ALPHABÉTISATION : Josian Labonté, « Alphabétiser une femme change toute une famille »

Le monde observera le 8 septembre la Journée mondiale de l’alphabétisation. Une personne sur sept est illettrée dans le monde et sur les 860 millions d’illettrés, 500 millions sont des femmes. À Maurice, il y aurait 100 000 analphabètes dont 60 % de femmes. En dépit d’avoir été scolarisés, nombre de jeunes ne savent toujours pas lire ni écrire. Ils sont quelque 1 500 à 2 000 à sortir des examens du CPE avec des U, nous rappelle Josian Labonté, responsable du programme d’alphabétisation fonctionnelle de Caritas Île Maurice. Venant en aide à quelque 600 personnes par an, Caritas a touché quelque 10 000 personnes en plus de 25 ans. Josian Labonté souligne qu’« alphabétiser une femme change toute une famille ».
Si le travail d’alphabétisation « a évolué positivement » au fil des années, affirme Josian Labonté, il y en a toujours certains « qui quittent l’école encore analphabètes » et qui ne suivent pas ce programme. En effet, souligne-t-il, « scolarisé ne veut pas dire alphabétisé ». Comment expliquer que malgré six années passées à l’école, certains enfants ne sachent toujours pas lire et écrire ? Pour le responsable du programme d’alphabétisation fonctionnelle de Caritas Île Maurice, « il existe plusieurs facteurs. Je pense qu’on ne fait pas la différence entre alphabétisation et apprentissage d’une langue. L’alphabétisation, c’est apprendre à lire et à écrire. Il y a des enfants qui n’arrivent pas à décoller à ce niveau. Notre système vise davantage l’apprentissage de la langue que l’apprentissage de la lecture. De fait, ces enfants n’ont pas l’occasion d’être alphabétisés. Par exemple, le manuel d’autrefois Rémi et Marie, c’était un livre d’alphabétisation et pas de langue. Aujourd’hui, on ne trouve plus cela dans les manuels scolaires. Or, il faut d’abord passer par l’alphabétisation. Pour pouvoir lire, on a besoin de deux compétences : décoder les sons et la connaissance linguistique. Décoder les sons, c’est ce qui manque un peu pour préparer les enfants à la lecture ».
Josian Labonté souligne qu’à Maurice, l’on a davantage affaire à l’illettrisme qu’à l’analphabétisme, car « un analphabète renvoie à une personne qui ne sait ni lire ni écrire pour ne pas avoir été à l’école alors qu’un illettré, en dépit d’avoir été à l’école, n’arrive toujours pas à lire et à écrire ». En effet, à Maurice, « 90 % des enfants sont scolarisés mais le mot illettré ayant une connotation péjorative, nous utilisons le mot “analphabète” ».
Caritas Île Maurice a commencé son travail d’alphabétisation en 1987. À l’époque, se souvient Josian Labonté, « c’était plus dans son aspect fonctionnel, pour aider les apprenants à se débrouiller dans la vie de tous les jours. C’était plus ciblé pour les enfants qui avaient échoué à plus de deux reprises leur CPE car il n’y avait alors pas d’école prévocationnelle. Il y avait un club qui s’appelait “Klib 12-18”. On cherchait une méthode d’alphabétisation qui depuis, a beaucoup évolué ». À partir des années 90, lorsque l’école devient obligatoire jusqu’à 16 ans, Caritas s’en va alphabétiser des adultes aussi. Et, en 1999, un centre de formation des animateurs est mis sur pied. La formation, à temps partiel, s’étalait sur deux ans. « Nous avons reçu le soutien de Caritas France, par l’intermédiaire d’une psychopédagogue belge ». Les animateurs formaient à leur tour d’autres animateurs. « Nous répondons aussi aux demandes de certaines entreprises, par exemple agricoles, où il y a des employés analphabètes ». Approuvée par la MQA, la formation se déroule à rue D’Estaing, Port-Louis tandis que les cours d’alphabétisation aux apprenants – dans une quarantaine de centres — se déroulent aux quatre coins de l’île. Les cours s’adressent à des apprenants à partir de 16 ans. « Nous travaillons également à la prévention chez les plus jeunes, à partir de 7-8 ans, qui rencontrent des difficultés scolaires. Nous avons une quinzaine de centres qui font ce travail ».
Si Caritas Maurice a bénéficié de l’apport de Caritas France dans sa méthode d’alphabétisation, l’association a trouvé sa propre manière d’enseigner avec l’aide de pédagogues mauriciens. « Caritas France a trouvé que cette méthode pourrait agir comme un laboratoire pour les îles. Effectivement, en 2013 et 2014, on a animé une session sur le sujet à l’intention d’animateurs de Mayotte. Maintenant, on a reçu une demande des Seychelles et des Comores ».
Est-ce que le travail de Caritas a porté ses fruits durant toutes ces années ? « Je pense que nous avons été un peu les pionniers dans l’alphabétisation. On a pas mal de success stories où les personnes nous confient que c’est grâce à l’alphabétisation qu’elles ont réussi. Certaines sont aujourd’hui entrepreneurs, d’autres ont eu une promotion au travail ».
Pour Josian Labonté, « le progrès dépend beaucoup de la motivation de l’apprenant. S’il sent qu’il en a vraiment besoin, il avancera vite ». Comment mieux combattre le problème d’analphabétisme ? « Il faut encourager les gens à s’instruire et d’autres à venir témoigner. Souvent, on remarque des réticences de la part de certaines personnes. Certains préféreront par exemple aller suivre le cours dans un endroit éloigné de là où ils habitent. Il faut briser ce tabou. Les animateurs, de leur côté, sont encouragés à aller vers ceux qui ont besoin de ce programme ». Le responsable du programme d’alphabétisation à Caritas Île Maurice ajoute : « Une femme alphabétisée, c’est toute une famille qui change. » Il se souvient de cette apprenante qui lui avait confié un jour : « Je ne donnerai pas de cadeau à ma fille. Je lui achèterai un bureau. » Celle-ci, se souvient encore Josian Labonté, avait échoué sa Form IV. « Mais, la mère a tenu à ce qu’elle poursuive ses études. Elle lui a acheté un ordinateur. La fille a terminé son HSC et a aujourd’hui un travail ». Pour tous ceux que ce cours d’alphabétisation intéresse, appeler au 212 27 72 ou 212 34 05.

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