Achats non essentiels : Les consommateurs frileux face à la cherté du coût de la vie

Les magasins font la grise mine avec les clients se faisant de plus en plus rares

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La dépréciation de la roupie, l’inflation et la hausse du dollar impactent lourdement les achats non essentiels

Les prix flambent dans le secteur alimentaire, mais la dégringolade du pouvoir d’achat frappe également de plein fouet les magasins de chaussures, vêtements, décoration, mobilier, équipements et articles divers. La dépréciation, la hausse des prix, le coût du fret et l’inflation continuent de faire pression sur le porte-monnaie du consommateur et les achats dits non-essentiels en font les frais.

Dimanche dernier, le soleil brille, il est 11h, pourtant ce centre commercial fait pâle figure. Une bonne fréquentation dans l’hypermarché du centre mais dans les allées commerciales et le Food-Court, il n’y a pas grand monde… À peine quelques personnes font la tournée des magasins – ou plutôt du lèche-vitrines. Et à l’intérieur des magasins, c’est le vide. Si bien que les vendeuses discutent, entre elles, sur le pas de la porte et échangent des plaisanteries avec les agents de sécurité, pour tuer le temps.

Dans un magasin, la caissière a la mine défaite et laisse échapper un « pa fasil ». Interrogée, elle explique : « Voyez vous-même, il n’y a personne. C’est quasi-vide depuis un mois. Nous ne faisions pas de vente. Pour la fête des mères, nous avons fait un peu de chiffres, mais là c’est le calme plat et nous avons même peur que la direction ne décide de fermer le magasin.»

« L’argent se fait rare »

Prix en hausse, pouvoir d’achat en baisse, coût du fret et des carburants, dépréciation de la roupie, inflation galopante, aide budgétaire insuffisante… Plusieurs facteurs expliquent ce froid glacial dans le secteur du shopping. Dans un autre centre commercial du Nord, pas autant de monde qu’avant, dit une habituée : « Et les gens hésitent avant d’acheter. Ils relèvent les prix, comparent et essaient de trouver moins cher. C’est ce que je fais aussi, je cherche une version moins chère des produits puis j’achète. Ce n’est plus comme avant, l’argent se fait très rare et on ne peut pas se faire plaisir. »
Un tour dans l’Est du pays dans un autre centre commercial, généralement très fréquenté, et c’est même son de cloche : « Il y a des magasins à l’étage qui font des promotions, mais même pour un vêtement réduit à moitié prix, qui est passé de Rs 3 000 à Rs 1 500, je ne vais pas l’acheter. Les vendeuses sont seules dans les magasins. Certaines personnes entrent, regardent les articles, demandent les prix, mais rares sont ceux qui achètent, et c’est à se demander si ces magasins parviennent à couvrir leurs frais », raconte cette consommatrice faisant du Window Shopping. Pour vraiment convaincre le consommateur, il faut souvent avoir recours à des rabais importants dans la fourchette de 60% à 70%.
Dans certains centres commerciaux, les stocks peinent à être vendus. Des articles datant de deux à trois ans n’ont toujours pas trouvé preneur. Par contre, les petits magasins, ceux vendant des accessoires à des prix plus abordables, semblent parvenir à tirer leur épingle du jeu. On note également l’apparition de plusieurs magasins dans diverses régions du pays vendant des articles en gros à des prix défiant toute concurrence, comme à Goodlands et Saint-Pierre, ou un magasin dans le centre fait sensation avec ses prix attrayants.
Le constat en dit long : la fête des mères finie, la saison hivernale s’est installée pour de longues semaines – avec cette fois la crise économique en toile de fond – et un net ralentissement de la fréquentation des magasins. « Le consommateur fait attention, nous voyons que les consommateurs sont prudents avec leurs dépenses. Ils font le budget du mois en priorité, pour le supermarché et les achats de maison. Pour les autres produits, c’est plus compliqué », explique un commerçant.

Le dollar au-delà de Rs 45
La dépréciation de la roupie, l’inflation et les coûts du fret dont les principaux facteurs faisant grimper les prix des produits essentiels et non essentiels. Il faut aussi tenir compte de divers autres facteurs qui affecteront les prix de tous les produits importés dans les prochains jours, à commencer par les fluctuations de change – en particulier la montée du dollar, qui a franchi depuis plusieurs jours la barre de Rs 45.

Quant à la dépréciation de la roupie, elle est repartie de plus belle depuis mi-avril : « Cela ne m’étonnerait pas de voir le dollar dépasser la barre de Rs 50. La banque de Maurice ne peut plus défendre la roupie », analyse l’économiste Kevin Teeroovengadum. Quant au prix de l’essence et du diesel, le gouvernement a refusé de faire machine arrière, suite aux augmentations massives intervenues récemment.

Kevin Teeroovengadum : « La crise va durer longtemps »
L’économiste Kevin Teeroovengadum estime que la situation actuelle des prix va se détériorer dans les prochaines semaines car nous sommes dans une Long Term Crisis, et le prix des produits dans les magasins continuera d’augmenter, comme c’est le cas au niveau mondial : « Même en Angleterre et en France, le gouvernement est sous pression pour trouver des solutions pour aider la population. »

Toutefois, le problème spécifique à Maurice, c’est que le pays importe trop de produits et n’en produit pas assez : « Nous importons beaucoup et comme la roupie continue de glisser, cela a un effet à double tranchant sur le prix des produits, sans compter que le prix du fret est toujours six fois plus cher qu’en 2019. »

Et de comparer Maurice aux Seychelles où la roupie « a réussi à tenir contre le dollar depuis 2021 », avec une appréciation de quelque 30% de la roupie seychelloise. « Nous sommes dans un piège car notre économie ne génère pas suffisamment de “foreign exchange” » et selon lui, les consommateurs sont encore loin du bout du tunnel car il prévoit encore des augmentations de prix dans les prochaines semaines.

Interrogé sur le taux d’inflation, Kevin Teeroovengadum estime qu’il va augmenter dans les prochains mois. Et d’ajouter : « Notre inflation impacte bien plus la classe moyenne et ceux au bas de l’échelle car les prix de tous les produits de base et ceux des produits non-alimentaires sont en hausse. Leurs dépenses sont plus élevées que leurs revenus et c’est clair que la classe moyenne continue de s’appauvrir. »

Quant aux commerçants des villes et des centres commerciaux, l’économiste dit qu’ils sont en difficulté car « la crise va durer longtemps ». Il prévoit que certains commerçants – surtout les petits – devront mettre la clé sous le paillasson. Quant à certaines grosses enseignes qui opèrent plusieurs magasins dans différentes régions et malls, pour elles non plus, la partie est loin d’être gagnée : « Certaines envisagent la consolidation – en fermant certains magasins qui fonctionnent moins bien, avec quelques licenciements la clé. » Alors que d’autres commerçants préfèrent tout simplement geler leurs projets d’expansion.
Kevin Teeroovengadum souligne que la crise du pouvoir d’achat atteint des niveaux inquiétants avec les consommateurs en difficulté en France, en Allemagne et au Canada notamment. « Il y a des mobilisations, les gens font grève. Imaginez-vous que là-bas les consommateurs sont payés en dollars… et malgré tout, ils sont dans un étau financier. Cela veut dire qu’à Maurice, la situation va encore se détériorer dans les prochaines semaines. »
Pour désamorcer la crise actuelle du pouvoir d’achat, il suggère de réunir les importateurs et « jouer la transparence » en leur demandant de « réduire leurs marges de 20 à 30% ». Il suggère aussi au gouvernement de baisser les taxes sur l’essence et mieux conscientiser les Mauriciens sur l’achat local.

Les sorties supprimées pour économiser sur le carburant
Avec les difficultés actuelles, de nombreux consommateurs préfèrent limiter carrément leurs sorties familiales dans les magasins, malls et ailleurs, question d’économiser sur leur facture de carburant. « C’est l’hiver, mais de toute façon, nous sortons très peu car nous devons éviter les dépenses inutiles en ce moment », confie un automobiliste. Beaucoup de familles réduisent leurs trajets en voiture et suppriment carrément leurs sorties aux magasins. Une étude de l’Office for National Statistics (ONS) publiée récemment dans la presse étrangère a, d’ailleurs, montré que 45% des automobilistes britanniques « have cut back on non-essential journeys in a vehicle amid soaring fuel prices ».

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