L’INDUSTRIE DE LA VIEILLE FERRAILLE : Chronique d’une disparition programmée

Depuis le 30 juin, une catégorie professionnelle a légalement cessé d’exister à Maurice : celle des scrap metals, autrement dit les récupérateurs de vieilles ferrailles. Par une décision du Conseil des ministres, prise en janvier et mise en application le 30 juin, les ferrailleurs ne peuvent plus travailler, car l’exportation des vieilles ferrailles est interdite. Une interdiction qui donne le sentiment qu’elle a été décidée pour favoriser un individu aux dépens de toute une profession. En effet, cette interdiction oblige les exportateurs à mettre la clef sous le paillasson pour se transformer en fournisseurs de Koyenco Steel Co Ltd, autrefois connue comme Samlo, la seule entreprise du pays possédant une fonderie. Une industrie dont le propriétaire est Mahen Gowressoo, dont le gouvernement actuel semble être devenu, à travers le ministère du Commerce, le principal agent commercial. Voici la saga de cette disparition programmée d’une profession.
Les ferrailleurs existent à Maurice depuis que ses premiers habitants ont introduit le fer et ses dérivés pour construire les usines, les bâtiments et les bateaux, entre autres, pour développer le pays. Au fil du temps, ce commerce s’est mis en place, des compagnies ont été créées et son exportation organisée. Avec l’essor de ce commerce, le gouvernement a créé des permis pour les treize exportateurs agréés. De par leur activité, les ferrailleurs débarrassent également le pays de toutes les vieilles ferrailles non utilisées par certaines entreprises – CEB, MT et usines sucrières, entre autres, devant se débarrasser de leurs structures ou pièces en métal non utilisables. En ce faisant, déclare un exportateur engagé dans le commerce depuis des années, « les ferrailleurs contribuent à nettoyer le pays et à le débarrasser d’une certaine forme de pollution. » Il était estimé, en 2015, que l’industrie de la vieille ferraille exportait environ 25 000 tonnes métriques par an, représentant environ 10 millions de dollars, payait des millions sous forme de taxes à la MRA et employait plusieurs milliers de Mauriciens. Ils étaient des vendeurs, des collecteurs, des transporteurs et des exportateurs vivant très bien de cette Small and Medium Industry locale jusqu’à la fin des 1980, quand un nouveau venu entre dans le business.
Il s’agit de  Mahen Gowressoo, qui avait fait parler de lui dans le secteur des coopératives et qui, après avoir essayé plusieurs types de commerce, dont celui des grains secs, décide de se lancer dans la vieille ferraille. Mais contrairement aux autres exportateurs, le nouveau ferrailleur part avec – déjà – un avantage sur ses concurrents. Grâce à son appartenance au Parti travailliste, il « obtient » d’Arvind Boolell, l’ancien ministre de l’Agriculture de l’époque, l’ancienne usine de thé de Belle-Rive, qu’il va transformer en fonderie pour vieille ferraille, baptisée Samlo.
Très rapidement, et davantage grâce à ses protections politiques que pour ses capacités techniques, Samlo va devenir un acteur principal du secteur de la vieille ferraille. A tel point que quand le gouvernement travailliste revient au pouvoir en 2005, toutes les portes officielles sont ouvertes à Samlo, dont le propriétaire est nommé par ailleurs ministre. Quand le ministre Jeetah décide de lancer sa croisade pour  « casser » le monopole de l’importation des fers de construction en obligeant Desbro à fermer ses portes, il exige que les ferrailleurs mauriciens vendent leurs produits à Samlo. Il le fait lors d’une réunion avec les principaux exportateurs de scrap metal. C’est sans doute de cette période que se met en place la stratégie pour la création d’un monopole d’État en faveur de Samlo avec la disparition orchestrée des autres exportateurs de scrap metal. Plusieurs fois, pendant le dernier gouvernement de Navin Ramgoolam, dont Mahen Gowressoo fut un des ministres, des tentatives sont faites pour réduire les activités des exportateurs de ferraille au profit de Samlo. Par ailleurs, cette entreprise fut plusieurs fois sanctionnée pour avoir pollué l’atmosphère et avoir déversé le résidu des métaux fondus et ses eaux usées dans une rivière qui se jette dans la Grande-Rivière-Sud-Est. Mais aucune enquête sérieuse n’est ouverte pour mesurer l’impact des résidus de la fonderie Samlo qui sont soit enfouis dans le sol, ou déversés dans les cours d’eau. En 2012, le gouvernement travailliste décide d’interdire l’exportation du cuivre pour mettre fin aux vols de ce métal à travers le pays, mais autorise celle des métaux fondus qui pénalisent tous les exportateurs sauf deux, dont l’incontournable Samlo. N’ayant pas obtenu un ticket rouge aux dernières élections générales, Mahen Gowressoo devient un des plus fameux “vire mam” de l’histoire politique de Maurice. Il intègre le MSM et prend part à la campagne électorale et devient la star witness du gouvernement dans l’affaire Betamax. Pour services rendus à l’alliance, Mahen Gowressoo reçoit une décoration nationale le 12 mars 2015. C’est sans doute la première fois dans l’histoire politique mauricienne qu’un gouvernement récompense officiellement un transfuge. Mais la vraie récompense de Mahen Gowressoo, celle qu’il recherche depuis la fin des années 1980, c’est au début 2016 qu’il l’obtiendra. Le 15 janvier, le Conseil des ministres décide d’interdire, à partir du 30 juin, l’exportation des vieilles ferrailles.
En dépit de toute logique, c’est après la décision prise par le Conseil des ministres que le ministère du Commerce entame des négociations avec les exportateurs de scrap metal. Fait encore plus curieux, le ministère du Commerce se comporte comme l’agent principal de Samlo qui ne participe même pas aux discussions. Mieux encore, le ministre du Commerce transmet officiellement aux exportateurs les propositions de Samlo ! Choqués par cette manière de faire du gouvernement et considérant que leurs droits ont été lésés, les exportateurs ont logé une plainte en Cour suprême pour contester le bannissement de l’exportation et la condamnation à mort de leur métier. En attendant et depuis le 30 juin les exportateurs ont été obligés de mettre fin à leurs activités, de procéder à des licenciements de leurs employés et à chercher des solutions pour rembourser les emprunts bancaires contractés pour développer leur business. L’usine-fonderie de Mahen Gowressoo a depuis changé de nom et se fait appeler Samlo Koyenco Ltd. Grâce à la décision prise par le Conseil des ministres en janvier 2015, Samlo Koyenco Ltd, qui est désormais en situation de monopole, refuse d’acheter les produits aux collecteurs sous prétexte que le gouvernement n’a pas encore établi les contrats nécessaires. En ce qui concerne les stocks que les exportateurs ont constitués et ne veulent pas vendre à Samlo, comme le « suggère » le ministère du Commerce, le détenteur du monopole a répondu dans une interview de presse : « Zotte vié feray va pourri ! » Six mois après avoir annoncé l’interdiction d’exporter la vieille ferraille, le gouvernement n’a pris aucune mesure pour réguler le marché et permettre aux milliers de personnes qui vivaient de cette Small and Medium Industry de gagner leur vie. Pire, les vols qui étaient supposés cesser après l’interdiction d’exporter du cuivre continuent de plus belle. Six vols ont été perpétrés ces dernières semaines. Le  vol plus récent a eu lieu le 18 juillet à Baie-du-Tombeau où des câbles téléphoniques d’une valeur de plus d’un million de roupies ont été emportés. Le seul objectif du gouvernement dans cette affaire semble avoir été de faire plaisir au propriétaire de Samlo en lui offrant sur un plateau le monopole de l’industrie de la vieille ferraille. Et ce sans que la Competition Commission, l’Equal Opportunity et les autres instances supposées indépendantes dont le rôle est de veiller à ce   qu’une compétition saine règne dans le monde des affaires élève la moindre objection. Tout comme le ministre supposé promouvoir les règles de la Bonne Gouvernance et de la Méritocratie à Maurice. Le dernier espoir des exportateurs de vieille ferraille, interdits de pratiquer leur métier en raison d’une décision gouvernementale, réside dans le « case » qu’ils ont logé en Cour suprême. Ils espèrent que la justice ne déclarera pas légale la décision du gouvernement de faire disparaître une industrie de la carte de Maurice au profit d’un protégé politique.
 

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