ROMAN: Alain Gordon-Gentil, confronter le présent au passé

Dans son cinquième roman, largement influencé par la figure de Mohandas Karamchand Gandhi, Alain Gordon-Gentil traite de la difficulté d’un sujet de confronter sa quête d’une vision neuve à un passé qui la dépasse. L’écriture limpide épouse la thématique du Chemin des poussières (Pamplemousses éditions, 2012). L’auteur du roman se livre à une exploration du malaise du sujet. Le constat est fait à partir de l’histoire de Gregory venu au Gujerat suite à la disparition dramatique de sa compagne Lise. Il entame parallèlement une marche de plus de 400 kilomètres qui dure 23 jours, d’Ahmedabad à Dandi, une ville côtière sur l’océan Indien. Gregory donne ainsi un autre sens à la Marche du sel, s’identifiant au « Bappu ». Mais sa quête mystique échappe à tout instant pour céder au motif original comme une ombre sur la marche; le voile posé sur un passé douloureux, Lise, une Hongroise qui a fui le régime communiste de son pays. C’est le feu d’un amour qui parvient à se délimiter un espace intérieur dans la souffrance du quotidien. « La douleur de Lise, il l’a portée tout seul. Du début à la fin, sauf qu’il n’y a pas de fin (…) Lise était allongée par terre, les vêtements déchirés et le visage tuméfié… » Tout commence donc par un drame expérimenté comme une condition et utilisé comme procédé de désaccoutumance. Le texte dit la prégnance du non-être. L’écriture naît de la nécessité d’une histoire vécue qui répond aussi bien au destin présent qu’à un ensemble de représentations qui informent sur la terre indienne. Le roman s’élabore en de courts chapitres, autant de fragments qui font corps avec un sujet qui se souvient. Chaque détail est chargé de sens et l’histoire s’enrichit au fil des pages. Dès l’ouverture du texte, le drame de Gregory est dit mais tout reste à décrypter. L’écriture bute parfois sur le conformisme des représentations du Mahatma Gandhi qui se perdent dans le mirage que suscite le mimétisme. Le questionnement sur cette représentation d’une figure légendaire peut conduire à s’interroger sur la représentation de soi et de l’autre à travers le langage.
A mi-chemin de la quête de soi, du roman d’apprentissage ou du jeu de pistes, le lecteur est invité avec le personnage de Gregory à démêler l’écheveau d’une vérité confuse. Au fil des pages du roman, le protagoniste ayant sondé une souffrance dont il a très vite pris conscience, ne cesse de poser des questions qui sont autant de points d’interrogations. Il lui faut sans relâche confronter des bribes de vérités qui ne se livrent que partiellement. Il apparaît alors que l’histoire de Gregory est aussi celle de bien d’autres acteurs dans une communauté dans laquelle le destin de chacun est lié à celui de tous. La mort fait partie du lot de ces gens. Elle prend d’abord la forme d’un drame personnel puis devient une frontière entre deux mondes aussi poreuse que celle qui sépare deux communautés en Inde. La mort ne cessera de grandir pour envahir l’espace du récit jusqu’à l’épisode qui scelle le destin de Gregory — celle du Taj Mahal, le jour où de l’attentat d’Al Qaida qui fera 250 morts.
Alain Gordon-Gentil, journaliste, écrivain, réalisateur, a réalisé Venus d’ailleurs (Pamplemousses Productions), une série de quatre documentaires historiques qui racontent l’immigration française, indienne, chinoise et africaine à Maurice. Les Moussons Intimes (2005), se présentent comm un documentaire sur la Marche du Sel de Mahatma Gandhi.

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