Autrement la cuisson se fait avec du poulet, de l’eau, et une fois que tout est en ébullition, il suffit d’attendre que l’eau sèche pour y verser de l’eau de coco et du piment. Et Haris Elysé d’ajouter. « Parfim la mem la dir tou. La cuisine chagossienne est faite pour le goût et le palais. C’est important d’avoir toujours des repas faits maison, une façon de garder intactes nos traditions. »

Une déchirure de l’âme vécue au quotidien

Suzette Baptiste, originaire de Diego Garcia, raconte sa déportation avec son jumeau qui était malade. « On a menti à ma mère en lui disant que quand mon frère serait guéri, on regagnerait notre île. Apre zot dir pa gagn drwa, Chagos fini vande. » Cette déchirure de l’âme, Suzette, la vit au quotidien tout en gardant la foi que sa prière sera exaucée. «Pou bizin gagn batay la pou regagn mo zoli ti zil. »

Dimanche, Suzette avait pour mission de faire un chutney au coco au Moulinex. « Metod modern aster, ne pli baba ros kari. Le chutney de coco est essentiel pour donner du goût au “seraz poul”. La cuisine chagossienne ne requiert pas d’huile, ni d’épices. Une manière de vaincre l’obésité, le cholestérol, le diabète. Seraz poul mo prefere. Li bien goute, mem dan lezo la ena gou koko, nek mass li. »

Quant à son amie Mary-Joyce Furcy, elle parle de son désir d’ouvrir un restaurant chagossien à Pointe-aux-Sables ou Port-Louis. « Ce projet est dans ma tête depuis belle lurette. Je fais du marketing, du bouche-à-oreille en attendant que mon vœu se réalise. L’idée est d’en faire un pont de ralliement avec Diego, Peros Banhos, Salomon. On peut avoir pris naissance dans des îles différentes, mais on reste tous liés par notre culture. Li ene fierte zordi montre morisien gou nou la kwizinn. Boukou pe atan sa avek inpasians. »

Et Suzette Baptiste d’ajouter que les repas aux Chagos permettaient de se caler l’estomac. « Pou lans proze restoran me kass fer defo, tro boukou papie administratif, demann tro boulou ti detay ki nou kominote pena. »

Cyril Furcy

Mimose Furcy, elle, s’attelle à la préparation d’un kichiri. La sœur d’Olivier Bancoult se rappelle être venue sur le dernier bateau à Maurice. Elle n’en dira pas plus, car dit-elle : « Fatigue rakonte. Zordi enn dimans dan la zwa, tou madam pe kwi. Nou tou sorti Chagos, nou fierte, li enn rasambleman inportan pou fer morisien dekouver nou bann pla. »
Cyril Furcy, le mari de Mimose, réduisait avec une moulinette du Sri Lanka le coco en poudre. Il raconte toute la souffrance de sa femme et de sa famille lors de cette déportation. Ce qui a amené sa femme Mimose composer la chanson “13 ans”.

« C’est à 13 ans qu’elle a été déportée. » Il évoquera aussi la cuisine chagossienne et les instruments musicaux comme la ravanne, la maravanne, le zeise, le makalapo.

Janine, elle, fera état de la déportation de sa tante et de sa mère qui a eu 13 enfants (huit filles cinq garçons). Affairée à préparer un roti avec de l’eau de coco, elle parle de sa culture avec une pointe de fierté dans le regard. « Nu kapav manz ek la min, extra bon, tou manze fer ar koko. Nou la dans sega Chagos, ou dans li trwa tour par isi, trwa tour par la, isi fer sis tour antou. »

Marjorie Gaspard qui se décrit comme faisant partie de la deuxième génération des Chagossiens a aussi appris la danse. Sa mère est née à Diego, mais après la déportation, elle a choisi d’émigrer en France pour une vie meilleure.

Eileen Talate, native de Diego Garcia, affiche la même tristesse. « J’avais dix ans lors de ma déportation. Aujourd’hui, j’ai 61 ans. Monn al lamerik, enn zoli pei, me li responsab nou maler. Bolom Jugnauth inn bien defann nou case. Olivier Bancoult inn dibout pou nou, me konba la pa fini. Nou bizin rekonesan anver gouvernman morisien ki finn akeyir nou. »

Selven Naidu, réalisateur, confie avoir vu la veille un écriteau indiquant que les mets chagossiens mettront en éveil les papilles. « Je suis agréablement surpris par ces photos. Il y a une dame chagossienne que j’ai reconnue. Et une autre photo, où je vois un groupe de femmes chagossiennes, sans les hommes, militant pour leur retour sur leur île, m’a ému. Je veux faire un documentaire sur cet aspect historique, géopolitique et faire revivre les Chagos qui représentaient tout pour ses habitants. »

Eliane, elle, est de Salomon et a été déportée à 17 ans. « Zanfan lontan pa ti devlope. Je me rappelle ma mère qui disait qu’on irait à Maurice pour y vivre dans une maison en bord de mer. Nou finn gagn kazot poul kom lakaz. Nou ti pe mars pie nu, dimoun riy nou, apel nou bane yoyo, pa mem konpran ki sa ve dir. Bizin angle repare zot lerer. Pa kapav dir di mal lor bolom Jugnauth, linn donn nou manze, pansion. »

La culture des Chagossiens doit perdurer, soutient-elle. « Li inportan nou kone kot nou sorti ek sak evenman kiltirel, sportif, kiliner ek mem ki rapele nou bann dram, li inportan ki devwar memwar kontinie. Le mond antie konn nou zistwar ek enn zour nou pou bizin rant lor Chagos. On ne peut passer sous silence les souffrances subies par le peuple chagossien. » Des mots lourds de sens qui continuent de faire écho…

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