ABUS SUR LES ENFANTS : La pauvreté accentue la vulnérabilité

Précarité, fléaux sociaux, insécurité, parents divorcés, familles nombreuses et recomposées vivant dans des conditions de vulnérabilité sont autant de problématiques qui touchent une grande majorité des quartiers appelés “cités” et d’autres poches de pauvreté de l’île. La petite Eleana Gentil, retrouvée morte la semaine dernière, y habitait. Autant que Joannick Martin et Anita Jolita, elles aussi des victimes de violence, d’abus sexuels et de meurtre. L’environnement dans lequel elles ont grandi serait-il l’un des facteurs déterminant les atrocités qu’elles ont vécues ? Un détour dans des quartiers pauvres et quelques rencontres avec des familles vivant dans des milieux défavorisés nous poussent à y croire vivement.
La sombre et triste fin de la petite Eleana Gentil, retrouvée morte dans le chassé du Petit Constantin à Lapeyre, Nouvelle-France, a grandement secoué la population mauricienne la semaine dernière. Consternation, tristesse, accablement, les sentiments exprimés à la suite de la découverte macabre étaient divers. Mais tous criaient leur colère face à l’atrocité de ce meurtre. Ce qui est sûr, c’est que les circonstances auraient pu être différentes dans le cas d’Eleana Gentil, puisqu’il semblerait que les services de protection de l’enfance avaient été avertis. Comme c’était aussi le cas pour Joannick Martin, 7 ans, dont le corps avait été retrouvé dans un terrain vague en bordure de la Cité Richelieu en septembre 2010. La fille avait été abusée sexuellement et assassinée par son oncle José Tristan Casimir. On se souvient aussi de la petite Anita Jolita, âgée alors de deux ans et demi et habitant Cité Tôle, qui avait été violée et tuée le 3 juillet 2005, à Cité La Chaux, Mahébourg. Ou encore cette affaire peu commune où une petite fille de 10 ans, exaspérée par les avances sexuelles d’un homme de 51 ans, un ami de la famille, l’avait poignardé en plein coeur. Ce sont tous des cas d’enfants issues de cités et ayant grandi dans des environnements précaires. Elles étaient malgré elles exposées aux fléaux “populaires” de ces quartiers “défavorisés” : l’alcool, la drogue, la prostitution, l’insécurité et l’irresponsabilité parentale.
Sous la tôle.
La question qui se pose : est-ce que l’environnement dans lequel vivent les enfants pourrait être un facteur déterminant dans les causes de violence, d’abus et autres atrocités de ce genre ? Un détour dans des quartiers pauvres et quelques rencontres avec des familles vivant dans des conditions vulnérables nous poussent à y croire vivement. Direction une petite cité retirée dans la région de Beau-Bassin où la précarité est flagrante. Des petites maisons en tôle très mal entretenues et dont certaines ne disposent pas d’ouvertures sécurisées. Des pièces étroites qui accueillent plusieurs membres d’une même famille. Des enfants en bas âge qui traînent les rues et qui ne sont sous aucune surveillance parentale. Parents divorcés, alcooliques et drogués… Nous sommes au coeur même d’un environnement fragilisé où il est certainement peu recommandé d’élever des enfants.
Christelle, 31 ans, y vit avec ses huit enfants, en compagnie de son nouveau compagnon, Jean-Noël. Ici, il n’y a ni salle de bain, ni toilettes. C’est dehors, à l’aide d’un seau d’eau et bien souvent sous le regard malfaisant de certains voisins, que Christelle et les autres prennent leur bain. Le couple et les huit petits occupent une seule chambre dans laquelle ont été disposés deux lits adultes. “Un lit est pour cinq enfants et l’autre est pour les trois plus jeunes, Jean-Noël et moi-même.” Dans la deuxième et dernière petite pièce, qui fait office de salon, un autre lit est installé. Il est occupé par le frère de Christelle, Kevin, qui vient régulièrement pour s’occuper des neveux et nièces. “Cela arrive que Kevin partage le lit avec Anastacia ou Alisson, afin de permettre aux autres de dormir plus confortablement”, confie Christelle. La présence de son frère à la maison lui permet d’aller acheter quelques provisions ou encore d’aller récupérer la pension des petits sans avoir à tous les emmener avec elle. La jeune mère, veuve depuis novembre dernier, ne dépend que sur l’aide sociale qu’elle reçoit pour ses enfants pour les élever et leur donner ce dont ils ont besoin. Jean-Noël, qui est maçon de métier, “bat bate kan li gagn enn ti boulo”.
Mère célibataire.
Joindre les deux bouts n’est pas évident pour elle quand il faut compter le déjeuner des trois premiers enfants qui ont récemment été scolarisés, les repas, les effets personnels de chacun, les couches et le lait pour le petit David, quatre mois, et les factures à payer. “Pa fasil pou ger sa ti cas ki gagne la. Bizin trase koupe”, avance Christelle.
Dans un autre quartier du sud de l’île, Rihanna vient elle aussi d’une famille nombreuse, dont les parents sont séparés. Elle habite un deux-pièces, avec une seule chambre à coucher, en compagnie de sa fille d’un an et demi, sa mère et ses quatre petits frères et soeurs. Tout comme sa mère, la jeune fille de 16 ans est mère célibataire. “Peu après mon accouchement, mon petit copain avec qui je vivais à l’époque m’a abandonnée pour une autre. Entre-temps il a eu un autre enfant avec une autre femme”, raconte Rihanna.
Si malgré son jeune âge, cette dernière n’a toujours pas pu trouver un emploi, c’est parce qu’elle doit s’occuper de tous les petits en l’absence de sa mère, qui travaille comme bonne à tout faire. C’est elle qui leur donne leur bain, les prépare pour aller à l’école, s’occupe de leur repas tous les jours, les récupère à leur sortie des classes… tout en s’occupant de sa fille. “C’est comme si j’étais leur maman à tous les cinq. C’est un travail à plein-temps !” Rihanna raconte que ce n’est pas parce que ces petits sont tous issus de pères différents qu’elle ne s’occupe pas d’eux avec la plus grande attention. Elle raconte : “Nous cinq sommes de cinq pères différents. Je suis la seule à tous les connaître. Zion, le petit dernier d’un an et demi, ne connaît pas son père non plus.” C’est le coeur gros que Rihanna nous fait part de l’histoire de sa famille. Elle sait que le même sort est réservé à sa fille, dont le père ignore complètement l’existence. Même si Rihanna a aujourd’hui un nouveau compagnon, cela ne l’empêche pas de regretter de ne pouvoir donner une meilleure vie à sa fille. “Mon ex-petit copain ne m’offre aucun soutien financier. C’est mon nouveau compagnon qui m’aide pour l’achat du lait et des couches.”
Drogues.
À des kilomètres de cet endroit, Sandra, 30 ans, connaît cette même souffrance de devoir élever seule ses deux filles et son fils, âgés entre 7 et 15 ans. Pour y arriver, elle doit travailler le jour et la nuit et s’assurer d’avoir un salaire convenable pour nourrir sa famille. Toutefois, elle ne se dit pas en sécurité dans cet espace où elle élève ses enfants. Elle raconte : “C’est la cour où habitaient mes beaux-parents. Avec mon ex-mari, j’ai construit une petite chambre dans la cour arrière pour ma petite famille. À la mort de ce dernier des suites de complications liées à la consommation de drogue, n’ayant nulle part où aller, j’ai été obligée de rester ici.” Sauf que cette cour, dit-elle, est très fréquentée par des trafiquants de drogue et des drogués, la famille de son ex-mari étant elle aussi dans le milieu.
Les cinq minutes que nous avons passées devant cette maison à attendre que Sandra rentre du dispensaire ce jour-là ont suffi pour nous confirmer les dires de la jeune femme. Des voitures qui s’arrêtent à tout moment en bord de route tandis que les occupants viennent à tour de rôle “visiter” la maison. Les yeux qui peinent à rester ouverts et la démarche intrigante… Ils sortent de la cour sans prêter attention au voisinage. “Comment puis-je laisser mes enfants seuls ici quand je vais travailler jusqu’à fort tard tous les soirs ?” s’interroge Sandra pour qui l’endroit n’est pas approprié pour élever des jeunes filles comme Maëva, 15 ans et Titiana, 10 ans. Dans le voisinage, on nous dira que les enfants ne peuvent pas non plus pas compter sur cette mère, qui est alcoolique et qui la plupart du temps est absente. “Les enfants ont peur de rentrer à la maison après l’école. Parfois, ils préfèrent rester dans la rue que de devoir affronter le regard pervers de ceux qui viennent s’approvisionner en drogue régulièrement”, raconte une voisine. Ce qui fait que ces enfants sont bien souvent livrés à eux-mêmes.
Dans l’incapacité d’avoir un oeil attentif et permanent sur ses huit enfants quand ils sont tous à la maison, Christelle a quant à elle choisi de confier ses deux aînées à sa mère quand il y a école. Cela lui convient parfaitement, dit-elle, puisque ce n’est pas tous les jours qu’elle arrive à trouver de quoi manger pour tous. La mère de Christelle habite seule une maison à plusieurs kilomètres de là et travaille en journée comme femme de ménage. Ce n’est que pendant le week-end et les vacances que les enfants reviennent à la maison. Si Christelle dit avoir confiance en le voisinage, ayant elle-même grandi là-bas, elle avoue ne pas savoir exactement ce que font ses filles une fois loin d’elle. “Je sais que je peux compter sur ma mère malgré son âge avancé. Elle est elle-même mère et sait comment élever des jeunes filles.” Pour Christelle, c’est à ses filles de savoir se comporter et de ne pas commettre des bêtises.
Malheureusement cela ne suffit pas. Quand des esprits malveillants rôdent dans les parages, même un bon comportement n’éloigne pas les dangers. Et très souvent ce sont de jeunes innocents qui en sont victimes.

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