Madii Madii : Made in Barkly…

Il collectionne des millions de vues sur les réseaux sociaux, le chanteur Madyson Jean vient de loin.

Barkly est une pépinière de talents et de chanteurs. Et Madii Madii en fait partie. Dans sa cité, il est sans aucun doute une des personnes les plus populaires du moment. Sur les réseaux sociaux, il est vu des millions de fois! Mais avant d’en arriver là, à 25 ans, Madyson Jean, de son nom, a traversé des routes sinueuses, mis sa vie en danger pour une addiction qui emprisonne encore de nombreux jeunes de sa région. Troublé par le meurtre de sa soeur, Anaïs, en 2016, il reprend sa vie en main. Tout comme les gants de boxe qu’il avait raccrochés, il laisse tomber les maux qui le rongeaient et se donne à fond dans la musique jusqu’à remporter un concours, sortir un album, partir en tournée à l’étranger… Madii Madii ne renie pas son passé, il en parle à chaque fois que l’occasion se présente. C’est aussi sa manière à lui de sensibiliser sur les dangers de la toxicomanie et de dire qu’il est possible de s’en sortir.

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Il s’appelle Madyson Jean. Un nom inconnu pour beaucoup. Il s’appelle aussi Madii Madii, un nom qui en revanche résonne pour une génération née il y a 18 ans à peine et qui voit en lui un modèle, une voix qui chante l’espoir et qui transmet des réflexions sur la vie. Sur YouTube, il collectionne plus de deux millions de vues, quand ce n’est pas un minimum de 300 000 pour les extraits de son album Vérité – qu’il partage avec son inséparable ami Jason Leboucher – sorti en septembre dernier. Mais sa vérité à Madii Madii a une autre couleur, celle de la douleur après le meurtre de sa jeune soeur, celle des maux qui découlent de ses souffrances à l’adolescence et d’un fléau social qu’est la drogue synthétique. Il y a quelques années, il en était l’otage. Il parle de tout cela parce qu’il assume, dit-il, les différents passages qui auraient pu ruiner sa vie. Et c’est en exposant cette vérité-là, ajoute-t-il, qu’il pourra aussi toucher le coeur et l’esprit de ceux qui ont été piégés par la drogue synthétique. D’ailleurs, il a commencé à le faire dans sa cité, à Barkly et ailleurs. Son auditoire, les jeunes de son quartier. Ils l’écoutent, parce que, lui, la «star» de Barkly, il s’en est sorti. Et pour capter leur attention, il fait appel à ses amis, dont la notoriété enflamme les réseaux sociaux. «Les jeunes aiment les causeries, des activités interactives», dit-il. Madii Madii s’est donné pour mission de sensibiliser sur les méfaits de la toxicomanie.

«Pour sortir de ce fléau, il faut des activités à Barkly. Isi ena sant, ena terin. Me kan ou ale laba, zot ferme ! Enn zenn si li sorti lor semin dan Barkly, si li anvi fer kiksoz li pa pou ena nanie pou fer apar vey lari! A Barkly, sur 10 jeunes, 6 sont accrocs à la drogue synthétique, dont des filles! L’addiction peut commencer par la pression des paires, mais on ne peut pas toujours blâmer les autres. Pour s’en sortir, le soutien de l’entourage compte aussi, mais j’incline à croire qu’on doit faire ses propres efforts. Ant laz 15 a 18 an mo ti komans rebel mwa. Al lor lagar Rose-Hill apre kolez, gagn linflians kamarad. Mo’si mo ti ena mo par. Selman enn zour mo’nn dir ase.» Madii Madii est décidé: «Nous avons un ami, enn zanfan Barkly, un jeune qui a été élu maire de Beau-Bassin/Rose-Hill. Son élection a été un véritable signe d’espoir pour nous. Li’nn komans met landrwa prop. Nous, la nouvelle génération, nous avons le devoir d’agir pour notre région. A lui seul, le maire ne pourra pas tout faire ici. Tout comme nous avons besoin de lui, lui aussi a besoin de nous.»

Pendant deux ans, celui qui n’avait pas encore pris le nom de scène Madii Madii et qui excellait en boxe, brûlait sa vie à petite dose et compromettait son avenir. Sa guitare n’était jamais loin. «Kan ou ladan ou osi dan enn vibe», dit-il. La musique, il n’a toujours juré que par elle. Enfant, il fréquentait, avec sa soeur Anaïs, l’atelier des Ti Marmit du groupe Abaim. Son talent pour la chanson était déjà indiscutable. «Anaïs et moi, étions toujours ensemble», raconte Madii Madii. Anaïs était sa complice, son ombre, son ange gardien, son tout… C’est aussi elle qui lui remontait les bretelles quand elle le voyait s’enliser dans son addiction. «Mes parents, eux, ignoraient ce que je faisais. Même si j’avais un sacré tempérament, parce que j’intériorisais mes émotions, je ne crée jamais de tension. J’allais travailler et quand je rentrais à la maison, c’était pour m’enfermer dans ma chambre», raconte le chanteur. Pour le bonheur de sa soeur, il a encouragé un amour qu’il ignorait destructeur. «Son ex-petit ami et moi, étions comme deux frères. Nous nous connaissions depuis longtemps. Il a connu une adolescence difficile et s’est retrouvé dans un centre de réhabilitation. A sa sortie et à ma demande, ma grand-mère l’a hébergé jusqu’à ce qu’il tombe amoureux de ma soeur et vienne vivre chez nous. Je lui faisais confiance…»

«Je ne sais toujours pas où elle a été enterrée»

Un jour une overdose conduit Madii Madii à l’hôpital où il se réveille paralysé du côté droit. Mais son hospitalisation ne l’avait pas pour autant dissuadé de laisser tomber son addiction. Quelques semaines plus tard, il cède à la tentation, avant de se ressaisir. Les larmes de sa soeur, les conseils d’un collègue et les discussions qu’il a eues avec des proches l’avaient convaincu. Puis, il y a eu le 26 octobre 2016, jour fatidique dont il ne se remet pas encore. «Ce jour-là, j’étais au travail, quand j’ai reçu un appel de ma mère qui m’a d’abord dit qu’Anaïs s’était évanouie. Puis, de manière plus directe elle m’a dit : Anaïs inn mor.» Alors que la nouvelle fait le tour du pays, le monde pour lui s’est écroulé à ses pieds. Quand il rentre chez lui, il apprend que c’était cet ami en qui il avait placé sa confiance qui avait étranglé sa soeur dans la maison familiale avant de la noyer dans un sceau d’eau. Pour calmer sa peine et sa colère, il se réfugie dans le synthétique et l’alcool. Sa rechute n’aura duré qu’un jour, le temps d’oublier le départ brutal d’Anaïs. «Je n’ai pas eu le courage de regarder son corps inerte… J’ai été au cimetière, mais je n’ai pas assisté à la mise en terre du cercueil, je n’y arrivais pas. Je ne sais toujours pas où elle a été enterrée. Je n’ai pas encore fait le deuil de ma soeur…» confie le jeune homme, aux bras tatoués. Ce drame est d’autant plus difficile, car il se culpabilise encore d’avoir donné l’occasion à l’agresseur d’Anaïs de se faire une place dans sa famille. «Tant que je ne serais pas confronté à lui, je ne pourrais faire mon deuil. Il faut qu’il m’explique pourquoi…» dit-il.

Dans sa chambre, enfermé entre quatre murs, il se demande: «Komie tan mo pou al koumsa?» Ses réflexions finissent par le faire partir de sa cité pour se protéger et se reprendre en main. Il s’isole chez des proches avant de rentrer auprès de sa mère, celle qui lui apprit des valeurs de la vie et l’importance de l’éducation. Et à celle qu’il a vu travailler dur «dan lakaz dimoun», il a demandé pardon. A son père qu’il dit admirer «pour n’avoir jamais levé le petit doigt sur sa mère», il a avoué son addiction. «J’ai pris mon courage à deux mains et je leur ai avoué mon problème», confie Madii Madii. Pour ses parents, Madyson ou Madi, comme ils l’appellent, est ce fils aîné qu’ils ne renieront pas.

Deux ans sur le chantier du métro

«Avant Madii Madii, il y avait Madyson», dit le jeune homme comme pour expliquer que ce passé est le socle qui l’a construit et qui le façonne encore. Il ne peut et ne veut oublier d’où il vient, Barkly, quartier où le trafic de drogue est une réalité. «Mais j’y resterai et c’est là que je grandirai mon fils, Mason qui a 3 ans», poursuit-il. «Barkly porte les stigmates d’une réputation. Toutefois, c’est un endroit comme un autre, avec des résidents qui ont gravi les échelons social et professionnel. Par contre, je voudrais dire aux autorités: donnez-nous des activités pour des jeunes. On en a assez d’être utilisés à des fins politiques», lance la voix de Barkly. Lui, c’est d’emblée qu’il affirme refuser de vendre sa notoriété aux politiques le temps d’une campagne. «On m’a demandé de monter sur un podium pour chanter à un meeting en 2019. J’ai dit non!» Que le métro passe dans le quartier est une bonne chose, reconnaît-il. «Ça facilite notre vie. Les vieilles personnes ont une occupation, elles aiment se regrouper et regarder passer le métro», dit-il. Mais ce dont Madii Madii est plus fier, c’est d’avoir travaillé pendant près de deux ans sur le chantier du métro, y compris à Barkly. «Avec Jason Leboucher qui y a aussi travaillé, nous avons à notre façon contribué au passage du métro chez nous!» dit-il tout sourire.

Dents en platine, bras tatoués… Madii Madii a le look que lui avait inspiré le rappeur américain 50 Cents. Cette apparence correspond dit-il à une identité à un moment de sa vie. Aujourd’hui, père d’un petit garçon de 3 ans, il voudrait qu’on voie au-delà de ces artifices. «C’est quasiment impossible pour certains de me regarder autrement. J’envisage de me débarrasser de ces dents en platines. Ça commence à porter préjudice à mes sorties professionnelles. Mais c’est aussi mon identité. Entre enlever et ne pas enlever, mon coeur balance…»

La musique ne cesse de répéter Madii Madii a été sa bouée de sauvetage. Elle lui a fait comme il le dit «feel zafer-la» pour persévérer. Celui qui s’accrochait à l’école malgré les bizutages, qui allait au collège pour «devenir un architecte», car il est passionné de dessin, vit aujourd’hui à l’aise grâce à la musique. «J’ai pu régler mes dettes et améliorer mon confort. Me bizin konn ekonomize. Bizin fer enn biznes apar, lamizik pa peye dan Moris.» Il est resté dans la modeste maison familiale où avec son jeune frère, ils aident sa mère dans son petit business de grillades. Madii Madii, mordu de pâtisserie, a même failli en faire son métier. S’il maîtrise la batterie de cuisine, ce sont les vibes de la musique qui l’emporte sur son plan de carrière. Et pour viser toujours plus haut, il a décidé de se perfectionner en anglais et une autre langue étrangère.

« La femme, le pilier de notre foyer »

Quand Madii Madii dit qu’il n’est pas insensible à la violence faite aux femmes, il ne s’arrête pas à des paroles. Marqué par le décès tragique de sa soeur, Anaïs (voir texte), en 2016, le jeune homme est depuis devenu un militant contre la violence contre la femme. Il a participé à des interventions dans ce sens et se dit prêt à continuer dans cette voie. Il regrette que peu d’hommes ont la volonté, voire le courage de prendre la parole en public pour sensibiliser sur cette cause. «Ils ont peur des préjugés de la part des hommes mêmes! Peu importe ce que d’autres hommes peuvent dire sur moi parce que je dénonce haut et fort la violence contre les femmes, mo pa pou per, mo pa pou onte pou donn mo lopinion. La femme, c’est notre soeur, notre mère, le pilier du foyer que nous construisons avec elle!»

Un « zoli » succès

Le succès pour Madii Madii et son ami Jason Leboucher pointe son nez en 2019 grâce à un concours organisé par Désiré François dans le cadre de son concert «Les plus belles chansons de Désiré François et Cassiya.» Le duo décroche le premier prix avec « Si ou le ». Madii Madii impressionne JSB Morning Game et lui demande d’interpréter Zoli à ses côtés. Ce titre devient incontournable sur les ondes. Madyson Jean prend son envol et fait le buzz en ligne. Il devient Madii Madii et accroche un jeune public qui, depuis, le suit de près. Avec son ami Jason Leboucher, il sort « Vérité » qui renferme quatre de ses chansons, dont « Là-bas » écrite pour sa soeur, Anaïs. Madii Madii parle d’amour, de fidélité, de la vie, des sentiments… Sa popularité lui ouvre des portes, il participe à des concerts pour la diaspora à l’étranger et attire d’autres artistes qui le sollicitent pour des featurings. C’est ainsi qu’il se retrouve sur « Cassi Cassa » — une chanson légère — aux côtés de Big Frankii. Madii Madii ne revendique pas ce style, mais parle d’une parenthèse pour faire plaisir à ceux qui en sont fans avant de se mettre à l’écriture de ses chansons… à textes.

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