A LA STATE HOUSE : Les intellectuels répandent des idées des partis d’extrême droite, a déclaré Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun, l’une des plumes les plus prestigieuses de la francophonie, lauréat du Prix Goncourt 1987 pour son roman « La nuit sacrée » a donné une conférence vendredi de la semaine dernière à la State House sur le thème « Cultures, quelles véritables rencontres ». L’essayiste Mauricien et ami de longue date de Tahar Ben Jelloun, Issa Asgarally, l’a d’abord interrogé sur son parcours personnel et ensuite sur la situation actuelle dans le monde en général et la France en particulier.
La présidente Ameenah Gurib-Fakim a d’abord décrit le parcours de cet homme dont la notoriété lui est venue avec son roman « L’enfant de sable » paru en 1985 et sa suite, « La nuit sacrée » qui remporte le Prix Goncourt en 1987. Avant de raconter son itinéraire, Tahar Ben Jelloun ne tarira pas d’éloges sur Maurice qu’il visite pour la deuxième fois: « Un pays où la beauté physique est agrémentée par la beauté de l’âme ».
Cette rencontre permettait à Issa Asgarally d’interroger ce membre de l’Académie Goncourt, qui « appartient à au moins deux aires culturelles, le Maghreb et l’Europe ». « Mon pays, le Maroc, a été un creusé de cette rencontre. Nous avons la culture arabe, musulmane, berbère. Et nous avons reçu la culture française sans agressivité, sans heurts. L’arabe et le français m’ont permis de naviguer, de nourrir mon écriture romanesque. Je suis dans ce phénomène qui cultive le lien entre deux langues, deux imaginaires, deux exigences. Il faut prendre ce qu’il y a de mieux dans chaque langue et le partager avec les autres », dit-il.
Tahar Ben Jelloun n’écrit qu’en français, alors que sa langue maternelle est l’arabe. L’écrivain dit avoir commencé à écrire dans la langue de Molière dès l’adolescence : « J’ai été envoyé dans un camp disciplinaire à la suite d’une manifestation. Je n’avais pas le droit d’avoir des livres et je ne savais pas si un jour j’allais être libéré. Je volais des nappes de la cantine et écrivais des poèmes en français ». Pendant 19 mois, il écrira sur des bouts de papier. Libéré en janvier 1968, il reprend son poste d’enseignant de philosophie et publie ses premiers textes dans une revue. « Cela a commencé aussi prosaïquement. La langue française s’est imposée à moi. »
« La culture, la poésie sauveront le monde »
Abordant le volet international et faisant référence au très controversé ouvrage de Samuel P. Huntington « Le choc des civilisations » Tahar Ben Jelloun a débattu longuement sur ce thème : « Le choc des civilisations est une expression que je déteste. Le choc des ignorances dont nous subissons les conséquences est choquant. L’ignorance inclut la peur et la peur inclut la haine et la haine, la violence. On se rend compte que les gens de bonne volonté sont en train de payer une politique agressive que les Américains ont illustré en 2003 avec l’intervention en Irak, qui était illégale, sans l’accord des Nations unies. Cette intervention a détruit l’Iraq. Bush a démantelé et détruit l’Iraq et a favorisé les conflits entre les chiites et les sunnites. Daesh est financé par beaucoup d’Etats. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans une avancée de l’horreur absolue qui commence à détruire la culture. C’est l’ignorance et la cruauté qui avancent. L’humanité est face à un défi incommensurable. Des jeunes qui ne sont ni délinquants ni drogués sont attirés par le discours et propagande de Daesh. 30 000 jeunes combattent aujourd’hui à Daesh, c’est une défaite de la civilisation. L’islamophobie qui s’est répandue a débouché sur la haine de l’islam. Les intellectuels de beaucoup de pays ont commencé à répandre des idées des partis politiques d’extrême droite. 7 millions de personnes sont d’accord avec un discours haineux, raciste de Front National (FN): sortir de l’Europe, retirer l’euro, fermer les frontières. Pourtant, cette politique, 7 millions de personnes la soutiennent. Les campagnes électorales se font au nom de la haine de l’islam. La rencontre entre les cultures devient problématique. Le rôle des écrivains, c’est d’être sur le terrain. Moi, j’investis dans les écoles. Nos enfants ne doivent pas être détournés. Mais ce n’est pas facile, les handicaps sont majeurs. On vit dans l’ère des murs, une fermeture du monde face à la solidarité ».
Autre commentaire sur la « construction de murs, mais également fermeture intellectuelle », ce qu’on appelle en anglais the closing of the mind. « Nous assistons à des dérives inquiétantes dans le monde en général et en France en particulier. Il y a une banalisation des discours de repli, de xénophobie, de fermeture dans les écrits de certains intellectuels, dont Alain Finkielkraut, Renaud Camus, Erik Zemmour. Et leur légitimation par les médias. Les médias ont un rôle dans cette histoire. C’est la hantise qui circule dans les livres relayeé par le Front National (FN): la race blanche catholique est en danger, envahi par les musulmans. La France manque des penseurs de l’humain tels que Camus, Sartre, Foucault. La pensée est surveillée, elle est sous pression. Les jeunes des banlieues qui entendent ça tous les jours créent une rupture dans la société française, une situation de tension créée par le conflit au Proche Orient. La culture, la poésie sauveront le monde, un monde où l’humain est célébré. La littérature doit exister, mais ne va pas changer les mentalités. On ne peut pas imaginer un monde sans littérature, sans théâtre, sans peinture, sans musique ».

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -