KAILASH PURRYAG: « Je suis  le Président de tous les Mauriciens »

A quel âge et pourquoi êtes-vous entré en politique?
— J’ai toujours vécu dans un environnement politique dans la mesure où mon père était un grand agent du PTr . Je me souviens même d’être allé manifester pour célébrer une victoire travailliste en 1959, alors que je n’avais que 12 ans. J’ai participé à la campagne pour les élections de 1967, celle de l’Indépendance, comme agent. J’ai commencé officiellement en 1974 en acceptant un poste de Commissaire nommé par le PTr à la municipalité de Vacoas-Phoenix. Par la suite, j’ai été choisi pour être candidat aux élections de 1976 sous la bannière du PTr.
Vous avez été député, ministre, puis président de l’Assemblée Législative. Est-ce que vous considérez votre nomimation au poste de président de la République comme le couronnement de votre carrière politique?
— Oui, pour moi, c’est un aboutissement. Le choix puis la ratification d’une candidature au poste de président de la République relève de la politique.
Est-ce qu’il n’aurait pas été plus dans l’intérêt du pays que le Président ne vienne pas du monde politique?
— Le premier devoir du Président est de protéger la Constitution, les institutions, les droits de tous les Mauriciens et de se battre pour l’unité nationale. Je suis convaincu que le Président doit avoir une expérience politique pour bien gérer la situation.
Avez-vous exprimé le souhait d’être nommé Président?
— Je n’ai jamais exprimé ce souhait. C’est le Premier ministre qui, longtemps après la démission de mon prédécesseur, m’a proposé ce poste. J’ai accepté sur le champ parce que, comme vous l’avez dit, c’est l’aboutissement d’une carrière politique. Je suis heureux et fier que le PM m’ait proposé ce poste.

Sans mettre en doute vos compétences, on ne peut pas ignorer que votre nomination s’insère dans le cadre d’une opération politique, cette politique communale que tous les partis condamnent tout en la pratiquant.
— Je crois que la politique communale est plus dans la tête de ceux qui la dénoncent que dans la tête des politiciens.

On ne peut pas ignorer que vous avez été nommé Président, après la démission de sir Aneerod Jugnauth, parce que vous appartenez à la bonne caste politique: celle des vaish.
— Je ne crois pas que j’ai été nommé parce que je suis un vaish. Je pense que j’ai été nommé parce que je suis un travailliste. Cette nomination a fait plaisir aux membres du PTr. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas eu de Président sorti des rangs travaillistes.
Maintenant que vous en êtes sorti, quel est le regard que vous jetez sur le monde politique mauricien?
— J’ai été dedans pendant presque quatre décennies. Je crois que bien utilisée, la politique est la meilleure arme dont on dispose pour servir le pays et la population. Elle permet de façonner l’avenir du pays par une vision et des objectifs. Dans le cas de Maurice, c’est l’unité nationale sans laquelle il ne peut y avoir de développement. Cette unité nationale est une condition sine qua non pour le développement économique du pays et cela a été prouvé après l’Indépendance. En dépit du pessimisme ambiant, de la crainte qu’une communauté domine toutes les autres et des exodes à l’étranger, voyez où nous en sommes aujourd’hui, plus de 40 ans après. Il faut mesurer d’où nous sommes venus et où nous sommes arrivés et on ne le fait pas assez souvent. Nous avons sû faire une mutation socio-économique incroyable sans marginaliser qui que ce soit avec toutes les composantes de la nation: les politiques, le secteur privé, la société civile. Nous avons pu consolider l’unité nationale et devons veiller à ce qu’elle ne soit pas mise en question. D’ailleurs, on a vu récemment la maturité de la population qui ne s’est pas laissé emporter par les commentaires inqualifiables qui ont été postés sur Facebook.
Vous ne sentez pas les tensions entre communautés que certains attisent à plaisir? Vous n’entendez pas les pauvres qui hurlent qu’ils s’appauvrissent davantage et qu’ils ne savent comment joindre les deux bouts? Le Réduit est trop éloigné pour que ces échos vous parviennent?
— Permettez-moi de vous rappeler que je ne suis au Réduit que depuis un mois. Avant, j’allais faire mes courses comme tout le monde, je parlais aux gens et je les écoutais. Vous avez raison: la situation économique est difficile, beaucoup plus pour ceux qui sont au bas de l’échelle. Mais est-ce que cela se passe seulement à Maurice où est-ce un phénomène économique mondial? Notre économie est ouverte, nous sommes interdépendants, devons subir les conséquences des crises mondiales et nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Nous devons transformer notre système économique pour éviter la concentration des richesses chez une minorité et encourager une redistribution. C’est l’objectif de la démocratisation de l’économie qui a été lancée à Maurice et qui, avec la multiplication des petits entrepreneurs, va nous permettre de continuer le développement.
Que pensez-vous des organisations socioculturelles qui, parfois, prennent la loi entre leurs mains pour soi-disant défendre les intérêts des membres au nom desquels ils disent agir?
— Les sociétés socioculturelles ne datent pas d’hier. Certaines d’entres elles, comme l’Arya Sabha, ont joué une rôle important dans la lutte pour l’Indépendance.
C’était un combat pour la libération du pays, pas pour  les intérêts personnels de certains dirigeants, comme c’est le cas aujourd’hui.
— A l’époque, nous n’avions pas cette multiplication des sociétés socioculturelles comme aujourd’hui. Mais nous vivons dans un pays où les droits de tout un chacun, donc des sociétés socioculturelles, sont garantis par la Constitution. Nous ne pouvons empêcher une société d’opérer aussi longtemps qu’elle le fait dans le cadre légal. Le politicien doit avoir une bonne relation avec les sociétés socioculturelles, pas les suivre aveuglément. Les dirigeants des sociétés ont le droit de parler, mais personne n’est forcé de les écouter et de les suivre.
Est-ce que vous allez encourager ce type de sociétés socioculturelles en les recevant au Réduit?
— Je ne vais ni encourager personne, ni mettre qui que ce soit à l’écart. J’ai prêté serment pour protéger la Constitution, pour consolider l’unité nationale dans une société multi raciale selon le rule of law. C’est la mission qui m’a été confiée. Je peux rencontrer dix mille individus ou sociétés, cela ne me fera pas dévier de la voie et trahir mon serment.

Que pensez-vous de ce manque de confiance des Mauriciens dans la police qui a pour devoir d’appliquer la loi?
— Nous connaissons les mêmes problèmes que tous les pays démocratiques. Nous sommes une société en pleine mutation et nous ne devrions pas mettre l’accent sur ce qui pourrait créer des doutes dans l’esprit de nos concitoyens. Le fait que nous ayions beaucoup de titres de presse et de radios fait que l’on parle beaucoup de faits divers. Mais on oublie, par exemple, de dire que le taux de criminalité à Flic-en-Flac a beaucoup baissé depuis que des caméras de surveillance ont été installés dans cette localité. C’est un habitant de Flic-en-Flac qui me l’a dit l’autre jour. Cela veut dire que le problème a été indentifié et qu’on peut le régler ailleurs, dans d’autres endroits sensibles du pays.

Que pensez-vous des parents qui, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits des notes données à leur enfant par son enseignant, débarquent à l’école, le menacent et parfois le frappent.
— Merci de m’avoir posé cette question qui me permet d’aborder le sujet de la responsabilité des parents. Quand j’allais à l’école, mon père, qui ne savait pas bien lire, inspectait mes cahiers et comptait les croix et les rights que j’avais obtenus. Quand j’avais obtenu trop de croix, il allait à l’école pour voir l’enseignant. Pas pour le menacer ou le battre, mais pour lui demander pourquoi j’avais eu de mauvaises notes et ce qu’il fallait faire pour que je les améliore. En ce faisant, il prenait ses responsabilités de parent, c’est ce qu’on fait de plus en plus rarement aujourd’hui. Ce n’est pas en allant insulter le maître d’école ou l’enseignant que le parent va aider son enfant à mieux travailer à l’école. Ce n’est pas en se débarrassant de l’enfant devant la télévision qu’on va l’aider à mieux faire ses devoirs. Il faut enseigner aux enfants les valeurs de la vie, le respect des autres. Ce n’est pas au collège que l’on acquiert ces valeurs, mais à la maison d’abord, à l’école ensuite. Il y a un énorme travail à faire à ce niveau et cela nous concerne tous. J’ai lu l’autre jour dans le journal que le parent d’un élève de Form III, qui avait été réprimandé, est allé au collège et a assommé l’enseignant avec son casque de motocycliste..

…ce n’est  malheureusement pas un incident isolé.
— Ce qui n’est pas isolé aussi, et je le déplore, c’est que la presse a fait état de cet incident sans le condamner. Aucun journaliste n’a jugé utile de condamner cette agression d’un enseignant sur son lieu de travail. Je trouve parfois que la presse se concentre trop sur la politique au lieu de défendre les valeurs morales qui méritent de l’être. Si on passe sous silence, si on s’abstient de commenter ce genre d’acte, on laisse entendre qu’il est normal. C’est sûrement ce que doivent se dire l’enfant qui a été puni ainsi que ses camarades.
Que peut faire le président de la République dans le cas que vous venez d’exposer?
— Utiliser l’attention qu’on veut bien lui accorder pour parler de ces sujets, comme nous sommes en train de le faire. Je voudrais m’engager dans ce genre de combat et non pas au niveau politique, comme on a voulu interpréter une de mes premières déclarations. Je suis disposé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour esayer de faire évoluer positivement les choses. Si cela veut dire aller dans les écoles pour parler aux jeunes, je le ferai. Je voudrais devenir l’interlocuteur privilégié de la jeunesse mauricienne, discuter avec elle pour savoir ce qu’elle veut, ce qu’elle souhaite, comprendre ses aspirations.

Il faudrait aussi s’occuper des parents.
— Mais cela va de soi dans ce monde où les parents n’assument pas leurs responsabilités et cherchent la tranquilité en laissant les enfants faire ce qu’ils veulent. Vous m’avez demandé tout à l’heure ce qui me choquait, je vais vous répondre maintenant. Je suis allé  récemment dans un temple pour prier et j’ai vu une mère se débarrasser de son enfant en lui donnant un jeu électronique pour qu’il puisse s’occuper pendant la cérémonie. Comment voulez-vous que, plus tard, cet enfant ait du respect pour les valeurs religieuses et les valeurs tout court?
Je crois qu’il est facile de déduire que l’éducation sera un des thèmes que vous allez privilégier en tant que président de la République?
— Je me suis toujours intéressé à l’éducation et, à chaque fois que j’en ai eu l’occasion, j’ai lu des ouvrages et des rapports sur la question. Un des derniers que je viens de lire souligne que les principaux secteurs de développement de l’économie mondiale seront les sciences et la technologie. Et savez-vous qu’à Maurice, 65% des élèves du secondaire refusent d’étudier les sciences? Pour quelle raison?
J’aimerais vous répondre que c’est à cause de notre système d’éducation, mais je suis sûr qu’en tant que président de la République, vous ne pouvez accepter cette réponse.
— Je crois que le ministre de l’Education a compris la portée de ce problème. Je sais qu’il est en train de faire le nécessaire, mais ce n’est pas facile: il faut changer une manière de penser. Je sais que les syndicats du secteur de l’éducation, que j’ai rencontrés, en sont également conscients. Je crois qu’on ne doit pas attendre la Form III ou IV pour l’enseignement des matières scientifiques, mais commencer dès le primaire. Il faut habituer nos enfants à ces matières, il faut que notre système éducatif tienne compte de nos besoins économiques et forme les élèves en conséquence. Il faut penser au développement économique de demain dans un monde qui sera compétitif à outrance et former nos jeunes pour qu’ils puissent y trouver leur place.
Vous n’allez donc pas être un président coupe-ruban qui va faire de beaux discours consensuels et s’asseoir au Réduit?
— Je suis à la Présidence depuis un mois et je n’ai pas arrêté une minute. Je vais là où on m’invite et je parle. Pas en faisant des discours pour flatter ceux qui m’invitent, mais pour parler de sujets d’actualité. Je suis allé dans plusiuers collèges et écoles où j’ai parlé de l’éducation mais aussi des responsabilités des uns et des autres: des élèves, des parents, mais aussi des enseignants. Si c’est pour faire des discours pour flatter ceux qui m’invitent, il vaut mieux que je reste au  Réduit. Je veux provoquer un débat sur les questions d’actualité, je veux faire connaître ce qui se fait de bien dans ce pays et cela existe. Savez-vous, par exemple, qu’il existe une entreprise mauricienne qui fabrique des plaquettes électroniques pour l’armée chinoise et exporte sur l’Europe? Cela veut dire que nous avons un potentiel et que nous devons diversifier nos activités, essayer de nouveaux créneaux, ne pas nous concentrer uniquement sur le textile.

Mais en même temps, monsieur le Président, on entend souvent dire que la confiance n’existe plus, que le nombre de sans-emploi est en augmentation, que le nombre de jeunes qui font des démarches pour aller travailler au Canada est en augmentation…
— Et dans le même temps, le propriétaire de cette entreprise qui exporte sur la Chine me disait l’autre jour qu’il cherche des jeunes pour travailler chez lui. Il me disait que les jeunes qui viennent chez lui viennent apprendre le métier avant de démissionner pour aller  émigrer au Canada. Et l’on s’étonne après quand certaines entreprises font appel à de la main d’oeuvre étrangère. Le paradoxe c’est que les étrangers sont heureux de venir travailler à Maurice et que les jeunes Mauriciens préfèrent aller au Canada. Je crois que malgré la crise, il existe beaucoup de facilités à Maurice que nous n’utilisons pas. Le manque de confiance et le découragement existent plus au niveau de la pensée que de la réalité.
Vous dites être interpellés par les 65% de collégiens qui refusent d’étudier les sciences. Que pensez-vous des 30% d’écoliers qui ne passent pas le CPE?
— Je suis interpellé par cette question depuis des années, plus précisément depuis que j’ai été nommé ministre du Plan, en 1996. J’ai voulu savoir quelle était la cause de l’échec scolaire au CPE. Aujourd’hui, on sait qu’il faut s’occuper de l’enfant dès le pré-primaire, pas seulement les enseignants mais aussi les parents. J’ai un petit enfant et j’ai eu l’occasion de m’occuper de lui, de lui donner l’envie de lire, de faire ses devoirs, de comprendre que l’école fait partie de la vie. C’est à ce niveau que les parents doivent intervenir au lieu de se décharger de leurs responsabilités sur les enseignants. Il faut que les parents participent à l’éveil de l’enfant dès la petite enfance, en ne se disant pas que ça c’est le rôle de l’école et des enseignants. Je reviens à mon dada: on peut dès la petite enfance intéresser l’enfant aux sciences; il existe de centaines de livres qui ont été écrits à cet effet. Il faut les utiliser pour habituer l’enfant aux matières scientifiques.

Donc, vous allez être un Président qui va prendre la parole.
— Oui, je le ferai quand il le faudra, pour contribuer aux efforts de la nation pour développer le pays.
Vous êtes confiant pour le futur de Maurice malgré la crise internationale?
— Oui, parce que Maurice a déjà su résister à des crises économiques, celle des années 80 et celle de 2008. Nous devons avoir la capacité et le courage de travailler ensemble: le gouvernement, la classe politique et  le secteur privé, pour souffrir le moins possible de la crise.

Quelles seront vos relations avec l’Opposition ?
— Elles sont et seront normales. J’ai toujours eu, en tant que président de l’Assemblée Législative, des relations correctes avec l’opposition et avec Paul Bérenger, quand nous étions ensemble au gouvernement.
Vous m’avez dit au départ de cette interview que vous devez votre nomination au fait que vous êtes travailliste. Est-ce que vous allez être un Président travailliste?
— Je ne renie pas mon passé de travailliste mais à partir du moment où j’ai prêté serment, je suis devenu le président de la République de Maurice, celui de tous les Mauriciens. Je vous rappelle que j’ai été président de l’Assemblée Législative et que je crois avoir assumé mon rôle en toute impartialité. Je vais en faire de même à la Présidence.
Votre baptême de feu en tant que Président concerne les élections municipales et l’amendement à la nouvelle loi. Quel est le conseil que vous  allez donner au PM: tenir les municipales  cette année ou les renvoyer à l’année prochaine?
— La tenue des élections municipales n’est pas du resort de la Présidence.

Dans le cas actuel, le dossier se trouve sur votre table.
— Dans le cas actuel, il y a un problème sur un des règlements de la nouvelle loi. Des représentations ont été faites aux instances concernées par l’opposition, le dossier m’a été transmis et j’ai fait mon travail selon les termes de la loi.

Que va-t-il se passer alors?
— Vous ne pensez tout de même pas que je vais vous dire l’objet des discussions que j’ai eues sur ce sujet avec les autorités concernées! Le travail a été fait, mais ne comptez pas sur moi pour en dire plus.

Posons la question autrement: êtes-vous pour que les élections municipales aient lieu cette année?
— La loi dit que les élections municipales doivent avoir lieu cette année. Si cette loi n’est pas amendée, les municipales doivent avoir lieu avant la fin de 2012.
L’amendement en question concerne l’obligation faite aux partis politiques de donner un ticket par ward municipal à une  femme. Vous êtes en faveur de cet amendement, monsieur le Président?
— Je suis d’accord à 100% avec cet amendement. Je pense que nous devons prendre les mesures nécessaires pour atteindre les 30% de femmes dans les sphères de décision politique, comme le préconise la SADC.

Est-ce que vous seriez en faveur d’une loi pour que la présidence de la République soit alternée entre un homme et une femme à chaque mandat?
— Mais bien sûr. Il y aujourd’hui dans notre pays des femmes à des postes de responsabilité. Elles sont juges, directrice ou présidentes de compagnies. Il n’y a aucune raison pour que demain, le président de la République ne soit une femme.

Donc, Monique Oh San-Bellepeau pourrait, un jour , devenir présidente de la République?
— Pourquoi pas?…

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