SEYCHELLES : Le “coco-fesses” menacé

Le fameux “coco-fesses” des Seychelles pourrait bien bientôt rejoindre notre tout aussi tristement célèbre dodo national. Et pour cause : les braconniers se l’arrachent, alors que l’archipel ne compte plus que… 27,000 arbres.
Le procédé est toujours le même : les braconniers se fraient un chemin dans la forêt tropicale et montagneuse de l’île seychelloise de Praslin, coupent le coco de mer, et repartent sans laisser de trace. À part une cicatrice qui longtemps défigure son arbre amputé. Depuis le début de l’année, une quarantaine de cocos de mer, gigantesques noix de coco surnommées “coco-fesses” pour leur forme suggestive, ont disparu dans la vallée de Mai, classée au patrimoine de l’Unesco. La moitié a été dérobée sur le seul mois d’octobre.
Le cocotier de mer est une espèce de palmier qui produit la plus grosse graine du règne végétal et qui ne pousse qu’aux Seychelles. Le coco de mer fait l’objet de convoitises depuis des siècles à des milliers de kilomètres de l’archipel de l’océan Indien : mystifié jusqu’en Europe ou en Asie, il passait dès le 16e siècle pour avoir des vertus curatives exceptionnelles.
À l’origine, on pêchait la noix à la dérive en pleine mer, ou on la trouvait échouée sur des plages de l’océan Indien. Ne l’ayant jamais vue pousser sur terre, les marins pensaient qu’elle provenait d’arbres enracinés dans les fonds marins, d’où son nom, coco de mer. Ce n’est qu’au 17e siècle que le lieu d’origine du fruit géant, en forme de bassin féminin, d’une vingtaine de kilos, fut déterminé : l’île de Praslin. Depuis, le fruit avait peu à peu perdu de son intérêt. Moins sucré que la noix de coco classique, et difficile à fendre une fois arrivé à maturité, il n’était pas utilisé dans la gastronomie.
 
Aphrodisiaque ?
Un regain d’intérêt pour le coco de mer est survenu après l’indépendance des Seychelles, en 1976, et “le développement de l’industrie du tourisme”, explique Victorin Laboudallon, membre du conseil de la Fondation des îles Seychelles (SIF), qui gère la Vallée de Mai. Le fruit, récemment offert au jeune couple princier Kate et William lors de son voyage de noces, est prisé pour son côté décoratif, mais aussi, en Asie, en particulier en Chine, pour ses soi-disant effets aphrodisiaques, associés à sa forme suggestive.
En 2008, deux “coco-fesses” avaient atteint les prix de 6,000 et 11,000 euros lors d’enchères chez Christie’s à Paris. L’engouement pour cette noix unique atteint une telle proportion qu’en 1978, les autorités décidèrent d’en contrôler le commerce : les Seychellois ne pouvaient plus la vendre qu’au gouvernement, qui la revendait accompagnée d’un certificat.
Face à la pression des habitants, qui accusaient les autorités de faire de l’argent sur leur dos, l’interdiction a été levée, mais l’exportation du fruit reste ultra-réglementée : quatre entreprises seulement disposent d’un permis. Au prix (450 dollars le kg) où se négocie sur les marchés asiatiques ce fruit introuvable hors de Praslin et d’une autre île seychelloise, Curieuse, la contrebande fait cependant rage. Et, avec quelque 17,000 arbres recensés à Praslin et 10,000 autres à Curieuse, l’espèce est désormais jugée menacée. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) l’a d’ailleurs inscrite sur sa liste rouge en 2011.
Pour tenter d’enrayer le phénomène, et mieux surveiller les 19 hectares de forêt où se nichent les “coco-fesses”, la SIF a augmenté ces dernières années le nombre de gardiens. Mais le terrain accidenté et l’absence d’enclos rendent leur tâche ardue. “Avant, on pouvait voir près de 75 cocos sur un arbre, maintenant il y en a juste 25, déplore M. Laboudallon. Les arbres ne donnent pas autant de fruits qu’avant car quand on coupe un coco, cela l’affecte, et il ne produit plus autant.”
 
Le sort du dodo ?
Le responsable va même jusqu’à craindre que le “coco-fesses” ne subisse le même sort que le dodo qui, comme chacun le sait, est une espèce d’oiseau disparue il y a près de 400 ans dans notre île. Aux Seychelles, le problème du braconnage est pris d’autant plus au sérieux que le coco de mer est un symbole national. Il figure même sur les armoiries du pays.
Déjà inquiètes des conséquences du braconnage, les organisations de défense de l’environnement ont accueilli avec suspicion un récent festival culinaire mettant en vedette la célèbre noix et organisé par le ministère de la Culture lui-même. Pour la première fois, des plats à base de coco de mer – glaces, mousses et autres flans – ont été proposés à la dégustation. Au risque, disent les défenseurs du fruit, de créer un nouveau besoin qui pourrait mettre un peu plus la noix sous pression. “Je ne suis pas contre l’idée d’organiser des activités pour que les Seychelles soient mieux connues dans le monde, mais il faut faire attention à la façon de gérer la demande : si demain il y a des menus de coco de mer dans tous les restaurants, qu’allons-nous faire ?”, lance Frauke Dogley, directrice de la SIF.
Le ministère de l’Environnement assure cependant contrôler la situation. Une nouvelle loi en préparation devrait régir la consommation du coco de mer. Et, contre l’exportation illégale du fruit, Victoria a installé “une machine radiographique à l’aéroport qui vérifie toutes les valises qui quittent le pays”, assure Ronley Fanchet, directeur de la Conservation au ministère de l’Environnement.
Espérons que ces mesures suffiront à enrayer le phénomène. Auquel cas, les Seychelles pourraient bien figurer au rang de “mauvais élève” pour avoir laissé disparaître les derniers “coco-fesses” de la surface du globe…

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