Portrait : Raphaël Audibert, self made artist

À la fin de l’année dernière, Leritaz maronaz, un livre album recensant les grandes figures du marronage, avait connu un succès phénoménal dans l’histoire de l’édition mauricienne. En effet, les 750 exemplaires de la première édition se sont vendus en quelques semaines. À l’occasion de la deuxième édition de ce livre-album, nous sommes allés à la rencontre de son auteur, dont le parcours sort définitivement de l’ordinaire.

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Au départ, rien ne prédestinait Raphaël Audibert à devenir un défenseur des marrons, ces esclaves qui s’enfuirent des plantations à l’époque de la colonisation, dont il ignorait d’ailleurs l’existence. D’autant plus que techniquement, ses ancêtres faisaient partie de ceux qui pourchassaient les marrons. Au lycée, on dit qu’il était un élève difficile, au grand désespoir de ses parents qui feront tout pour qu’il ne soit pas renvoyé. « J’avais besoin d’avoir une relation correcte avec l’enseignant, sinon j’établissais un barrage. J’ai appris la négociation, à argumenter pour changer de classe, changer de sujet. Mais à l’école, l’élève qui raisonne, qui argumente trop, n’est pas bien vu. Je m’en suis sorti parce que mes parents, même s’ils n’étaient pas d’accord avec moi, m’ont soutenu. J’ai vu plein de psychologues, de conseillers, de coaches qui se sont penchés sur mon cas, mais ils n’arrivaient pas à me mettre dans une case. Ils n’arrivaient pas à comprendre que j’avais besoin d’établir une relation de confiance avec un enseignant pour étudier. Mais tant bien que mal, j’ai fini par passer mes examens, avec mention. » Raphaël Audibert n’a, cependant, aucune difficulté à apprendre la musique en suivant l’exemple de son frère et découvre le reggae, en écoutant une chanson racontant la vie de Bob Marley. Ce qui lui donne envie d’écrire ses propres chansons et de les interpréter sur le beat du reggae et en laissant pousser ses cheveux pour en faire des dreadlocks. Après ses études, il se fait offrir un voyages dans les Caraïbes, avec longue escale à la Jamaïque, le pays de Bob Marley. «

Là-bas, j’ai rencontré quelques personnes qui m’ont beaucoup inspiré pour la suite de mon parcours musical. Dont Pearl Drop qui m’a appris que les textes de mes chansons étaient trop longs, que je devais arriver à résumer en dix mots ce que je disais avec mille. J’ai surtout découvert l’existence et la place des marrons dans la culture rastafari dans les Antilles. Avec le recul, j’ai compris que d’une certaine façon, j’ai mené une vie de marronage à l’école pour essayer d’échapper à l’autorité et aux pressions parce que je me sentais en captivité. » Rentré à Maurice après huit mois aux Antilles, Raphaël est employé comme guide autour du Morne et devient un spécialiste de l’histoire du marronage. « Je racontais l’histoire officielle des esclaves aux touristes et, en même temps, je la remettais en question en décrivant, par exemple, les marrons et leur capacité à se défendre retranchés au Morne, transformé en forteresse et non pas lieu de suicide. En racontant ces histoires, fait de constats et de déductions à partir de la version officielle, j’ai commencé à écrire, sans m’en rendre compte, les premières pages de Leritaz maronaz. Et puis, quelqu’un m’a envoyé des photocopies d’extraits du livre de Monseigneur Amédée Nagapen intitulé Le marronage à l’Isle de France, ce qui m’a permis de mettre de l’ordre dans mes idées, de les appuyer sur une base solide et, à un moment donné, j’ai eu assez de petites histoires sur le marronage pour faire un livre. » Projet qu’il met de côté pour se consacrer à la production de son premier album musical, Badoon qu’il présente comme « un projet musical dessinant l’actualité mauricienne à la force d’une poésie engagée. » Il choisit comme nom de scène Rafiki et se fait accompagner de sept musiciens – le Fusional Mind – dont des rastas de la Gaulette. L’album connaît un certain succès, ce qui pousse le chanteur et son groupe à se produire à Maurice, avec un passage éclair à Paris.

« Avec le recul, j’ai compris que, d’une certaine façon, j’ai mené une vie de marronage à l’école pour essayer d’échapper à l’autorité et aux pressions parce que je sentais en captivité. »

Puis, sur l’insistance de sa mère – qui avait remarqué qu’il était profondément scandalisé par les énormes disparités sociales à Maurice, plus particulièrement dans la région de Rivière-Noire –, il accepte de reprendre ses études et se rend à La Réunion pour passer une licence en sociologie. Et le père de Raphaël, que disait-il de la carrière de son seggaeman de fils ? « Cadre dans le secteur privé, il était gêné par mes choix, mais il a fini par être impressionné par ma capacité à défendre mes convictions et mes points de vue. »

À La Réunion, Raphaël rencontre Johanne, Mauricienne qui participait à un programme d’échange d’étudiants et en tombe amoureux. Ils sont obligés de revenir à Maurice à cause du confinement et elle tombe enceinte, alors que Raphaël termine ses études par correspondance. Ironie de la vie, il détient aujourd’hui une licence qui lui permet d’enseigner, de devenir un de ces enseignants appliquant un de ces programmes contre lesquels il s’était révolté ! C’est pendant le confinement que le projet de Leritaz maronaz se concrétisera. « J’avais compilé des notes pour pouvoir raconter l’histoire du marronnage aux touristes qui venaient visiter le Morne. Au départ, je voulais faire un calendrier sur les dates importantes du marronage, mais le projet a évolué pour devenir un livre qui raconte les histoires et les personnages, les légendes de son histoire. Je savais comment on réalise un projet avec l’expérience du premier album, quels chemins prendre, quelles étapes suivre. J’ai constitué une équipe de dix personnes pour la réalisation du projet, j’ai fait des recherches et j’ai écrit le texte, ma femme a fait les corrections, nous avons un duo marketing qui a fait le logo, l’iconographie, la campagne de pub, deux illustrateurs, une personne qui nous a aidés pour le lancement et les monteurs de chez Oxo. » Après de longues négociations, Raphaël parvient à obtenir le financement du National Arts Fund et du Centre Nelson Mandela. « Ce n’est pas facile de collaborer avec les institutions publiques et la plupart des acteurs culturels, découragés, abandonnent. Le principal problème, c’est le temps que chaque bureau de chaque institution prend pour valider les projets en suivant les règlements qui sont propres à chacun d’entre eux et qui peuvent être en conflit avec ceux d’autres instances. »

Après deux ans de travail, Leritaz maronaz sort à la fin de l’année dernière. C’est un succès immédiat grâce au marketing et au bouche à oreille des parents et amis de l’équipe de production et aux copies réservées par les sponsors. « Les 750 exemplaires de la première édition ont été rapidement vendus, mais nous n’avons pas touché notre cible : les familles et les enfants des régions qui ont directement à faire avec le marronage. C’est pour cette raison que nous venons de lancer une deuxième édition avec un nouveau partenaire, Atomic Games, qui va créer un jeu de cartes, avec les noms de chaque personnage se rapportant aux histoires du livre. L’objectif est d’inciter les enfants à créer des histoires captivantes en utilisant les cartes fournies, mettant ainsi à l’épreuve leurs compétences narratives. L’enfant apprend chez lui qui il est, et à l’école ce qu’il doit devenir pour faire partie de la société et subvenir à ses besoins. Nous devons faire entrer l’histoire du marronage dans la tête des enfants à travers leur parents. »

On pourrait se demander pourquoi ce livre sur le marronnage est écrit en français. « Leritaz maronaz est en français parce que nous voulons atteindre le maximum de personnes possibles. Notre combat n’est pas de défendre le créole, mais de se remémorer des choses qui se sont effectivement passées, mais que l’on a oubliées. »
Est-ce qu’en dehors du marketing de la deuxième édition de Leritaz maronaz – dont une démarche vers les pays victimes de la traite négrière –, Rafaël Audibert a d’autres projets ? « Oui parce que j’aime apprendre à faire quelque chose pour déboucher sur autre chose. Quand j’ai appris à jouer de la guitare, j’ai voulu chanter un puis plusieurs styles de chansons, puis j’ai appris à créer mes propres beats, à devenir un producteur, un créateur de livre, à maîtriser l’ordinateur et ses applications, et je suis devenu DJ. Je travaille sur un autre livre, mais pas une suite du premier, parce que je ne veux pas entrer dans une case, celle de celui qui écrit juste sur le marronage. Je pense que le boulot d’un artiste qui se sent profondément artiste est de constamment décevoir son public pour le surprendre, et créer chez lui une nouvelle attente pour apprendre autre chose. C’est ce que j’essaye de faire. » Pas mal pour quelqu’un qui avait la réputation de ne pas vouloir apprendre…

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