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MORT LE 14 JUILLET 1993 : LÉO FERRÉ, “Yes, I am un immense provocateur”

Ce poète et chanteur fut une des icônes pour les révoltés d’une certaine jeunesse. Pendant toutes ses années d’ascension et jusqu’à l’orée des années 70, Léo Ferré a voulu incarner la subversion mais a fini par devenir un classique, au programme des épreuves de musique du baccalauréat, admis aux listes de textes de français. Ses adaptations d’Aragon, Baudelaire et Verlaine ne sont pas seules en cause.
Ce sont ses admirateurs qui ont le mieux réalisé la synthèse entre une parole révolutionnaire et une vie normale. Une évidence de la destinée posthume des artistes qui ont rêvé de changer le monde. Après eux, le monde ne change pas. Alors Ferré est devenu un révolté patrimonial, un rebelle consensuel.
Léo Ferré a tiré sa révérence le 14 juillet 1993. Il avait dédié toute sa vie à la musique, aux poètes et à la chanson. Il a laissé en héritage un impressionnant patrimoine : des chefs-d’oeuvre personnels (Avec le temps, La Mémoire et la mer, Les Étrangers), des chansons populaires (Paname, Jolie môme, Vingt ans), des hymnes militants (Les Anarchistes, Ils ont voté) ; et, plus que tout peut-être, la pérennité des poètes qu’il a mis en musique et transmis à un vaste public (Aragon, Baudelaire, Apollinaire, Verlaine, Rimbaud).
Les événements décisifs et les thèmes récurrents de ce parcours alternent au fil des années : la petite enfance monégasque, l’irruption de la musique, une pension-prison dans l’Italie mussolinienne, les études au Quartier Latin, les bien-aimées, les frangins de la nuit, les poètes, le retour à Paris, l’anarchie, le show-business, l’amour et les ruptures, mai 1968, la solitude, la Toscane, la musique encore et toujours… Épisode après épisode, le portrait se précise : celui d’un homme complexe, habité par ses douleurs et ses chagrins, mais fort de ses convictions et de sa puissance de création ; celui d’un enfant blessé devenu un artiste prodigieux et prolifique ; celui d’un frangin anar et humaniste.
À la différence d’un Trenet ou d’un Brassens, autres géants de la chanson, Ferré avait un aspect râleur et grinçant, une tendresse outrancière et une dimension politique à laquelle rechignaient ses pairs. Il fut sans doute le seul artiste de variété à susciter autant la haine que la révolte et l’amour. Admiré des Surréalistes, Prévert, Aragon, Étiemble et tout un public exigeant, il fut aussi exécré par un tas de gens qui n’admettaient pas les fêlures et un parolier à trop fort caractère. Ferré subit les crachats, les coups, les alertes à la bombe. Il cache sa peur, répond aux invectives et chante toujours jusqu’au bout.
Il a chroniqué sur scène les temps difficiles, a troussé des chansonnettes ficelées au quart de tour dans une langue nourrie d’instantanés et d’argot. Il fut l’amant chantant le désir, la jalousie (La jalousie), l’interdit sexuel, la transgression, la plénitude amoureuse (La Lettre), l’érosion, l’habitude. Ferré a déclamé des tirades sans rimes sur ses musiques pour grand orchestre, faisant éclater de la chanson le format connu jusqu’alors. Il a touché aux larmes des auditeurs bouleversés par des morceaux hors normes (Avec le temps, La mémoire et la mer, FLB, Le Chien, L’Imaginaire…).
Cet intellectuel n’écrivait pas qu’avec sa raison mais aussi avec sa folie, du fond de ses chaos intimes, d’où les sarcasmes, les hurlements, les tiraillements, fourbis dans une démesure qui a délivré des milliers d’adolescents prostrés, de bourgeois engoncés, car Léo Ferré lâchait la vibration même du sentiment et distribuait l’audace de vivre en même temps que la consolation pour chacun d’être définitivement seul au monde. Il portait en lui une certaine histoire de la musique et de la poésie, spécialement celle des maudits dont il se sentait le frère. Hanté par le sort fait au créateur, Ferré ne manquait jamais d’évoquer la solitude de Beethoven ou de Mozart, les maladies de Ravel et de Bartók, l’admirable indifférence de Satie, la folie de Van Gogh, la misère de Rutebeuf.
Léo Ferré figure parmi les charges capables de secouer des populations anéanties qui n’en finissent plus de se reposer, de se soumettre. C’était une icône romantique doublée d’un chanteur qui gueulait dans le noir du music-hall : Yes, I am un immense provocateur, je provoque à l’amour et à la révolution ! Ce poète anarchiste fait partie des « trois grands » – Brassens, Brel et Ferré – de la chanson française.

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