PERDI DAN MORIS, À OLIVIA : Au coeur de l’authenticité

3 h 15 de trajet après un détour raté par Montagne-Longue et nous nous retrouvons à Olivia un peu endoloris et certainement abruti dans ce village qui nous était complètement inconnu.?Sans contact ni planification nous avons improvisé pour visiter ce village situé pas loin de Flacq où la vie avance lentement tandis que les enfants nagent encore dans la rivière pendant que les lavandières y fouettent la lessive. Cette semaine Scope vous propose de vous perdre avec son reporter à Olivia.
Chemise bleue déboutonnée livrée au gré du vent émanant des champs et des montagnes, l’homme s’arrête, pose les pieds à terre, pousse sa monture d’une main puis se remet sur son vieux vélo sans lâcher sa guitare. Les pédales défectueuses ne lui permettent qu’une seule rotation, un seul élan, une unique chance d’aller de l’avant. “Mo’ nn bliye ki laz mo ena”, confie Laval quand nous l’abordons. “Je dois avoir environ 53 ans sur les épaules”, poursuit l’individu solitaire qui veut bien que l’on discute un peu. Natif d’Olivia, un petit village situé entre Flacq et Montagne-Longue, il connaît chaque recoin de l’endroit et a assisté à son évolution. Un parfait guide improvisé. “Ou pou kit enn ti pitay ar mo après. Non ? Ça ne fait rien, une cigarette suffira.”
Patrimoine.
Cherchant un abri à l’ombre, Laval pousse sa bicyclette le long de la route principale qui longe la cité. À 11 h 30, les nuages sont encore loin et le soleil tapant accentue l’effet de l’alcool. “Je ne bois pas souvent, me zordi…” Laval a dérogé un peu à la règle. Il trouve refuge sous le préau en tôle de la boutique Chez Charlie. Fait en pierre, le bâtiment est vieux, très vieux même. L’intérieur est sombre. L’actuel propriétaire, Vijay Kumar Balee, lui aussi un natif de la région, concède que la boutique était déjà ancienne quand il était enfant. L’ancien propriétaire, Charlie Berait, est l’arrière-grand-père de Cyril Berait qui a aujourd’hui 62 ans. Assis derrière le comptoir en bois, une main sous le menton, Vijay se remémore l’époque où il était toujours en primaire à la RCA school d’Olivia, et venait acheter des gâteaux “Chez Charlie”.
Laval, quant à lui, sirote toujours son divin bordeaux et n’a toujours pas lâché sa guitare. Il allume sa cigarette et conte son parcours scolaire. À l’époque, concède-t-il, les écoles n’étaient pas aussi développées. “Maintenant, les murs entourant l’établissement sont joliment peints et les locaux sont sécurisés.” Cependant, durant son enfance le grillage avait d’énormes trous à travers lesquels “nou ti pe sove.” Sa voix taquine prend soudainement un ton plus grave. Laval regarde au loin puis baisse les yeux et hoche la tête. La cigarette qu’il ne considère plus se consume d’elle-même. “Oui, c’était il y a longtemps… ”, dit-il avec un léger sourire aux lèvres, dissimulant un sentiment contraire. Aujourd’hui, “je suis fier de voir mes neveux et mes nièces aller à l’école !”
L’éducation a grandement aidé au développement d’Olivia. “Sa landrwa la, tiena zis planter ek kouper kann ki ti ape res la”, indique Laval. Rares étaient les maisons en béton. De nos jours, les moeurs ont radicalement changé. “La plupart des villageois ne travaillent plus dans les champs”, fait ressortir Danilo Brosse, un autre résident de la localité, “zot travay dan biro aster.” Selon lui, une grande majorité des enfants ont accès à l’éducation, “mais comme dans toutes les régions, vous avez ces 20 % qui ne souhaitent ou ne peuvent y aller”. L’éducation est certes gratuite, mais elle n’est pas accessible à tous.
Baz Sekre.
La balade se poursuit dans une ruelle sinueuse à travers les champs de cannes. Les hautes plantes bloquent le vent et l’air excessivement humide rend difficile la respiration. Laval va en direction des montagnes et pénètre dans la propriété sucrière. “Je vais dans une base secrète, où presque personne n’a accès”. Au milieu des champs, une petite bourgade, loin de tout. L’endroit est boisé et les habitants guettent les visiteurs inconnus. Au fond de l’unique chemin se tient une maison à étage abandonnée, en piteux état, sans vitres, ni portes. Les murs sont décolorés et portent de grosses fissures. “Ala mo lakaz”, dit fièrement Laval.
Il vit au premier étage dans une seule pièce qui comporte deux matelas éponges faisant office de lit, disposées au milieu de la salle, un tabouret, une chaise, une télévision, une lampe et un lecteur DVD avec une vingtaine de films traînant ici et là. L’accès à l’électricité demeure un mystère et “pas besoin de savoir où je pisse !” Des linges traînent dans le couloir, notamment des bottes. “Mo’nn swiv larout mo bann paran, mo ousi mo’nn vinn kouper ek planter”.
L’hôte, qui tient toujours sa légendaire guitare ondulée et désaccordée, allume son lecteur DVD. Best of Bob Marley ! Il se décide enfin à jouer de son instrument et, en soliste, il joue ses propres partitions. La guitare et lui ne font plus qu’un. Il ferme les yeux, bouge au rythme de l’intensité des notes et la guitare s’accorde instinctivement. “Elle n’a jamais été désaccordée, se bann dimounn ki pa konpran li…”
Jeunes.
Julien Gerardy, dit Patrick, professeur de karaté chito rya, sort de son cours suivi de ses élèves. L’homme porte un pull-over noir et transporte un long bout de bois lui servant sûrement d’arme. Le revers de ses mains est marqué, noir et gonflé. “Le karaté est ma passion”, concède-t-il. Cet habitant de Pointe-aux-Sables fait le déplacement tous les week-ends pour enseigner cet art qu’il a appris durant des années en Belgique où il a passé 40 ans. “J’enseigne aux jeunes, mais aussi aux adultes. Je me fais un devoir de venir à Olivia, car les jeunes ici manquent d’activités. Tout ce que je demande comme compensation est pour payer mon transport.”
Malgré un centre et un terrain de football mis à disposition des habitants, les équipements manquent. “Nous avions récemment organisé des compétitions de pétanque et de karom. Très peu de personnes y ont participé”, indique Danilo Brosse. Que font donc les jeunes dans cette localité ? “Sa ler la, bannla sirman lor bor kaskad”, suggère un passant.
Effectivement, les jeunes se trouvent aux abords de la rivière au fond de la cité. Ils se balancent d’une corde attachée à un arbre et se jettent dans l’eau glacée. Le courant les force à nager vers la digue pour sortir de l’eau. “Mo’nn aret naze mwa”, confie un garçon, “l’autre fois, la rivière était pleine et j’ai failli me noyer. Depuis je m’abstiens…
La vie continue dans le paysage où nous rencontrons aussi une lavandière qui fouette sa lessive de toutes ses forces. Une image du passé qui fait bien partie du présent de ceux qui habitent la région où le temps s’est arrêté. D’ailleurs il est peut-être temps de partir puisque si on rate l’autobus, le détour risque d’être moins réjouissant.

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