Renvoi abusif des municipales 2023 : Les recours à la justice se multiplient

Après Rajen Valayden, le LPM, un membre du PTr, et Nando Bodha, le MMM s’apprête à contester légalement le renvoi des municipales à 2025
L’anti-constitutionalité de la décision, la discrétion exclusive du PM et une obstruction à leur droit de voter ou celui de poser leur candidature pour les élections municipales sont parmi les arguments majeurs avancés pour invalider la décision du GM de renvoyer les élections municipales

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La décision du gouvernement de Pravind Jugnauth d’aviser le Président de la République d’avaliser une 3e fois le report des élections municipales, cette fois jusqu’en 2025, met Maurice – qui a une longue et forte tradition démocratique – au rang des pays qui progressent indéniablement vers une autocratie. Mais des citoyens et des partis politiques d’opposition ne l’entendent pas de cette oreille et demandent à la Cour suprême du pays de contraindre les gouvernants à revenir sur cette décision purement politique pour diverses raisons.

Jusqu’ici, trois plaintes ont été enregistrées et d’autres suivront dans les prochains jours ou semaines pour ce qui est qualifié d’atteinte à la démocratie. Ce 3e report en 3 ans, annoncé le 19 mai dernier, a valu au gouvernement de vives critiques aussi bien du public à travers les réseaux sociaux, notamment, que de la classe politique de l’opposition. Cette dernière piaffe d’impatience d’en découdre par le biais d’élections avec l’alliance au pouvoir qu’elle estime en perte de vitesse électorale auprès de la population.
Autant que le report pur et simple, la raison avancée par le Premier ministre Pravind Jugnauth, à savoir un projet de réforme de l’administration des villes, a provoqué l’ire et un rejet politique et médiatique massif de ce nouveau renvoi. Si le report des élections municipales n’est pas une nouveauté dans l’histoire démocratique du pays, celle-là intervient dans un contexte de sourde colère de la population pour diverses raisons, dont la perte sensible du pouvoir d’achat et l’érosion marquée des libertés individuelles. Mais pas que…
Nando Bodha & co, les derniers en date
Le dernier en date à avoir déposé une plainte en justice, pour contester le renvoi des élections municipales, n’est autre que leader du parti Rassemblement Mauricien (RM) Nando Bodha – la figure politique la plus en vue ayant démissionné du principal parti au pouvoir, le MSM, en février 2021. En Cour suprême avant-hier, accompagné de deux habitants de la ville de Vacoas, Maynanda Rajaratnam et Vir Abhi Manuyu Trilochurn, Nando Bodha a déposé, comme ses accompagnateurs, une demande pour une Judicial Review sur le renvoi de ces élections locales. A cet effet, la Cheffe juge, Rehana Mungly Gulbul, a décidé d’appeler l’affaire pour le 26 juin 2023 où elle fait la requête à ce que le Premier ministre soit présent en cour puisqu’il est cité comme défendeur dans cette affaire.
Les contestataires ont invité la justice à demander ale cas échéant au PM d’aviser le Président de la République, Pradeep Roopun, d’émettre les Writs of Elections dans un délai de 60 jours après la décision de la cour et de déclarer void l’extension du mandat pour deux ans des conseillers municipaux.
La plainte de Nando Bodha, rédigée par son avocat Me Trilochun, rappelle que cette extension a pris effet à partir du 13 juin et que cette décision est illégale et « tainted with procedural impropriety ». Il accuse aussi le PM d’avoir agi de manière « unfair, arbitrary, irrational » et d’avoir failli à adhérer aux principes du Rule of Law en décidant d’étendre le mandat des élus des villes. Les plaignants ont estimé que cette « decision making process is unclear and lacks transparency », et qu’elle est contraire aux lois de la République et internationales, puisque basée sur la discrétion exclusive du PM. Pour les deux plaignants habitant Vacoas, cet amendement à la Local Government Act constitue une obstruction à leur droit de voter ou celui de poser leur candidature pour les élections municipales.
Nando Bodha souligne que l’article 12 (1A) de la Local Government Act sur lequel le PM s’est appuyé pour étendre le mandat des conseillers municipaux ne serait pas légal, d’autant que le chef du gouvernement est allé de l’avant au Parlement avec un Certificate of Urgency pour ce renvoi et qu’il n’y a eu aucune explication sur cette urgence. D’où les allégations de « illegal and tainted with procedural impropriety » par le plaignant pour demander une judicial review puisque l’amendement a été voté en a Single Sitting et a pris effet dès le lendemain, le 24 mai 2023. Par ailleurs, Nando Bodha estime que pour donner suite à la première dissolution du mandat des conseillers, la première extension était illégale puisqu’il prenait effet à 23h59 le 13 juin 2021 et, selon lui, « the purported Extension No.1 took effect only on 15th June 2021 ». Il soutient ainsi qu’il y a une possible infraction aux Rules of Law et Lack of transparency.
Les plaintes du LPM et d’Ashley Ramdass, membre du PTr
Entretemps, deux nouvelles plaintes constitutionnelles ont été déposées devant la Cour suprême, lundi 12 juin. Les auteurs sont, pour la première, Linion Pep Morisien (LPM) de Rama Valayden, Jean-Claude Barbier et Raouf Khodabaccus, et, pour a seconde, Mᵉ Ashley Ramdass du Parti Travailliste qui ont tous contesté le renvoi des élections municipales jusqu’en juin 2025.
La première plainte a été l’œuvre des trois membres fondateurs de LPM, soit l’avocat Rama Valayden, Jean-Claude Barbier et Raouf Khodabaccus, qui ont demandé à la Cour suprême d’invalider les amendements apportés à la Local Government Act visant à étendre le mandat des conseillers municipaux, des lords-maires et adjoints au lord-maire. Ils ont aussi demandé un ordre déclarant que l’ensemble du conseil municipal de Port-Louis soit dissout à compter du 13 juin 2023. Conséquemment, ils ont réclamé un ordre visant à ordonner aux lords-maires, adjoints au lord-maire et conseillers municipaux de restituer toutes leurs rémunérations à compter du 14 juin 2023. L’État, le PM, le ministre des Collectivités locales ainsi que l’Attorney General (AG) sont les principales cibles de la plainte du LPM.
Les trois membres de LPM ont retenu les services de Mes Antoine Domingue, Senior Counsel (SC), Jacques Panglose, Rajesh Unnuth et José Moirt pour écouter l’affaire qui devrait être appelée le jeudi 22 juin. Les trois membres du LPM ont, dans leur plainte rédigée par l’avoué Pazhany Rangasamy, fait valoir leurs droits d’électeurs pour la ville de Port-Louis, où ils ont légitimement le droit de voter aux élections municipales et aussi le droit de se porter candidats pour devenir conseillers municipaux.
Rajen Valayden, le premier à contester en justice le renvoi des municipales
Ils rappellent que les dernières élections municipales ont eu lieu en 2015 et que les élus devaient rester en fonction 6 ans au maximum, c’est-à-dire jusqu’au 13 juin 2021. Ils ont rappelé qu’en raison de la pandémie du Covid-19, les élections municipales ont été reportées à deux reprises d’un an, en 2021 et en 2022. Ils jugent « antidémocratique et anticonstitutionnel » le fait que la loi ait été de nouveau amendée le 26 mai 2023, afin d’étendre de deux ans supplémentaires le délai pour tenir les élections municipales, sans explication tangible.
Par ailleurs, l’avocat Ashley Ramdass, membre du PTr, a contesté le renvoi des élections municipales à Quatre-Bornes. Il a aussi demandé à la Cour suprême d’invalider les amendements permettant le renvoi des élections municipales. Me Ashley Ramdass – qui a retenu les services de Mes Gavin Glover, SC, et Antoine Domingue, SC – devra patienter jusqu’au 29 juin pour savoir quelle suite la Cour compte donner à sa demande.
Il a échu à Rajen Valayden, habitant de Rose-Hill, d’être le premier à contester en Cour de justice le renvoi des élections municipales jusqu’en mai 2025. Il a ainsi déposé sa plainte en Cour suprême pour contester la validité de la Local Government Amendment Act 2023 autorisant le renvoi des élections municipales. Soutenu par son panel d’avocats composé Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, et Me Feroza Maurdarbocus-Moolna, Senior Attorney, il a demandé à la Cour de déclarer invalides et anticonstitutionnels les amendements apportés pour renvoyer les élections municipales. La plainte est dirigée contre l’État, le PM et l’Attorney General comme codéfendeur.
Rajen Valayden avait, avant les autres, réclamé dans sa plainte que la prolongation de la durée de vie des conseils municipaux soit déclarée nulle à toutes fins utiles. Après avoir mis en perspective le contexte dans lequel un premier renvoi avait été actif en 2021, pendant la pandémie de Covid-19, il avait utilisé les déclarations faites à l’Assemblée nationale par le vice-PM et ministre des Collectivités locales, Anwar Husnoo, lors des débats sur les amendements apportés à la Local Government Act en 2021, pour le clouer au pilori. Il a, entre autres, souligné que le ministre avait indiqué que « the Bill makes provision for a maximum period of extension of two years, this Government, to repeat myself, always adheres to the fundamental principle of good governance and respect of our values and traditions and undertakes to hold this election within a shorter period as soon as the conditions allow ».
Rajen Valayden a aussi rappelé qu’Anwar Husnoo avait affirmé que le gouvernement n’avait pas d’agenda caché qui s’y rattache, avait garanti au Parlement que le renvoi des municipales en 2021 n’avait pas été motivé politiquement. Selon sa plainte, le renvoi de 2023 et les amendements apportés à la loi en vigueur enfreignent les articles 1 et 45 de la Constitution. Conséquemment, selon lui, le principe essentiel de la démocratie est que des élections libres et équitables doivent se tenir périodiquement et régulièrement, que ce soit au niveau national ou local.
La plainte de Rajen Valayden porte également sur la mise en cause du principe essentiel à la démocratie qu’est la séparation des pouvoirs qui, selon lui, est indiscutablement inscrit dans l’article 1 de la Constitution. Il soutient aussi que la période de report, longue de deux ans, n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.
L’affaire sera appelée devant la cheffe juge Rehana Mungly-Gulbul, jeudi 22 juin.Le MMM, next on the list
Dans les coulisses, il se chuchote que le Mouvement Militant Mauricien (MMM) s’apprête incessamment à déposer sa plainte quant au renvoi des élections en Cour suprême contre l’État, le PM, le ministre des Collectivités locales et l’Attorney General, pour contester le renvoi des élections municipales pour mai 2025 par le gouvernement qui a abusé de ses prérogatives, selon ses adversaires. Ce move des mauves s’inscrit dans le cadre des concertations entre les trois partis politiques PTr/ MMM/ PMSD, mais aussi avec le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, pour contester le renvoi des élections municipales par voie légale.

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