90% d’échec aux Mock Exams : le pavé dans la mare de l’éducation!

Enjeu: la langue maternelle comme médium face à l’échec de nouveau d’actualité

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Pr Carpooran : « Toutes les institutions concernées doivent se concerter face à cet état d’urgence éducative »

Le fort taux d’échec des étudiants de l’Extended Programme (EP) aux Mock Exams du National Certificate of Education, estimé à plus de 90% par les éducateurs, constitue un pavé dans la mare du système d’éducation et provoque une vague de réactions. Outre le cardinal Maurice E. Piat, qui a fait un vif plaidoyer en faveur d’une pédagogie adaptée en faveur des enfants en situation d’échec, des pédagogues et organisations montent au créneau face à cette situation d’urgence. Une fois de plus, l’utilisation de la langue maternelle comme médium d’enseignement est proposée comme un des moyens susceptibles de surmonter l’échec scolaire. Un programme adapté, différent du système actuel, centré sur le syllabus et les examens, est aussi préconisé.

Des filles de l’EP 9+ en larmes après la messe des School Leavers dans un collège catholique en fin de semaine. Une image glaçante qui a laissé les enseignants et les parents présents sans voix. Contrairement à leurs camarades de Grade 13, qui entreront sans doute à l’université l’année prochaine, ces dernières sont dans l’incertitude face à leur avenir. Jusqu’ici, il n’y a aucune instruction claire sur ce qui est réservé pour ceux et celles qui n’atteindront pas le minimum requis pour se faire admettre en Grade 10 dans le Mainstream.

Si l’on se fie aux indications des Mock Exams pour le National Certificate of Education (NCE), où neuf élèves sur 10 de l’EP ont échoué, selon les éducateurs, on peut anticiper que la majorité se retrouvera dans cette situation. Des enseignants regrettent que pendant quatre ans, les techniciens de la Quality Assurance and Inspection Division se sont concentrés sur la Checklist du syllabus, au lieu de prendre en considération les réalités des apprenants.

Ledikasyon Pu Travayer a été le premier à tirer la sonnette d’alarme en parlant de l’urgence d’introduire le kreol comme médium d’enseignement. Alain Ah-Vee, le porte-parole, est des plus catégorique: « il est temps de développer une mother tongue-multilingual based education ». L’exemple des pays nordiques est mis en exergue. Cela afin de permettre aux enfants de maîtriser la base de la littératie et de la numératie dans leur langue maternelle avant d’aller vers une langue étrangère.

Sollicité à ce sujet, le Pr Arnaud Carpooran, doyen de la faculté des sciences sociales et humaines et Personal Chair, French and Creole Studies à l’Université de Maurice, réaffirme que la question est d’actualité. Surtout après dix ans d’enseignement du Kreol Morisien dans le Cursus académique. « Quand cette question avait été soulevée dans le passé, il y avait beaucoup d’appréhensions. Certains étaient pour, d’autres contre. Puis on avait dit que la langue n’était pas assez développée et elle n’était même pas reconnue au niveau de l’État. Aujourd’hui, nous avons déjà franchi toutes ces étapes », souligne-t-il.

Le Kreol Morisien comme instrument pédagogique a déjà fait ses preuves après dix ans dans le système, avance-t-il. Il est tant, maintenant, de se pencher sur l’autre dimension du Kreol Morisien. Face aux signaux transmis par l’Extended Programme, il avance que « toutes les institutions concernées doivent se concerter face à cet état d’urgence éducative ».
Il concède qu’il y aura tout un travail à faire, notamment pour le développement du Meta Langage pour les différentes matières. « Je sais que le MIE est déjà en train de faire un gros travail, notamment pour l’élaboration du programme des Grades 10 et 11. Il faudra aussi nous préparer à répondre à ce SOS qui se présentera à nous, à la lumière du rapport des examens pour l’Extended Programme », prévient-il sans ambages.

L’universitaire ajoute que le recours à la langue maternelle comme planche de salut pour le groupe d’élèves qui n’arrivent pas à s’adapter au système actuel est devenu plus qu’une évidence. « Il est clair que l’anglais comme médium d’enseignement n’est pas adapté pour eux. Avec le Nine Year Schooling, on n’a fait que repousser le problème à trois ans plus tard », regrette-t-il.

Arnaud Carpooran se dit en faveur d’un système bilingue, déjà expérimenté par le PrevokBek. « Je crois que le bi-literacy kreol-anglais fait déjà l’unanimité. On pourrait, par exemple, développer des manuels bilingues, avec une page en anglais et une page en kreol, pour mieux se retrouver », propose-t-il.

De même, le système du Mainstream n’est peut-être pas adapté à ce profil d’élèves, ajoute-t-il. « Un système adapté pour ceux en situation d’échec avec le kreol comme médium d’enseignement viendrait également corriger les inégalités sociales. Il faut arrêter les débats stériles. Les institutions qui ont un rôle linguistique doivent se mettre au travail. Il est temps de prendre cet aspect très au sérieux. »

Le secteur informel en avance

Alors que dans le système formel il y a encore des tergiversations sur la question, dans le secteur informel, certains sont déjà bien avancés dans ce domaine. C’est le cas notamment de Terre de Paix, où la langue maternelle est utilisée comme médium dès le préscolaire. Alain Muneean, directeur de Terre de Paix, a même été appelé à collaborer avec l’équipe du Mauritius Institute of Education (MIE), qui a travaillé sur l’élaboration du curriculum de Grade 10.

Si d’une part, l’organisation encadre des enfants de la garderie à l’école spécialisée, elle a également une unité accueillant les Drop Outs du système. « C’est un fait incontournable que tout apprentissage doit se faire dans une langue que l’enfant comprend. Donc, sa langue maternelle. Cela s’applique aussi pour la littératie et la numératie, avec une ouverture sur l’anglais. Par exemple, chez nous, la langue maternelle est utilisée comme médium pour des matières comme l’agriculture ou Home Economics », reconnaît-il.

Ayant ainsi assimilé les bases et les connaissances nécessaires, le jeune, arrivé à 16 ans, est mieux armé pour continuer son apprentissage ou une formation. « Il y a aussi toute cette dimension de confiance en soi qui se développe et qu’il ne faut pas négliger. Quelqu’un qui a une bonne estime de soi, qui a un language développé, par exemple, peut se présenter à un entretien d’embauche avec plus d’assurance », ajoute-t-il.

Au-delà que la question de lecture et d’écriture, la langue maternelle comme médium permet d’acquérir des compétences sociales, ajoute Alain Muneean. Ce dernier dit tout de même noter une évolution depuis que le Kreol Morisien a fait son entrée à l’école. « Auparavant, nous avions beaucoup de problèmes avec les écoles primaires, car nos enfants apprenaient en kreol au préscolaire. Maintenant, ce n’est plus le cas », dit-il.

Pour Alain Muneean, toute réforme majeure de l’éducation, devrait inclure la langue maternelle comme médium en s’appesantissant sur le fait que « nous sommes en faveur du multilinguisme, mais nous sommes d’avis qu’il ne faut pas trop se précipiter pour apprendre les langues étrangères aux enfants. »

Au-delà de la simple question de langue, il y a toute une approche pédagogique à revoir également. Pour Alain Muneean, il est impératif de s’appuyer sur les acquis culturels comme outils pédagogiques. Les chants et les poèmes, notamment, sont des outils à ne pas négliger, dit-il. Il se réjouit ainsi que l’équipe du MIE, dirigée par Nicolas Natchoo, ait mis beaucoup d’accent sur cet aspect dans l’élaboration du programme du Kreol Morisien pour le Grade 10. « Au-delà que l’aspect cognitif de l’apprentissage, il y a aussi un aspect émotionnel et culturel. Le vécu de l’enfant doit être pris en considération. C’est ce qu’on appelle le capital culturel, qui se développe à la maison et qui est qualifié comme informel », rappelle-t-il. Selon lui, si l’éducation se concentre uniquement sur l’aspect formel et néglige l’informel, beaucoup d’enfants vont se perdre, pour ne pas dire laisser pour compte, en cours de route.

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