La date du 22 avril 2020 revêt une dimension lourde de sens pour des membres du personnel navigant aussi bien que les autres employés de la compagnie aérienne nationale. Une étape qui hantait plus d’un parmi les plus avertis des employés depuis quelque temps déjà. Air Mauritius est désormais placée sous administration volontaire. Littéralement, cette annonce s’apparente à un Last Call d’embarquement à destination de Going Nowhere pour tous les employés. Un an après, malgré une annonce budgétaire avec une enveloppe de Rs 9 milliards pour remettre à flot la compagnie aérienne, le radar n’offre aucune visibilité. Cela fait des mois que les administrateurs nommés, Sattar Hajee Abdoula et Arvindsing Gokhool, se sont faits tout petits. D’autre part, des employés, après des années de longs et loyaux services sont sur le pavé. Sans nulle autre forme de procès. Avec des promesses non tenues par rapport au versement du Lump Sum. Indistinctement, du plus petit au plus grand, l’on concède que c’est du presque sans lendemain dans la cabine de pilotage d’Air Mauritius. Acculés, ils ont tenté de se reconvertir car la vie ne s’arrête pas après 33 années de service. Ils se battent chacun à leur façon pour joindre les deux bouts. Des témoignages…
Axelle Catherine — De la cabine à la cuisine
Voilà un an! Sa vie a basculé avec la mise en liquidation de la compagnie d’aviation nationale, Air Mauritius. Un plan de vol probablement jamais envisagé. Sa carrière de chef de cabine chez Air Mauritius était en suspens jusqu’à ce qu’elle apprenne, comme beaucoup de ses collègues, que l’heure de la retraite avait sonné irrémédiablement. Après un dernier vol dans l’indifférence totale en juin 2020, ses colères et ses déceptions, Axelle Catherine a réorganisé sa vie. Entre ses randonnées du jeudi et le temps passé en famille, elle s’est lancée dans la production alimentaire avec le soutien de son époux, Jacques. Ses confitures de tomates et oignons confits, entre autres, connaissent d’ailleurs un réel succès.
En août dernier, Axelle Catherine a tourné une page de sa vie. Alors qu’elle s’était préparée à travailler jusqu’à l’âge de 65 ans, tout s’est brusquement arrêté. Avec la crise engendrée par la pandémie de COVID-19 et ses difficultés financières accumulées au cours des années, Air Mauritius a été mise sous administration volontaire. L’une des premières actions des administrateurs a été de faire partir à la retraite ceux qui comptaient une carrière de plus de 33 ans. Après la tristesse et l’indignation, face à la manière dont s’est déroulé ce départ après ces longues années de bons et loyaux services et les incertitudes autour du “lump sum”, l’ancienne chef de cabine a choisi de rebondir.
Alors qu’elle était habituée à voyager, à découvrir le monde, Axelle Catherine se retrouve maintenant à la maison. Pas le temps de broyer du noir pour autant. Elle préfère positiver : « Je peux dire que j’ai réorganisé ma vie tout doucement. J’essaye autant que possible de m’occuper. Une fois par semaine, je faisais de la randonnée avec Pat Loisirs. Je rencontre des amis, on passe du temps ensemble, et cela me fait beaucoup de bien. »
Cette aventure, dit-elle, lui a aussi permis de découvrir des endroits de Maurice qu’elle ne connaissait pas ou qui sont généralement interdits. « Mais Patrick Anaudin, notre guide, s’arrange pour obtenir les permis nécessaires, ce qui nous permet de profiter pleinement de ces lieux. Ce sont des endroits que je n’aurais sans doute jamais connus si j’étais toujours chef de cabine », concède-t-elle.
D’autre part, une de ses amies a pris l’initiative d’organiser un “mini-market”, où les jeunes retraités pourraient proposer des produits à vendre au public. « Dans un premier temps, je suis partie pour voir, pour encourager mes amies. Ensuite, Jacques m’a dit : Mais pourquoi tu ne fais pas quelque chose également ? C’est ainsi que je me suis mise à la confection de confiture de tomates. Je voulais proposer quelque chose hors du commun. Un jour, j’ai entendu à la radio qu’il y avait un surplus de légumes sur le marché. J’ai donc opté pour la tomate. »
Une première expérience concluante pousse l’ancienne chef de cabine à se diversifier davantage, avec le soutien là encore de son époux. « La première fois, j’ai vendu dix pots, et la dernière fois que j’ai exposé, on en a vendu 100. De même, Jacques a permis d’innover en réalisant du confit d’oignon, qui a connu un grand succès en décembre. Nous avons aussi de la pâte à tartiner maison, du tiramisu, de la confiture de papaye et du caramel au beurre salé, entre autres. Tous nos produits sont dorénavant commercialisés sous le label “Jacques a fait”. »
Coup de pouce pour le couple, le chef Jocelyn Mallet a utilisé la confiture de tomates d’Axelle Catherine dans une de ses créations de fin d’année. « C’est une reconnaissance de la qualité de notre produit. Toutefois, avec le nouveau confinement, les projets sont en suspens. J’avais pris contact avec un producteur de tomates bio. Mais pour pouvoir acheter, il nous fallait un Business Registration Number. J’ai donc entrepris les démarches nécessaires pour obtenir mon BRN et nous attendons maintenant la fin du confinement. De même, nous avions notre prochaine foire prévue au Triveni, à Beau-Bassin, en mai, mais cela a dû être annulé. La deuxième vague, en tant qu’invitée-surprise y est pour quelque chose. »
En dehors de cette belle parenthèse, Axelle Catherine confie qu’elle n’a toujours pas obtenu sa “lump sum” d’Air Mauritius et se demande même s’il faudra la mettre aux oubliettes. « J’avais opté pour une Reduced Pension with Lump Sum, mais on m’a donné une Full Pension à la place. Ce qui est moins avantageux pour nous. On nous avait dit d’attendre la Watershed Meeting », qui a été renvoyée au mois de juin, mais la conjoncture n’augure rien de bon », laisse-t-elle échapper avec un petit air de déception malgré toute la maîtrise de soi.
Une situation qui a des conséquences sur les finances de la famille et qui a nécessité des sacrifices. « J’avais encore des années à travailler et les dettes pour la construction de ma maison à rembourser. Je me retrouve avec un tiers de mon salaire. La vie est devenue dure. Nous avons dû couper certaines choses. Mais j’essaye de ne pas me concentrer dessus, autrement on tombera malade. Je préfère avancer, et c’est pour cela que j’ai réorganisé ma vie », reprend-elle.
Toujours est-il qu’elle ne nourrit aucun regret d’avoir fait ce métier d’hôtesse de l’air pendant toutes ces années. « Cela m’a permis de voyager, de découvrir le monde, de visiter des endroits magnifiques. Le dernier en date est Notre Dame de Paris. Quelque temps avant de quitter MK, on logeait à l’aéroport, on n’allait plus en ville. Mais comme je voulais voir Notre Dame, j’ai pris le train et je suis partie. Je garde aussi de bons souvenirs de mes amis. Nous avons bien rigolé ensemble, » se souvient-elle encore. À ce sujet, elle indique que les jeunes retraités se rencontrent une fois tous les trois mois pour s’offrir et partager un repas ensemble, à l’initiative de leur ancienne chef hôtesse.
Axelle Catherine a une pensée spéciale pour ses collègues qui travaillent toujours, dans des conditions difficiles. « Ce n’est pas évident pour eux de se retrouver avec un salaire réduit de moitié. C’est très dur, c’est catastrophique », reconnaît-elle. De plus, dit-elle, même le métier n’est plus le même. Une fois à l’étranger, on doit rester dans sa chambre en raison de la pandémie. « Même le repas est servi en chambre. On ne peut pas s’approcher de ses amis. Sans compter qu’au retour, il faut faire l’auto-isolement, le test PCR et tout le protocole sanitaire. »
Pour des raisons évidentes, elle n’encouragerait pas un jeune à faire ce métier dans de telles conditions. Elle souhaite que ce cauchemar prenne fin et que le métier retrouvera son attrait Glamorous d’antan.
Diksha (sans Lump Sum) : « Nous vivons un cauchemar »
Si elle ne parle pas à visage découvert, c’est parce qu’elle a décidé d’intenter un procès à Air Mauritius et à la Swan. Cette ancienne hôtesse de l’air dit vivre une situation très compliquée depuis sa mise à la retraite l’année dernière. Avec un enfant qui étudie à l’étranger et des emprunts à rembourser, elle peine à joindre les deux bouts. Et elle n’est pas la seule à se retrouver dans cette situation qu’elle qualifie de « cauchemar », après autant d’années de sacrifices.
« J’avais encore de nombreuses années à travailler et du coup, je ne me suis pas préparée à être à la retraite. On avait fait des projets et on ne s’attendait pas à ce qu’on se retrouve sans emploi et sans argent… » Une année après la mise sous administration volontaire d’Air Mauritius et la décision de licencier une partie du personnel, la douleur est encore vive pour beaucoup. Diksha (prénom fictif) confie qu’elle n’arrive toujours pas à digérer la manière dont ses camarades et elle ont été mis à la retraite. « On ne nous a pas donné notre lump sum, la Swan nous a dit qu’il y a un trou dans le fonds de pension… On n’arrive pas à comprendre. C’est pour cela que nous avons décidé d’engager des poursuites. On ne peut pas se débarrasser comme cela des personnes qui ont consenti à autant de sacrifices pour la compagnie, sans avoir de comptes à rendre. »
Si elle laisse la cour décider de la suite de cette affaire, elle ne cache pas les difficultés auxquelles ses camarades et elle sont confrontées chaque jour. « Vous savez, longtemps, quand on entrait à Air Mauritius, on ne pouvait se marier tout de suite. Il fallait attendre et de même pour avoir des enfants. Ce qui fait qu’à ce jour, beaucoup d’entre nous ont encore des enfants sous notre responsabilité. Moi-même, j’ai un enfant qui étudie à l’étranger. Est-ce que vous pensez que je peux hypothéquer son avenir ? On doit se sacrifier ici, pour qu’il puisse manger à sa faim là-bas. Cela fait mal de voir son enfant faire des études dans ces conditions. »
Cette dernière ajoute qu’elle n’est pas en train de se plaindre car elle est consciente qu’il y a beaucoup de personnes qui vivent dans des conditions encore plus difficiles et qui n’ont rien à manger. Sauf que dans son cas, elle a travaillé dur pendant de nombreuses années, pour par la suite, se retrouver au pied du mur. « Quand j’ai fait le projet pour mon enfant, je ne savais pas que j’allais me retrouver dans cette situation. Non seulement j’ai perdu mon emploi, mais tout est maintenant plus cher. Quand je travaillais, un euro était à Rs 39. Aujourd’hui, je dois payer Rs 50 pour un euro. Sans compter qu’avec le dollar qui prend aussi l’ascenseur, tout est plus cher sur le marché. C’est un cauchemar que nous vivons. C’est inhumain.»
Elle ajoute qu’elle doit également compléter son emprunt pour la construction de sa maison. « J’ai encore sept à huit ans pour payer. Comme je l’ai dit, quand nous avions fait tous ces projets, nous avions encore des années à travailler. Au moins si j’étais partie à la retraite à 60 ans, j’aurais eu ma pension du gouvernement. Mais là, avec ce que nous avons, c’est à peine pour manger et honorer quelques engagements. »
Elle se dit d’autant plus touchée que personne ne se préoccupe de leur situation. « On passe par des moments très difficiles et personne ne semble se préoccuper de notre situation. Il semble qu’on a d’autres priorités. On nous a oubliés. Mais je crois fermement en la justice.» Elle ajoute que si elle savait qu’on n’allait pas lui payer son lump sum, elle n’aurait jamais signé pour partir à la retraite.
Alain Jeannot : Une vie sociale bien remplie
Après 34 ans de carrière comme membre du personnel navigant d’Air Mauritius, Alain Jeannot se retrouve à la retraite. Celui qui a terminé son parcours comme chef de cabine principal ne se laisse pas pour autant abattre et se prépare déjà à rebondir dans un autre secteur. À cet effet, il suit des cours de formation et profite de son temps libre pour multiplier ses activités sociales. Il écrit et fait des vidéos également, tout en profitant des moments avec sa petite-fille. Toutefois, il y a toujours chez lui ce goût amer de n’avoir pas reçu sa Lump Sum après autant d’années de sacrifices.
« La retraite n’était pas un choix. Cela m’a été imposé », lâche d’emblée Alain Jeannot qui, à 55 ans, avait encore dix années devant lui pour compléter sa carrière. Mais la mise sous administration volontaire de la compagnie d’aviation nationale a mis fin abruptement à cette belle aventure professionnelle. « Une retraite, cela se prépare, mais cela n’a pas été le cas pour moi. Heureusement que j’ai toujours été une personne très active. Cela m’a permis de m’adapter. Je peux dire que j’ai des journées bien remplies », reconnaît-il.
Étant déjà engagé dans la prévention routière avec son Ong, Alain Jeannot en profite pour approfondir ses connaissances. « Je suis des cours en ligne sur la sécurité routière auprès d’institutions. J’ai également commencé une formation en Sustainable Development à l’Open University. Autrement, j’écris, je fais des vidéos et j’anime une chronique à Radio Nou Zil. J’ai aussi sorti deux films sur les églises, avec la collaboration de professionnels dans le domaine. À 55 ans, je n’ai pas le temps de penser ou encore de me morfondre. » Pendant trois mois, soit en octobre, novembre et décembre de l’année dernière, il a également monté un groupe pour accompagner les enfants venant des régions de Tranquebar et de Cité La Cure.
Son autre moment de bonheur, il le trouve auprès de sa petite-fille, qui lui rend visite de temps en temps. « Elle est notre rayon de soleil », dit-il. Ce qui est dur, cependant, c’est que sa situation financière a changé du jour au lendemain. « Mon épouse est encore employée chez MK, mais nous avons quand même des contraintes financières. On le remarque particulièrement lorsqu’on va au supermarché. Je ne dis pas que je suis à plaindre, car il y en a d’autres qui ont encore plus de difficultés que moi. Mes enfants sont autonomes. Mais il faut contrôler ses dépenses quand même », confie-t-il.
Son grand regret est de n’avoir pas obtenu son Lump Sum, qui lui est dû, comme il l’avait demandé. Ce qui lui aurait permis d’avoir une meilleure visibilité sur son avenir. « Quand on nous avait dit qu’on allait partir à la retraite, on nous avait donné le choix entre une Full Pension et une Reduced Pension with Lump Sum. La majorité d’entre nous avions pris la seconde option. Malheureusement, nous n’avons pas reçu ce que nous avions demandé. Avec une Lump Sum, j’aurais pu me lancer dans un nouveau projet. Qui va me prêter de l’argent aujourd’hui, à 55 ans et dans la conjoncture ? »
De même, Alain Jeannot est parti à la retraite en août 2020 et, le 4 septembre, il a eu 55 ans. Généralement, ceux qui partent à la retraite à partir de cet âge obtiennent une somme de Rs 5 000 du Tourism Employees Welfare Fund. « Il me fallait encore un mois pour être dans la norme. Je pense que dans de telles situations, on aurait dû avoir une certaine flexibilité. On ne peut pas venir pinailler sur de telles choses. » De même, il dit attendre toujours son Retirement Scheme de l’Air Mauritius Cooperative Credit Union.
Alain Jeannot se souvient de son ultime vol de sa carrière professionnelle, en date de juin 2020, comme d’un moment à la fois triste et agréable. « Même si j’avais le cœur gros, car je refermais un chapitre de ma vie, j’ai aussi eu la preuve, une fois de plus, de voir à quel point mes collègues m’aimaient. J’ai débuté ce métier peu de temps après le collège. À cette époque, j’avais plusieurs possibilités qui s’offraient à moi : entrer dans la police et une proposition d’une banque. J’avais même été appelé pour une bourse d’études en biologie marine en Inde. Mais j’ai tout refusé pour entrer chez Air Mauritius, car il y avait l’attrait du voyage », se rappelle-t-il.
L’ancien chef de cabine principal dit n’avoir aucun regret à ce sujet, car ce métier a été son « université de la vie » et lui a permis de rencontrer son épouse. Il dit avoir dégusté chaque minute de son dernier vol, qui restera pour lui un événement. Et d’ajouter qu’il n’aurait jamais imaginé se retrouver dans une situation aussi inédite. « C’est la deuxième fois que le monde est paralysé ainsi. La dernière fois, c’était en raison de la Deuxième Guerre mondiale, qui avait fait encore plus de victimes. Sauf que cette fois, notre ennemi est invisible. »
Être membre du personnel navigant, ajoute-t-il, a forgé sa personnalité et lui a appris à prendre des décisions tout de suite. « Dans notre métier, le temps compte. Tout est calculé. En tant que chef de cabine principal, par exemple, je devais m’assurer que la porte de l’avion était fermée à temps. J’ai appris la rigueur, le service, la courtoisie… Quand on voit ce qui se passe à Maurice parfois, on se rend compte de l’importance de toutes ces choses », déclare-t-il.
Alain Jeannot est parti de la compagnie aérienne nationale avec ses valises remplies de bons souvenirs. Il garde notamment en mémoire son premier vol ainsi que la veillée pascale à la Basilique Saint-Pierre, en 1990, animée par le pape Jean Paul II. Il considère cependant dommage qu’il n’y ait aujourd’hui aucune visibilité sur ce métier. « En attendant que l’aviation reprenne à plein régime, je conseillerais aux jeunes de se tourner plutôt vers la médecine, la psychologie, le Social Engineering, l’informatique ou l’enseignement », dit-il.