Disparition du capitaine Bheenick – Son épouse, desemparée face à l’épreuve : «Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir été abandonnée dans un océan»

Bientôt huit semaines se sont écoulées depuis le tragique naufrage du “tug” Sir Gaëtan au large de Poudre-d’Or. Mais la douleur est toujours aussi intense et profonde chez les Bheenick à Calebasses. Maryam, l’épouse du capitaine Moswadeck Bheenick, qui demeure toujours introuvable depuis ce jour fatidique, ne s’attend plus à rien. Elle comprend désormais qu’elle ne retrouvera plus l’homme qui a partagé sa vie au cours de ces 23 dernières années.

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Quand on a rencontré Maryam, 45 ans et originaire du Brésil, à son domicile à Calebasses, elle avait l’air d’aller bien. Elle s’est installée sur une chaise et dès qu’elle a commencé à dévoiler ses sentiments, les larmes ont commencé à surgir. « À ce jour, les autorités n’ont toujours pas retrouvé mon époux. Les autorités et le National Coast Guard affirment que les recherches sont toujours en cours mais je ne les crois plus », affirme Maryam Bheenick. Et d’ajouter que : « Mo anvi gard lespwar retrouv li enn zour me mo bizin pa kouyonn mo mem. Li pa posib aster. Mo pou atan 1 nan pa pu trouv nanye mem. »

L’épouse de Moswadeck Bheenick relate qu’un des rescapés du naufrage lui a confié qu’il avait vu le capitaine sauter du “tug”. « Li dir linn trouv li sote. Me koleg la dir mwa dan la mer zot ti kouma dir dan enn masinn lave, kot vag pran isi zet laba. Mo kondann bann otorite ki pann asir sekirite sa bann dimounn la », dit-elle. Maryam est une épouse meurtrie mais qui essaie d’être forte pour ses deux enfants, Irfan et Ilma.

Son époux, qui était son plus grand complice dans la vie, est toujours introuvable à ce jour. « Je suis originaire du Brésil. Je n’ai aucun proche à Maurice, à l’exception des proches de mon époux. Mais ils habitent tous à Brisée-Verdière. Ce dernier était tout pour moi. Sans lui, je ne suis plus rien. Je suis complètement perdue », confie Maryam. Revenant sur leur première rencontre, Maryam relate qu’elle a fait la connaissance de Moswadeck Bheenick au Brésil. « À l’époque, il était venu travailler au Brésil. Nous nous sommes vus et nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre. Puis, nous nous sommes mariés et je suis venue vivre avec lui à Maurice. Le mois dernier, soit en septembre, nous devions fêter notre 23e année de vie commune », dit-il.

Depuis le naufrage du “tug” Sir Gaëtan au large de Poudre-d’Or dans la nuit du 31 août dernier, l’épouse du capitaine Bheenick relate que sa vie a complètement changé. « Quand je suis arrivée à Maurice pour la première fois, je ne maîtrisais pas le kreol. Donc, c’était mon époux qui s’occupait de tout, à savoir les achats, les démarches, entre autres. Je ne faisais que l’accompagner. Au fil des années, c’est resté une habitude. Maintenant qu’il n’est pas là, il est difficile pour moi de m’occuper de tout cela seule. J’ai peur de sortir. De plus, mon époux m’a toujours gâtée. J’obtenais tout ce dont j’avais besoin. Je n’ai jamais eu besoin de demander de l’aide ou autre chose à qui que ce soit. Je ressens ce manque désormais mais je ne suis pas non plus aller demander à ses proches ou voisins », fait-elle ressortir.
Quant à son quotidien, Maryam explique qu’elle reste seule à la maison quand sa fille part à l’école. Ilma étudie en Form I au collège Rabindranath Tagore Institute. Son fils, Irfan, étudie actuellement en Afrique du Sud. « Kan mo tousel mo pans li. Mo pena kouraz pou fer louvraz. Mo santi mwa delese », dira-t-elle. De temps en temps, elle reçoit la visite des proches de son époux, qui viennent prendre de ses nouvelles. Maryam confie qu’elle envisage parfois de retourner dans son pays natal au Brésil mais elle revient sur décision en pensant à l’avenir de sa fille. « J’ai ma mère et ma sœur au Brésil. Elles m’ont souvent dit de retourner vu la situation dans laquelle je vis. Si je reste à Maurice, c’est surtout pour assurer l’avenir de ma fille. Ma famille vit à la campagne au Brésil, où ma fille n’aura pas une bonne éducation comme à Maurice. Ce qui me pousse à rester ici », précise-t-elle.
Cependant, Maryam soutient que la situation devient de plus en plus dure à Maurice. « Mon époux était un homme bien, toujours au service des autres, à tel point qu’il n’a jamais eu le temps de m’emmener faire ma carte d’identité. Il s’occupait de toutes les démarches, que ce soit au niveau de la banque, l’éducation de nos enfants, entre autres. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir été abandonnée dans un océan et je ne sais pas dans quelle direction il faut nager. Je dois courir à droite et à gauche. De plus, là où je vais, les gens me regardent bizarrement en raison de mon accent. Zis mwa ki konpran se ki mo pe pase », souligne Maryam.
Et d’ajouter que sa fille Ilma est très affectée par la disparition de son père. « Elle a beaucoup changé depuis cet accident. Elle reste renfermée sur elle. D’habitude, Moswadeck organisait des sorties avec elle pendant les vacances scolaires. Elle avait aussi l’habitude d’aller passer ses vacances chez sa dadi (grand-mère paternelle) à Brisée-Verdière. Mais elle ne veut pas aller cette fois-ci. Elle me demande d’organiser des sorties. Mais comment vais-je l’emmener ? Je n’ai même pas de licence », soutient-elle.
Le frère aîné d’Ilma, Irfan, se fait aussi des soucis pour sa petite sœur. « Mon fils m’a demandé d’aller à la rencontre de ses enseignants à l’école pour assurer que sa performance académique ne soit pas affectée par la perte de son père. Elle est une fille brillante. Il faut que je puisse trouver le courage pour me rendre à son école », confie Maryam.

Contraintes financières

La plus grande difficulté à laquelle Maryam doit faire face est de trouver de l’argent pour assurer les dépenses de sa famille. « Mon époux avait pris un emprunt bancaire pour construire notre maison. Je dois rembourser cet emprunt. Maintenant, la banque m’a demandé de produire un affidavit. Je dois entamer toutes les démarches. Mon fils étudie en Afrique du Sud et je dois trouver de l’argent pour lui envoyer. De plus, il doit prendre part à ses examens bientôt mais nous n’avons pas d’argent pour payer les frais. Depuis l’incident, la Mauritius Ports Authority (MPA) m’offre seulement une partie du salaire de mon époux chaque fin du mois », déplore Maryam.

Et d’ajouter que la direction de la MPA n’a même pas jugé nécessaire de la rencontrer une seule fois après le naufrage du remorqueur Sir Gaëtan. « J’ai appris des collègues de mon époux que la direction de la MPA envisage de me convoquer à leur bureau, mais je n’ai reçu ni aucun appel à sujet ni aucune invitation à ce jour. J’ai aussi entendu dire que je vais recevoir une compensation, mais ce ne sont que des paroles jusqu’ici », fait-elle ressortir. Et dire qu’au moment du drame du drame, alors que la Search and Rescue Operation était encore en cours, le Chairman de la MPA, Ramalingum Maistry, avait osé, avec la complicité indécente de certains, parler du montant de la compensation, imposée dans la loi. Aujourd’hui, pas un signe de réconfort pour la famille, qu a perdu tous repaires.
Pour rappel, l’incident remonte dans la nuit du lundi 31 août quand le remorqueur Sir Gaëtan appartenant à la MPA est entré en collision avec la barge L’Ami Constant.

Le naufrage du remorqueur a fait trois morts, Lindsay Plassan, Sylvain Addison et Sujit Kumar Seewoo et quatre rescapés : Philippe Montagne Longue, Tandore L’Aiguille, Elvis Alain Éléonore et Yan Sun Fong. Quant au capitaine, Moswadeck Bheenick, il est toujours porté marquant.

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