ÉTUDES UNIVERSITAIRES: Plus de 2 000 Mauriciens en formation de médecine

Dix mille nouveaux détenteurs du Higher School Certificate s’apprêtent ces jours-ci à arrêter leur choix de formation professionnelle. Au Salon de l’enseignement supérieur la semaine dernière, l’affluence observée aux stands des institutions étrangères et locales proposant des formations en médecine, comptabilité et droit témoigne cette année encore du conservatisme des jeunes Mauriciens en matière d’études supérieures. Où caser les 1 900 étudiants en médecine actuellement en formation à l’étranger, notamment en Chine ? Entre-temps le pays qui affiche des ambitions de se faire connaître pour ses divers « hubs », manque cruellement de compétences pointues dans des domaines spécifiques. Il peine aussi à susciter l’intérêt pour les métiers d’ingénieur des Technologies de l’information et de la Communication, d’actuaire, d’océanographe, de vétérinaire, d’interprète…
Le constat est unanime : « Le secteur de la médecine générale est saturé ! » Déjà en 2007, le Medical Council (MC) avait officiellement tiré la sonnette d’alarme sur le nombre élevé de nouveaux médecins, prévenant particulièrement de l’arrivée sur le marché du travail dans les années à venir des centaines de jeunes en formation à l’étranger. Une réalité qui perdure et que confirment les derniers Economic and Social Indicators publiés en septembre 2011. Au chapitre “Field of Study” pour 2010, la filière médecine a absorbé un total de 1 919 étudiants, avec une majorité de 1 173 optant pour des institutions étrangères, représentant une augmentation de 200 nouveaux élèves en comparaison à l’année précédente. En 2009, il y avait en effet 1 710 aspirants médecins en formation, dont 954 à l’étranger. « Il est utile de préciser qu’environ 80 % de ces 2 000 étudiants partent pour faire de la médecine générale. Seuls 20 % poursuivent une formation spécialisée », souligne un dirigeant du MC.
Cette année, le nombre de nouveaux étudiants en médecine à Maurice comme ailleurs est appelé à augmenter. Outre les quatre institutions de formation existante, l’Université de Technologie de Maurice (UTM) annonce l’entrée en opération le mois prochain d’une école de médecine, le Anna Medical College and Research Centre, en partenariat avec la Chitkara Global Education Ltd de l’Inde. Parallèlement, c’est l’effervescence du côté des agences de recrutement pour les universités étrangères, secteur d’activités qui a vu ces dernières années une floraison de nouveaux représentants et autres intermédiaires, comme en témoignent des avis publicitaires dans la presse.
Petits boulots
Au dernier exercice de recrutement de généralistes par la Public Service Commission, ils étaient plus de 400 candidats à se disputer une place pour exercer dans nos hôpitaux. Pas moins de 225 ont obtenu un poste permanent de Medical and Health Officer, dont 172 contractuels qui ont été titularisés. Toutefois, 70 autres travaillant eux aussi sous contrat n’ont pas été retenus, alors que 53 candidats nouvellement “fully registered” auprès du MC ont été embauchés. Ceux restés sur la touche après le récent recrutement dans la Fonction publique expriment publiquement ces jours-ci leur frustration. Un rapide calcul montre qu’une centaine de généralistes nouvellement entrés sur le marché du travail sont toujours sans emploi après cinq d’études et deux ans d’internat. Même à cette ultime étape de leur formation, nombre d’aspirants médecins demeurent dans l’incertitude. Ces dernières années, en raison de contraintes budgétaires, le gouvernement n’était pas en mesure d’offrir une place pour compléter leur stage pratique dans ses hôpitaux. Entre-temps, certains, pour rembourser les dettes contractées en vue de leurs études, ont été contraints de se tourner vers des emplois dans des centres d’appels, dans le domaine du marketing, voire de la construction comme maçon… À partir de la nouvelle année financière, le gouvernement a opté pour une baisse des allocations, les ramenant de Rs 24 000 à Rs 18 000 afin de pouvoir satisfaire le plus grand nombre de demandes d’internat.
Système de rotation
Une fois l’internat effectué, le Certificate of Registration en poche et sachant que l’État n’a aucune obligation de leur pourvoir un emploi, que deviennent ces nouveaux médecins ? « Il est extrêmement difficile pour un jeune de démarrer à son compte et même de se faire embaucher dans une clinique privée », affirme un jeune médecin de l’État, qui en a tenté l’expérience. « À moins d’être issu d’une famille de médecins, il faut d’abord pouvoir se faire un nom. Pour ce faire, il est primordial de disposer d’un emplacement idéalement situé. Autrement, il faut investir gros, que ce soit pour aménager son propre cabinet ou payer un loyer. Les pharmacies demeurent les emplacements les plus convoités. Faut-il encore que les places se libèrent », ajoute-t-il. Selon d’autres témoignages, ceux qui ne parviennent pas à se faire une clientèle se rabattent sur des emplois qui n’ont aucun lien avec leur formation. Certains travaillent dans des business familiaux, des firmes privées, ou dans le pire des scénarios restent chômeurs. Une nouvelle recrue de l’État cite le cas de son ami qui est sans emploi depuis sept mois.
En dépit des sombres perspectives du marché, la majorité des jeunes médecins persistent à se tourner vers le secteur de la santé publique, considéré comme une garantie de sécurité d’emploi et de revenus sûrs à vie. Cependant, l’extension de l’âge de la retraite à 65 ans est venue engorger davantage le secteur. « On a fait le plein de généralistes », affirment des responsables des Area Health Centres. La seule formule qui permettrait d’accueillir plus de nouveaux venus est le recours à un système de rotation. Une option qu’envisagerait de considérer le ministre de la Santé Lormesh Bundhoo pour le prochain recrutement prévu vers avril-mai. Cette formule pourrait toutefois provoquer des grincements de dents chez les bénéficiaires d’allocation de Night Duty. Valeur du jour, le salaire d’entrée mensuel d’un médecin est de Rs 32 500, pour atteindre Rs 55 000 vers l’âge de la retraite, qu’ils arrondissent avec les allocations de service de nuit. Dans le privé, les honoraires mensuels d’un généraliste de carrière tourneraient autour de Rs 150 000 minimum.
Prudence
Outre le prestige généralement prêté au statut social de médecin, l’aspect financier et le confort apparent qui y sont liés constitueraient au sein de certaines familles les raisons primordiales d’un choix de carrière dans ce domaine. Ainsi, il n’est pas rare que la pression parentale ait le dernier mot dans le choix des étudiants. Cette année encore, selon des indications obtenues auprès d’agents recruteurs pour des études supérieures à l’étranger, un nouveau groupe de 300 à 500 jeunes Mauriciens s’apprêtent à quitter le pays bientôt pour une formation de médecine. Depuis environ cinq ans, les Mauriciens n’ont d’autre choix que de se tourner vers la Chine en raison des coûts élevés des études dans les universités anglaises, françaises, sud-africaines ou encore australiennes, alors que l’Inde n’ouvre plus ses portes pour un diplôme d’Undergraduate dans cette filière. « Il faut compter entre Rs 1 million et Rs 2 millions pour étudier en Chine ; quelque Rs 1,2 million dans les institutions locales, tandis que ces mêmes études coûtent à ce jour plus de Rs 5 millions en Grande-Bretagne », souligne un détenteur de diplôme britannique approchant l’âge de la retraite, qui confie son regret de ne pouvoir offrir cette même opportunité à sa fille pourtant « brillante ». Notre interlocuteur fait également remarquer que la majorité des étudiants qui optent pour des universités chinoises sont issus de familles de condition modeste. Pour leur part, de jeunes médecins en fonction depuis ces cinq dernières années et qui attestent de la difficulté rencontrée pour décrocher un emploi et arriver à une stabilité financière conseillent vivement aux “new school leavers” de faire preuve de discernement dans leur choix de filière, plus particulièrement de la médecine. Le Dr Wassim Ballam, président du syndicat des généralistes de l’État, appelle lui aussi à la plus grande prudence. « Il ne m’appartient pas de dissuader les jeunes de se lancer dans une carrière de médecin. Mais tout ce que je peux leur conseiller, c’est de faire très attention. »
Le nouveau Registre de l’Ordre des Médecins, qui sera publié sous peu dans la Gazette du gouvernement, mentionne un nombre de 934 généralistes et 500 spécialistes pour la République de Maurice. D’ici à cinq ans, en prenant en considération le retour graduel des nouveaux diplômés, le pays comptera plus de 2 000 médecins pour 1,3 million d’habitants. Le pays est déjà doté d’un système de santé régional accessible : un Area Health Centre, un Community Health Centre, dispensaires, une Mediclinic ou Community Hospital dans un rayon de trois kilomètres. Lorsqu’on sait que dans les pays européens, la ratio est d’un médecin pour 800 à 1 000 habitants, notre petite île disposera, elle, d’un médecin pour 650 personnes.
Rareté de compétences pointues
Le Human Resources Development Council (HRDC), organisme chargé de définir des stratégies pour satisfaire les besoins du pays en ressources humaines qualifiées, dresse dans son dernier National Human Resources Development Plan un constat préoccupant du désintérêt de la jeunesse mauricienne pour certains métiers disponibles dans les nouvelles niches de l’économie. Une situation que confirment des intervenants au récent Mauritius International Knowledge Investment Forum organisé par le Board of Investment.
Les grosses entreprises de construction y ont souligné le manque de compétences pour faire du concept de Green Building une réalité. Il manque notamment des architectes et des paysagistes en ce domaine. Les promoteurs de Bagatelle ont témoigné pour leur part des difficultés à trouver des ingénieurs, les contraignant à recourir à l’expertise sud-africaine. Dans le domaine de la production énergétique, un groupe sucrier peine à trouver des chimistes pour mener des recherches sur l’éthanol.
Au HRDC, le Department of Research and Consultancy fait état de la conscience écologique mondiale qui a engendré de nouvelles dynamiques dans l’industrie du tourisme ou encore dans la construction. Parmi les “green jobs” identifiés dans l’industrie touristique et nécessitant de compétences spécifiques, l’on cite ceux de géographes, de scientifiques de la biodiversité, d’océanographes, d’experts en patrimoine, etc. Au chapitre du tourisme de conférences (Meeting Incentives, Conferences and Exhibitions), le pays ne possède pas suffisamment de traducteurs et d’interprètes en espagnol, allemand, italien, et particulièrement en mandarin et hindi, et spécialisés dans les Business Languages.
On peut attribuer ce manque d’intérêt au fait que les matières figurant au programme d’études du HSC et débouchant sur ces professions ne sont pas suffisamment valorisées. À titre d’exemple, il y a eu aux examens de l’an dernier huit candidats pour l’allemand, cinq pour l’espagnol et seulement un pour le mandarin. Les Marine Sciences ont attiré dix candidats et la géographie 20 participants.

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