Ambre Gabrielle Toinette, 21 ans : La menuisière de Bel-Air

À 21 ans, Ambre Gabrielle Toinette est menuisière dans un atelier de son village, Bel-Air. Quand il l’a embauchée il y a trois ans, Imran Ally Deelawor l’avait prévenue, elle travaillerait comme n’importe quel autre menuisier de son entreprise. De son côté, la jeune femme lui avait rétorqué : « Mo pa pou vinn badine dan latelie, mo pe vini pou travay. » Elle a tenu parole. Autonome, elle exécute les plans qu’on lui remet pour la réalisation des meubles et autres projets en bois destinés à des enseignes ou des particuliers. Et sur les chantiers, elle débarque les pièces qui seront assemblées dans les locaux où elles sont destinées. Dans la cuisine familiale, le placard, c’est elle qui l’a réalisé.

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Tous les matins, lorsque les portes de l’atelier de menuiserie d’Imran Ally Deelawor s’ouvrent à Bel-Air, parmi les ouvriers qui prennent le service se trouve une jeune femme. Elle, c’est Ambre Gabrielle Toinette. Elle a 21 ans et elle est menuisière. Dans l’atelier, ses collègues et son patron l’appellent Amber. Avec son allure d’adolescente et son chignon vissé sur la tête, Ambre ressemble à une étudiante en stage professionnel. Mais, non ! Qui plus est, l’école est un dossier clos depuis longtemps. Ambre fait partie de la petite équipe de menuisiers d’Imran Ally Deelawor, propriétaire de Duratech Wood Ltd. Elle y travaille depuis trois ans et n’est plus apprentie, comme à ses débuts.

Une armoire doit sortir de l’atelier. La menuisière n’est pas à son premier meuble du genre. En attendant l’arrivée de certains matériaux pour qu’elle termine l’encadrement de cette armoire de trois battants, Ambre, les manches retroussées, va nettoyer les machines qu’elle a utilisées et dont elle aura besoin pour exécuter la partie qui lui a été attribuée. « Il m’a déjà donné les mesures et expliqué ce qu’il y a à faire. Je vais suivre ses instructions et le reste suivra. Il n’y a rien de compliqué… pour le moment », dit-elle.

« Pa zis pas verni lor dibwa »

Il y a trois ans Imran Ally Deelawor décide de recruter Ambre. Les deux habitent à Bel-Air. L’entrepreneur est partant pour donner la chance à la jeune fille, de 18 ans alors, d’évoluer dans une activité qui n’est pas totalement inconnue pour elle. La mère de cette dernière avait aussi travaillé dans un atelier de menuiserie, un business familial. Mais elle a abandonné l’établi et le travail du bois pour s’occuper des plus jeunes de ses 10 enfants. Imran Ally Deelawor est un client régulier de la quincaillerie du village où travaillait Ambre. « Je savais qu’elle avait du potentiel », dit-il. L’entrepreneur avait aussi en tête d’intégrer une touche féminine à l’atelier pour donner un plus à ses travaux. Cet atout supplémentaire, explique Imran Ally Deelawor, a toute son importance dans la qualité des commandes que signe son atelier.

« Dans ce métier, les femmes sont patientes. C’est une qualité qui fait leur force. Il y a des tâches qui demandent qu’on s’attarde dessus. Contrairement à leurs pairs masculins, une menuisière ne sera pas blasée. Elle ne passera pas à autre chose tant qu’elle n’aura pas été jusqu’au bout de son travail », concède ce dernier en s’appuyant sur ses 35 années d’expérience en menuiserie. Toutefois, il reconnaît qu’il n’a pas été question de faire des faveurs à Ambre ou de lui attribuer des travaux faciles qui ne lui permettront pas de progresser. « Je lui ai dit : Pa parski to enn tifi ki to pou bizin zis pas verni lor dibwa. To bizin fer plis, ena enn vizion pou to fer progre. Kan to vinn travay kot mwa, pa panse pe vinn bat enn lazourne apre al lakaz », raconte Imran Ally Deelawor.

Et de son côté, Ambre Toinette concède qu’elle avait été aussi claire après la proposition de celui qui allait devenir son patron. « Mo’nn dir li ki mo pa pou vinn badine dan latelie, ki mo pe vini pou travay », se souvient la jeune femme. Et depuis, elle y est toujours. « Aujourd’hui, elle se débrouille très bien. Elle travaille comme n’importe quel autre menuisier. Je n’ai pas à la surveiller parce qu’elle est une fille. Je lui fais confiance », confie Imran Ally Deelawor, fier de son employée.

« J’aime le bois mélaminé »

À ses débuts dans l’atelier, Ambre Toinette a été initiée aux rudiments de la menuiserie par son employeur et trois de ses collègues. « Zot inn montre mwa ki porte bizin pou met bann vis, koman prepar sealer ek mastik. Komansman mo’nn aprann koma fer polisaz. Apre mo’nn met latet ladan. La mo pe aprann kouma mezire », dit-elle. Elle est devenue rapidement autonome au fil des mois pour ensuite manier des outils électriques, à l’instar de la ponceuse, la scie sauteuse ou encore la perceuse-viseuse. « J’aime le bois », dit-elle encore en parlant de cette matière qui lui est familière. Ce qu’elle aime, c’est la transformation de la matière brute. « J’aime bien travailler avec le bois mélaminé. Il est malléable et on peut obtenir une belle finition, propre », confie la jeune femme.

Encouragée par sa famille, Ambre Toinette laisse comprendre que son métier lui a apporté un équilibre dans sa vie. La preuve, cela fait trois ans qu’elle est restée dans le même emploi. Après avoir rapidement compris que l’école n’était pas faite pour elle, Ambre Toinette a interrompu ses études alors qu’elle était en troisième année prévocationnelle à Bel-Air SSS. « J’ai travaillé comme serveuse dans un restaurant, puis vendeuse dans une tabagie avant la quincaillerie… » Si elle ne se projette pas dans l’avenir, c’est parce qu’elle souhaiterait se perfectionner d’abord. Précisément en développant ses aptitudes pour être créative. « Je voudrais explorer les possibilités en esthétisme », explique la menuisière. Dans l’atelier, elle ne se contente pas d’exécuter les plans que lui soumet Imran Ally Deelawor. Elle donne aussi son avis et se dit heureuse que celui-ci compte pour ses collègues. « Ce métier n’est pas difficile. Il convient aussi bien aux hommes qu’aux femmes », avance cette dernière, convaincue.

Les filles abandonnent

« To pou bizin travay parey kouma tou bann zouvriye », avait dit Imran Ally Deelawor à sa jeune menuisière. Cette dernière ne s’est pas fait prier et a démontré de quoi elle était capable. « Quand on embarque le mobilier pour le montage sur le chantier, quand on le débarque pour l’installer, Ambre y participe. Même que mes clients me posent des questions quand ils la voient dans l’équipe. Ils sont surpris », poursuit l’entrepreneur. De son côté, la menuisière ajoute en souriant : « On me fait souvent la réflexion : Imran pran tifi pou travay tou ! Mais ce sont les femmes qui me posent plus de questions. Elles veulent savoir si le métier est contraignant, comment cela se passe dans l’atelier, etc. » Et Imran Ally Deelawor de donner son avis sur la place des femmes en menuiserie : « C’est un domaine qui leur est ouvert. Mais elles doivent avoir le soutien de leurs proches. Ambre n’est pas la première que j’ai embauchée. Mais les filles ont tendance à abandonner le métier quand elles s’engagent dans une relation et fondent leur foyer. »

Si Imran Ally Deelawor a monté sa compagnie il y a quelques années seulement, c’est, dit-il, grâce à sa fille. Cette dernière, qui était alors étudiante à l’université de Maurice, préparait sa thèse pour son diplôme en gestion d’entreprise, s’est inspirée de l’atelier de son père pour présenter un business model. Imran Ally Deelawor a tout simplement appliqué les idées de sa fille. Par la même occasion, son fils, qui s’est spécialisé en design, collabore aussi avec lui. Comme Ambre Toinette, l’entrepreneur concède volontiers qu’il n’a pas poursuivi sa scolarité. Après l’école primaire, il a fréquenté des ateliers du village, car il aimait bricoler, dit-il. Mais bien vite, il s’est rendu compte que la menuiserie était bien plus qu’un passe-temps, une simple affaire de bricolage. À 20 ans, il se démarque lors d’une exposition nationale, et avec l’appui de ses parents, il opère un petit atelier.

« J’arrive à faire des meubles »

De commande de mobilier en commande de supports ou autres structures, Imran Ally Deelawor parvient à se faire connaître auprès des constructeurs et obtient des contrats pour des projets d’envergure. Pour Ambre Toinette, ce marché est également une opportunité de participer à l’habillement des enseignes, locaux et bureaux de renom aussi bien que des résidences privées. C’est avec une fierté légitime qu’elle y laisse son empreinte. Elle n’est pas moins fière du placard et vaisselier qu’elle a réalisé pour la cuisine familiale. Quand sa coiffeuse a cédé à l’usure du temps, elle l’a restaurée. Elle a aussi réalisé une table d’appoint pour sa chambre. « Petit à petit, j’arrive à faire des meubles », dit-elle. S’intéressant à des tendances en matière de style, elle suit de près ce qui se crée dans ce secteur à travers les réseaux sociaux. « Une amie, coiffeuse, m’a demandé de la conseiller pour le mobilier de son nouveau salon », confie la menuisière. Les idées se bousculent dans sa tête…

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