PIERRE ARGO: L’empreinte du beau

On le connaît surtout pour ses photos, et pourtant Pierre Argo est avant tout peintre. Le public mauricien pourra découvrir ou redécouvrir son travail à partir du 23 novembre à la Galerie IBL. Une date particulièrement symbolique pour l’artiste, vu qu’il célébrera par la même occasion son soixante-dixième anniversaire. Rencontre lumineuse.
Discuter d’un seul sujet avec Pierre Argo relève du défi ! L’artiste est un véritable feu follet, qui ne tient pas en place, se lève sans arrêt pour illustrer ses propos par de grands gestes, saute du coq à l’âne… Une boule d’énergie et de bonne humeur ! Il donne véritablement l’impression de vouloir apprécier la vie à chaque seconde, par chaque détail.
Et les détails, c’est son métier ! “Mon but est de montrer les choses qui sont devant nous, mais que l’on ne voit pas forcément.” Alors, Pierre Argo observe tout ce qui l’entoure, cherche le détail qu’il pourra relever. Son but : chercher le graphisme, l’empreinte. Un ticket de métro usagé, qui traîne par terre et est recouvert d’empreintes de pied ou d’autres traces de la vie de tous les jours, ou encore une simple semelle de chaussure : avec le peintre, tout prend vie ! “Le monde est graphique. Et c’est ce que je retransmets, que ce soit dans mes tableaux ou dans mes photographies. D’ailleurs, la photo, c’est ça : c’est une écriture graphique, avec de la lumière.”
Amener du beau.
Pour cet artiste polyvalent, tous les supports servent au même but : amener du beau. “Les gens ont tendance à ne pas regarder autour d’eux. Ils ne voient quelque chose beau que s’il est exposé dans un musée. C’est ce que je fais : je leur amène le beau. Mon pari est gagné si j’amène de la joie à quelqu’un.” Pour Pierre Argo, les tableaux sont une véritable déclaration d’amour. “Peindre est un geste d’amour. Quand je prends mon pinceau et que j’esquisse ma couleur sur la toile, c’est un geste d’amour ! Effleurer le tableau signifie aller vers l’autre. Mes tableaux sont des lettres d’amour.”
Il met toute sa sensibilité dans ses tableaux. “Le peintre regarde, capte, et puis ça sort tôt ou tard par le pinceau. Nous sommes des témoins, puis ce sont nos viscères qui sortent quand nous peignons ! On n’en sort pas indemne.” Pierre a une façon bien à lui de travailler : “Quand je commence une toile, je ne sais pas ce que je vais faire. Je me mets devant, je cherche un mood, l’obtiens, ça me met dans le bain, puis le pinceau règle le temps et joue le chef d’orchestre.” Couleurs et formes se mettent peu à peu en place. Sur la toile, une scène captée par l’artiste finit par surgir. “Il est déjà arrivé qu’un lieu que j’ai visité deux ou trois ans plus tôt revienne à la surface dans ma peinture. Je m’échine à chercher une couleur précise, et quand je l’obtiens, en observant le résultat, je réalise. Je reconnais soudainement l’endroit en question.”
Autre regard.
Attaché à son pinceau depuis plus de 40 ans, Pierre Argo ne peut pas vivre sans son art. “La peinture fait partie intégrante de ma vie. Pour moi, c’est vital ! Me priver d’art, c’est ma mort ! La peinture est mon salut, ma raison spirituelle de vivre. Sans elle, je n’ai plus de repères, de balance.”
Pourtant, il tient aussi à sa passion pour la photographie. “J’ai appris la photo pour pouvoir faire des oeuvres de sérigraphie. Puis, j’ai attrapé le virus, et j’ai continué.” En fervent amateur de visuel et de graphisme, la photographie lui offre de multiples possibilités. “La photo me sert à avoir un autre regard, parce que le viseur modifie notre vue. Et surtout, agrandir l’infiniment petit, c’est magnifique !”
Une seule focale.
Pour un professionnel de la photo, son sac n’est pourtant pas bien gros : un Nikon D300 et trois objectifs, dont un pour la macrophotographie. “J’ai un autre boîtier, mais je travaille essentiellement avec un seul.” La raison est d’ordre pratique : il prépare actuellement un livre sur des villages africains. “Ne transporter qu’un boîtier présente l’avantage de ne pas être encombré, avec un équipement trop lourd. Et puis je ne trouve pas idéal d’exposer de la richesse devant les gens des villages. Pas question d’étaler cette forme de richesse ! Et en se concentrant sur une seule focale, on va plus loin avec ! On exploite toutes ses possibilités.”
En attendant de finaliser le livre, Pierre Argo met toute son énergie dans l’exposition du 23 novembre. Au total, une bonne quarantaine de toiles seront exposées. On retrouvera parmi elles des tableaux dans lesquels apparaissent des hommes emblématiques, qui sont chers à son coeur : Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Mais une toile en particulier retient son attention : elle représente Ti-Frer, pour lequel le peintre voue une admiration sans bornes, liée à une grande amitié. Il cache difficilement son émotion en revenant sur ses souvenirs : “Je voulais le filmer, faire tant de choses avec lui ! Sa disparition a été une perte énorme pour tout le pays !”
Crise.
Car même s’il vit en France, Pierre Argo n’en reste pas moins bien mauricien. Et il s’inquiète pour l’avenir. “Maurice est dans une phase se situant entre développement et sous-développement. Après nous être développés, nous retombons.” La cause de ce recul : la crise. “Elle nous prend à la gorge, et l’année prochaine sera pire ! Pas d’argent, pas de développement.” Dans ce contexte financier difficile, les artistes mauriciens traverseront une période austère. “Les projets artistiques seront foutus ! La nourriture passe avant. L’art n’est pas un besoin, ni une priorité. Les achats d’oeuvres d’art, pareil.”
Pour le peintre, le nombre d’artistes mauriciens va encore diminuer. “Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent qu’il y a beaucoup d’artistes à Maurice. D’abord, il n’y a pas de marché, ce qui fait que personne ne se jette dans l’art. De plus, de nombreux artistes doivent faire un boulot alimentaire et n’ont plus de temps pour leur art.” Selon lui, il n’existe qu’une façon de redresser cette situation : “Je voudrais que l’État et les banques aident les artistes, en achetant de l’art.”

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