PORTRAIT: Nella, la voix mauricienne de Melbourne

Depuis plus de vingt ans, on l’entend pratiquement toutes les semaines sur 3ZZZ, une des radios communautaires de Melbourne. Elle, c’est Nella Rivière, ancienne télé-speakerine de la MBC, qui anime avec d’autres une émission que les Mauriciens émigrés à Melbourne ne ratent pas. Voici son portrait.
« Mo ene zenfant Beau-Bassin », précisé d’emblée et avec fierté Nella Rivière. Elle est en effet née et a grandi dans l’autre moitié des villes-soeurs, avec un père journaliste et amateur de sport, une mère lingère dans un hôpital, et ses trois frères et soeurs. Beau-Bassin est alors une petite ville célèbre pour son jardin botanique et ses vieilles maisons coloniales au fond d’allées ombragées que chantent les poètes comme Pierre Renaud. Alors que la plupart des jeunes filles font de la broderie, rêvent au prince charmant en écoutant, selon leur tempérament, Cliff Richard ou Elvis Presley, et se gardent d’aller au soleil pour ne pas « gâter » leur teint, Nella se passionne pour le sport. Avec une bande de copines, dont font partie Monique Oh Shan, Myrna Blackburn et Roselyne Nicole, elle fait du sport. Toutes sortes de sports. « Nous faisions de l’athlétisme, du basket, du volley, du tennis et de la course à pied. Je me rappelle que l’on courait de Beau-Bassin à la Ferme pour, nous entraîner, et qu’au retour, on allait acheter une chopine de Coca à crédit pour nous désaltérer. C’était le bon temps. »
Mais l’idée que des jeunes filles puissent faire du sport, au lieu de se consacrer à la broderie et à la couture, ne plaît pas à tout le monde. « Nous étions un peu en avance sur notre temps. Quand j’ai commencé à jouer au volley-ball, ma grand-mère n’était pas contente du tout. Elle disait : « Vous n’avez pas honte d’aller vous exhiber devant les hommes sur les terrains de basket ? Les jeunes filles bien ne font pas ça. » Selon elle, il aurait fallu aller jouer avec une longue jupe et un chemisier. Mais nous avons tenu bon et sommes allées jouer. »
Après ses études au Couvent de Lorette de Rose-Hill, Nella commence à travailler comme enseignante. « C’était comme ça à l’époque : le premier job après avoir été élève était de devenir prof. Bien souvent dans le même collège, avec des élèves pratiquement du même âge, qui, la veille, étaient nos amies. On ne faisait que changer de place dans la classe. » Ses aptitudes pour le sport font de Nella Rivière une physical trainer idéale, et elle est engagée au Collège Bhujoharry où elle aura comme élève un certain Finlay Salesse. À la même époque est organisée une des premières foires de l’océan Indien à Tamatave, Madagascar. Nella est finalement choisie, avec Danielle Maingard, comme hôtesse du stand de l’île Maurice à cette foire. « Nous avons passé trois mois à Madagascar pour aider à monter le pavillon de Maurice, sous la direction de Marcel Lagesse, et à accueillir les visiteurs. Après la foire, nous sommes restées quelques temps pour découvrir une petite partie de Madagascar. »
De retour à Maurice, son expérience malgache permet à Nella d’obtenir un poste d’hôtesse chez Rogers, qui représente la majeure partie des compagnies aériennes et Air Mauritius. Pendant cinq ans, Nella va travailler comme hôtesse d’accueil à Plaisance. C’est dans l’exercice de ses fonctions qu’elle rencontre trois techniciens britanniques venus renforcer l’équipe de la toute nouvelle Mauritius Broadcasting Corporation. Ils lui proposent de faire un « voice » et un « screen test », avant de lui proposer de travailler comme speakerine en freelance. Elle va alors rejoindre les premières présentatrice de la toute nouvelle télévision mauricienne : Monique Oh San, Padma Ghurburrun, Manda Pillay et Marie Josée Hervel. « C’était une très bonne période. On apprenait sur le tas avec peu de moyens techniques. On travaillait en direct, ce qui oblige à plus de concentration, plus de préparation. On faisait de tout : j’ai annoncé les programmes, lu les informations en anglais et en français, animé des émission de variétés, fait des interviews. Tout cela se faisait de manière décontractée, spontanée, dans une très bonne ambiance. »
Tout en faisant de la télévision le soir, elle travaille le jour et fait du sport, surtout du tennis, dans l’après-midi. C’est sur un des courts de tennis qu’elle rencontre Jacques Roussel, footballeur et gardien de but de l’équipe du Racing. Ils se marient et auront trois enfants, Annick, Jean-Pierre et Jacques, alias Kiki, à qui ils transmettront leur amour du sport. Au niveau professionnel, Nella continue à faire du freelance à la MBC, mais quitte Rogers pour MTTB avant d’aller rejoindre l’équipe de Singapore Airlines, dont elle deviendra responsable de la branche mauricienne.
En 1988, pour préparer l’avenir de leurs enfants, les Roussel émigrent en Australie. Après un séjour à Perth, ils décident de s’installer à Melbourne, où Nella décroche tout de suite un emploi chez Singapore Airlines. « C’était une grande aventure et j’étais fascinée à l’idée d’aller découvrir un nouveau pays. Pour nous intégrer plus facilement à la vie australienne, nous sommes devenus membre d’un club de tennis. Nous nous sommes rapidement intégrés au mode de vie australien, les enfants et moi. Cela a été un peu plus difficile pour mon mari. »
Dès qu’elle est installée à Melbourne, Nella est invitée à rejoindre l’équipe de 3ZZZ, radio communautaire qui diffuse une émission mauricienne tous les samedis. « Cela fait aujourd’hui 21 ans que je fais partie de cette équipe. Nous sommes passés d’un programme un peu rigide à quelque chose de plus convivial, où tous les Mauriciens de la communauté se retrouvent. Il a fallu se battre contre des conservateurs pour parvenir à moderniser la radio, l’ouvrir au plus grand nombre. Au départ, l’émission était seulement en français et en créole, puis nous avons ajouté l’anglais, ce qui nous permis d’inclure dans notre audience les enfants de Mauriciens arrivés jeunes ou nés en Australie, qui ne parlent que l’anglais. Nous suivons tout ce qui se passe à Maurice par la presse, via internet, pour en donner un compte rendu une fois par semaine. C’est une des rubriques les plus appréciées de l’émission. Les Mauriciens d’Australie s’intéressent beaucoup, passionnément même, à ce qui passe dans leur île natale. »
Petit à petit, cette radio est devenue le trait d’union de la communauté mauricienne de Melbourne et maintenant, avec internet, au delà de Melbourne et même de l’Australie. Et Nella est devenue un des ses principales animatrices. Grâce à sa carte de presse d’animatrice radio, Nella peut assister une fois par an à l’Open d’Australie, l’une des plus importantes compétitions de tennis, qui se joue à Melbourne. « Tous les ans, je prends quinze jours de congé pour me plonger dans l’Open d’Australie. Non seulement j’assiste à toutes les rencontres, mais j’ai également la possibilité de côtoyer de près tous les champions du monde. Et je peux dire à ses fans mauriciennes que Nadal est aussi séduisant sur un court qu’en coulisses. » Elle a également réussi l’année dernière à réaliser un défi qu’elle s’était lancé depuis longtemps : publier le livre écrit par son père sur Guy Rozemont.
« Mon père a eu une vie passionnante et passionnée. Né à Maurice, il a été soldat français à Madagascar, juste après son mariage avec ma mère. Il a ensuite été envoyé en Afrique où il a été fait prisonnier par les Allemands pendant deux ans. Pendant cette période, et alors qu’on le croyait mort à Maurice, il a passé sa captivité à apprendre l’allemand et l’italien et à jouer aux échecs. Quand il est finalement rentré à Maurice, il a pris de l’emploi comme enseignant, a été musicien et boxeur, avant de devenir journaliste. Il était également l’ami d’enfance de Guy Rozemont, sur qui il a écrit un livre que je viens de publier grâce au coup de main de mes cousins, Serge et Lindsay Rivière. » Le lancement de ce livre, écrit il y a cinquante ans, a permis à Nella de réaliser un joli coup médiatique : réunir, le temps de la cérémonie, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam autour de la même table.
Nella vient de prendre sa retraite de Singapour Airlines, mais continue à bénéficier de tickets promotionnels, ce qui lui permet de se livrer à une autre de ses passions : voyager autour du monde. En revenant aussi souvent qu’elle le peut à Maurice, mais en visite, pas pour y finir ses vieux jours, comme le souhaitent de nombreux Mauriciens. « J’aime beaucoup Maurice. Je reviens régulièrement avec plaisir, mais je ne viendrai pas finir mes jours ici. D’abord, mes enfants et petits-enfants sont là-bas, ainsi que ma vieille maman. Mais aussi, et c’est important quand on est à la retraite, parce que le système social australien s’occupe des vieux dans tous les domaines de la vie, depuis le transport public jusqu’aux médicaments à prix fixe, en passant par des réductions sur certaines factures. Par ailleurs, je continue à jouer au tennis, pas avec la même adresse qu’auparavant, bien sûr, et j’ai une vie de retraitée et de grand-mère bien remplie. J’ai aussi un groupe d’amis, une bande joyeuse, avec qui je sors, je vais au cinéma, à des concerts, ou avec qui je passe tout simplement un moment. Comme vous le voyez, je suis une retraitée qui est très occupée. » Quel est le prochain projet de Nella ? « J’aimerais bien écrire un livre de souvenirs sur ma vie à Maurice, mes premiers pas et mon expérience de la vie australienne. Je vais m’y mettre… quand j’aurai un peu de temps. »

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