ROSHI BHADAIN : L’enfant gâté du Sun Trust qui voulait aller trop vite

Il semble avoir pris sa décision. C’est du moins l’impression qu’il a laissée à l’occasion de son intervention sur le budget dans la soirée du vendredi 16 juin. Roshi Bhadain démissionnera de son siège de deuxième député de Belle Rose/Quatre-Bornes à la fin de la semaine prochaine, à l’issue de l’examen du détail des dotations budgétaires. Il s’appuie sur le rejet du coûteux projet du Métro Express et, surtout, l’impopulaire programme de déplacement des personnes et des commerces, et le soutien du PMSD qui a développé des assises non-négligeables dans la circonscription. Si cette démission se matérialise, il pourrait faire comme Ivan Collendavelloo, qui s’est présenté à nouveau pour une réélection et qui avait été battu de peu par un outsider du nom de Cyril Curé. Quoi qu’il en soit, la semaine qui vient sera une étape importante dans l’itinéraire cahoteux d’un enfant gâté du Sun Trust qui voulait aller trop vite.
La première fois que l’on entend parler de Sudarshan Bhadain, brillant jeune homme et fils de bonne famille, c’est en 2002, lorsqu’il devient le directeur des investigations de l’Independent Commission against Corruption (ICAC). Il se fait très vite remarquer par ses méthodes peu orthodoxes qui mécontentent les commissaires Navin Beekharry, Gérard Bissessur et Moussa Taujoo. Il convoque des présumés suspects à des heures indues, veut arrêter tout le monde.
L’association avec Teeren Appasamy
Lorsqu’éclate l’affaire MCB/NPF, il monte en première ligne, investit les locaux de la banque à Port-Louis, monte une opération de communication avant d’être rattrapé par les révélations de celui qui est présenté comme l’ultime bénéficiaire du détournement des Rs 886 millions du Fonds National de Pension, Teeren Appasamy. Ce dernier jure même un affidavit pour demander à Roshi Bhadain de se récuser en raison de sa situation de conflit d’intérêts. Celui qui est le neveu de Vasant Bunwaree avait tissé des liens étroits avec le secrétaire financier Dev Manraj pendant la période 1985-2000, mais aussi avec Donald Ha Yeung, un ami de la famille, et Teeren Appasamy, dont on dit qu’il se serait montré très généreux à Londres avec le clan Bunwaree.
On découvrira que les compagnies présentées comme ayant bénéficié du financement litigieux du NPF, telles qu’Angel Beach Resorts, ont pour actionnaires Teeren Appasamy, Dev Manraj et Donald Ha Yeung, et que Quartet Development avait, jusqu’en 1990, Donald Ha Yeung et deux proches de Vasant Bunwaree, Prithiniah Geerjanand et Roshi Bhadain comme actionnaires.
Ses méthodes agaçant de plus en plus ses supérieurs hiérarchiques, ils finissent par le congédier en décembre 2003. Il conteste cette décision en cour et obtient gain de cause en mai 2005, mais son retour à l’ICAC est refusé. Le PTr dans l’opposition suit son parcours. Il est donné comme candidat des rouges à Belle Rose/Quatre Bornes mais c’est au nom de la féminisation du personnel politique que Navin Ramgoolam choisit finalement Nita Deerpalsing.
S’il reste un temps à l’ICAC, il se met également très vite à dos les nouveaux patrons, Anil Kumar Ujodha et Indira Manrakhan. Défendu par Me Yousouf Mohamed pour renvoi injustifié, il obtient quelque Rs 5 millions de dédommagements. S’il repart un temps pour Londres où il a travaillé, il revient en 2011 juste après que la grande alliance de l’avenir PT-PMSD-MSM s’est fracassée sur l’affaire MedPoint.
Roshi Bhadain se tourne vers le MMM où a longtemps milité son oncle Raja Bhadain, mais ce n’est pas l’enthousiasme chez les mauves, qui ont eu l’occasion de le voir à l’oeuvre. Il atterrit au Sun Trust et se jette aussitôt dans la bataille pour défendre Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint. Il devient alors une pièce essentielle, du dispositif du leader du MSM, au grand dam des autres dirigeants plutôt méfiants quant à son goût pour les coups d’éclat. Mais comme il s’arrange pour être aux petits soins avec le leader historique orange SAJ, l’homme se sent pousser des ailes.
Candidat du MSM avec un collègue de parti Koomaren Chetty et le leader du PMSD, le puissant orateur et adepte des formules chocs est élu en deuxième position entre Xavier Duval et Kavi Ramano, alors du MMM. Lepep remportant une victoire écrasante, Roshi Bhadain, bien que ne se retrouvant qu’à la 19e place dans la hiérarchie gouvernementale avec son ministère de la Bonne gouvernance et des Services financiers, se comporte comme un ministre à part et est un des rares à bénéficier d’un motard de la police pour l’escorter dans ses déplacements.
N°19, mais ministre à part avec motard
Il est très vite au front sur les dossiers, dont ceux de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam. C’est dans cette optique que se tient, en mars 2015, dans l’appartement de Ravi Yerrigadoo, la fameuse réunion avec les représentants de Dufry organisée par Rakesh Gooljaury et à laquelle participent activement Pravind Jugnauth et Roshi Bhadain, dont les détails très croustillants finiront dans un affidavit d’anthologie présenté en Cour suprême par les directeurs du Dufry.
Mais pas question de lâcher prise. Après avoir lui-même retiré ses billes de la Bramer Bank, au même titre que SAJ, son fils et les membres de sa famille, le couperet tombe le 3 avril 2015, la licence de la Bramer Bank est révoquée, entraînant dans sa chute le conglomérat de Dawood Rawat, British American Investment.
L’influence de Roshi Bhadain s’étend encore plus lorsque la Cour intermédiaire condamne en juin 2015 Pravind Jugnauth à un an de prison pour conflit d’intérêts dans l’affaire Med Point. C’est Roshi Bhadain qui est choisi pour assurer la suppléance du leader du MSM au poste de ministre des Technologies de l’Information. La MBC sous la tutelle de ce ministère-là, les plateaux de télévision deviennent son terrain de jeu de prédilection et son agent interne tout trouvé Joy Neeraye. Comme les municipales du 14 juin approchent, les émissions se multiplient sur la BAI.
Roshi Bhadain a, à son actif, trois hauts faits parlementaires en tant que ministre : la modification de l’Insurance Act pour faire partir un administrateur de la BAI ; le Good Governance and Interity Reporting Bill, contesté au sein même du conseil des ministres et par des backbenchers comme Bashir Jahangeer, Soodesh Rughoobur et Sangeet Fowdar, et qui a poussé Danielle Selvon à la démission du MSM et ; un texte sur le Captive Insurance.
C’est lui qui est en première ligne non seulement sur la BAI, sur Navin Ramgoolam mais aussi sur Betamax, sur Nandanee Soornack, sur l’achat d’avions, sur Cargotech, bref, sur tout et même ses amis du conseil des ministres. Ayant longtemps espéré atterrir aux Finances, il prend vite en grippe Vishnu Lutchmeenaraidoo, dont il souhaite le départ. C’est du pain béni ou de la fuite savamment organisée que l’affaire de l’Euroloan de Rs 44 millions contractée par le ministre des Finances auprès de la SBM qui est sous sa tutelle. Mais Pravind Jugnauth, officiant comme simple député, commence, avec le recul, à se méfier de ce ministre qui veut prendre toute la place. Il se range du côté de Vishnu Lutchmeenaraidoo.
Toujours est-il que le confident du Premier ministre concocte avec Showkutally Soodhun son projet Heritage City très contesté par d’autres éminents collègues ministres, Xavier Duval, Ivan Collendavelloo. Rejoints ensuite par Pravind Jugnauth qui, acquitté dans l’affaire MedPoint par la Cour suprême, est fait ministre des Finances en mai 2016. S’il fallait retenir un seul cliché de ce verdict d’acquittement, ce serait sans nul doute celui de Roshi Bhadain faisant un baisemain public mémorable à Pravind Jugnauth à sa sortie du tribunal.
Le communiqué corrigé du 9 septembre 2016
Sur les conseils de Gérard Sanspeur, le ministre des Finances devient un des ardents contestataires du projet Heritage City. Ce projet abandonné qui a englouti Rs 49 millions de frais de consultants entrera pourtant dans les annales du conseil des ministres pour des raisons absolument inédites. Celui de la correction par un ministre, Roshi Bhadain en l’occurrence, du communiqué officiel des délibérations. Dans une première mouture, rien sur Heritage City le 9 septembre 2016 mais, après la correction Bhadain, il est écrit que le projet est « revived » et que c’est un comité présidé par SAJ qui va se pencher sur les modalités de sa réalisation.
Ce qui agace le plus c’est le style éléphant dans un magasin de porcelaine qui caractérise le ministre. Après Vishnu Lutchmeenaraidoo, c’est avec Ivan Collendavelloo, traité de « sleeping chihuahua », qu’il va croiser le fer. Sa déposition contre le DPP est à mettre dans son catalogue des excès et pas sûr que dans certaines régions de Quatre-Bornes on ait beaucoup apprécié que la police ait été contrainte d’agir et qu’un magistrat d’occasion ait été sollicité pour un mandat d’arrêt contre Satyajit Boolell.
Ne bénéficiant plus que du soutien du Premier ministre, le ministre de la Bonne Gouvernance et des Services financiers devient de plus en plus isolé au sein du gouvernement. Et lorsqu’intervient la passation des pouvoirs entre père et fils le 23 janvier 2017, il se sent lâché, d’autant que lors du remaniement, ce n’est pas lui qui hérite du poste de ministre des Finances, mais c’est le nouveau PM lui-même qui le conserve.
Attendu pour la prestation de serment le 23 janvier, Roshi Bhadain pratique la politique de la chaise vide, démissionne du MSM et crée quelques jours plus tard son Reform Party. Au Parlement, il est bien moins percutant que ce qu’il avait annoncé, même si tout le monde sait qu’il refile un bon nombre de dossiers à XLD pour ses PNQ.
Ce que l’on retient de ses deux mois et demi de backbencher au Parlement, c’est qu’il a été expulsé par la Speaker Maya Hanoomanjee pour “geste obscène” après que Pravind Jugnauth lui eut lancé « you were licking my hand and other parts. » Les semaines qui viennent devraient provoquer une clarification quant à l’avenir de ce politicien un peu particulier. Confirmer s’il n’aura été qu’un éclair ou qu’il est appelé à devenir une nouvelle étoile dans la galaxie politique locale.

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