Anil, infirmier : « Leker lour kan bizin dir enn fami ‘ou papa, ou frer inn mor, vinn serse’ »

« Dans notre métier, nous sommes régulièrement confrontés à la mort, mais pas dans de telles conditions et à une telle cadence », dit le jeune homme « Si nous faisions face à un ou deux décès par semaine, maintenant, les décès se comptent pour deux, trois ou parfois plus par jour. Et 10 à 15 par semaine »

La mort, Anil, un infirmier du service hospitalier public, a l’habitude de la côtoyer, comme ses autres collègues. En presque 15 ans de service, il en a vu des malades s’en aller… « C’est notre métier, on sait faire. Nous avons été formés pour voir la mort en face », dit-il, sans prétention. Sauf que d’ordinaire, des patients qui meurent à l’hôpital sont soit âgés, soit des cas difficiles que, malgré les soins, l’hôpital ne peut sauver, dit-il. Et si, depuis mars 2020, le personnel soignant, témoin de la détresse humaine, a été confronté à des décès liés au Covid, depuis deux mois, la situation s’est lourdement aggravée. Et davantage, ces trois dernières semaines. La crise sanitaire a rendu invivable le travail. Epuisé, au bord de la crise de nerfs mais surtout traumatisé, l’infirmier nous raconte l’enfer qu’il vit quotidiennement.

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Des patients aussi gravement atteints que les malades du Covid-19, « on en accueillait un par semaine, peut-être deux au départ. Puis, cela a grimpé à une dizaine et maintenant, c’est une trentaine. Le pire c’est que si nous faisions face à un ou deux décès par semaine, là, les décès se comptent deux, trois ou parfois plus par jour. Et c’est 10 à 15 d’un coup par semaine et ça dure depuis presqu’un mois », dit Anil, avouant qu’il est traumatisé des conditions de travail inimaginables de cette deuxième vague de la pandémie.
« Malgré la peur et le cœur lourd, on continue de faire notre travail parce que sinon, on ne s’en sortirait pas. Mais c’est vraiment difficile d’annoncer des décès à la chaîne », témoigne le jeune homme de 32 ans, à l’heure où la barre des 500 décès est en passe d’être franchie. « La semaine dernière, j’ai personnellement dû appeler trois familles le même jour pour leur annoncer qu’un papa ou un frère était décédé. Certains à peine une heure après qu’on leur avait indiqué que le patient était plutôt stable… Psychologiquement, c’est lourd ! », poursuit-il.

Ces épreuves laissent inévitablement des séquelles sur le personnel soignant. « Li pa facil tann dimoun plerer, crier ou soit coupe dans ou figir, kan ou finn fini annonce zot ki zot fami inn décédé », confie l’infirmier, ajoutant que nombre de ses collègues sont en burn-out. Non seulement en raison du traumatisme vécu dans les Covid Wards qui témoignent quotidiennement de la mort des patients, mais aussi en raison de la pression du travail. Avec la recrudescence des cas de Covid, le nombre de salles d’admission a été augmenté dans tous les hôpitaux, dit le jeune homme.

Cependant, si en temps normal, la charge de travail dans une salle d’admission est répartie entre quatre infirmiers et un Charged Nurse pour 18 patients, actuellement, avec le manque de personnel soignant, ce sont deux infirmiers et un Charged Nurse pour une trentaine de patients. « Nou pe bizin fer 2 shifts, parfois 3 cumulés », dit Anil qui ne compte plus ses heures de travail. La pression est énorme sur le personnel hospitalier, dit-il, indiquant que non seulement la charge de travail est quadruplée, mais que les employés fonctionnent aussi dans la peur. « Parski nou humain et nou aussi nou per nou gagn Covid. Nou ena fami, nou ena zenfan, li pa évident, même si nou ena équipement, côtoye dimoun ki ena Covid », dit-il. D’autant que les patients sont exigeants. « Nous comprenons les patients, mais avec cette maladie, nous sommes constamment sous pression. Il n’y a pas d’heure ou de minute que les patients n’appellent et ne sollicitent de l’aide. Car il faut savoir que ce sont tous des bed-ridden patients. Nous devons les changer, leur donner les soins, leur donner à manger, etc. Et surtout,,lorsqu’ils souffrent, être à leur chevet. En même temps, enn patient ici p dir baisse so lelit. Lot coté, enn lot pe dir li pe touffer. Enn lot pe mank loxyzen. Lot pé crier li pe soif. Parfois à deux infirmiers, bizin galoup ici, galoup là-bas en même temps », confie le jeune homme.

«Pena ler , pena minit ki fami pa telefon dan lasal»

Et avec cela, les appels téléphoniques des proches pour s’enquérir de l’état de santé des malades qu’ils ne peuvent malheureusement pas voir. Ou encore, les visites à la porte de certains membres de la famille d’un patient, à n’importe quelle heure, pour déposer des effets personnels ou de la nourriture pour un parent. « Pena ler, pena minit ki fami pa telpfon dan lasal. Des fois, les familles affectées nous critiquent parce que nous ne répondons pas au téléphone ou alors parce qu’ils restent des heures devant la porte que nous n’ouvrons pas. Mais ce n’est pas de gaieté de cœur que nous ne le faisons pas. C’est parce que nous sommes débordés », confie l’infirmier.

« Mo imaginer dan ki détresse sa fami ki pe rod nouvel là été. Mais pou nou aussi, li pa facil », poursuit-il. Surtout lorsqu’il faut annoncer la mauvaise nouvelle aux familles.
« Dans notre métier, nous sommes régulièrement confrontés à la mort mais pas dans de telles conditions et à une telle cadence. Les choses s’enchaînent tellement vite, des patients meurent des fois en quelques heures et parfois dans beaucoup de souffrances. Et ces derniers temps, ce sont beaucoup de jeunes patients qui partent. C’est un traumatisme qui va me poursuivre très longtemps », avoue-t-il, surtout quand il pense à son impuissance devant la détresse de certains patients. « Nous faisons tout pour maintenir les patients en vie. Mais des fois, nous sommes impuissants. Li pa facile pou guette sa ! Li pa facil senti ou helpless ! » ajoute Anil. « Moi aussi, mo ena enn papa, mo ena enn mama »

Le plus dur, c’est ce coup de fil à passer aux familles pour annoncer le décès de leur proche. « En premier, il faut confirmer que c’est bien au membre de la même famille du patient décédé que nous avons affaire. Savoir quelle est sa relation avec le patient. Puis, viennent les mots les plus difficiles à prononcer. Mo pa content sa bout travail la ditout ! », dit-il. Dans ces moments, il doit se blinder. « Ou leker lourd kan bizin dir sa bann mots-là. Li bien bien difficil kan ou dir : mo ena enn mover nouvel pou annonce ou, ou papa, ou frer fine décéder… », raconte l’infirmier, confiant qu’il arrive également qu’il ait à annoncer cette nouvelle de la mort d’un patient, alors que ses proches venaient, une ou deux heures plus tôt, d’appeler et qu’il avait répondu que l’état de santé était stable.

« Li pa facil guette sa quantité lecor là pé attan… »

« Li pa fos kan nou dir ki l’état stable. Des fois, enn sel cout, ou trouv patient rentre en détresse respiratoire. Ou seye fer le tout pou le tout pou sov li, mais ou pa reci, docter pa reci. Li pa nou fot », dit Anil, se remémorant ces cris et pleurs qu’il entend quotidiennement. Des fois, plusieurs fois par jour, car le nombre de décès quotidiens ne cesse d’augmenter dans les salles Covid.

Le traumatisme est omniprésent à l’hôpital, dit le jeune homme, expliquant que c’est tout aussi difficile, lorsqu’il va déposer un corps à la morgue, de voir quatre ou cinq autres corps qui attendent dans le couloir.

« Ou penser kapav ena ou fami aussi parmi. Li pa facil guette sa quantité lecor là pe attan », dit-il.

C’est son quotidien depuis presque deux mois de voir des gens souffrir et mourir devant lui « acoz Covid.» Quand les patients arrivent, tout ce qu’on sait c’est qu’ils sont Covid positifs. Nous ne savons pas s’ils sont victimes du Delta ou pas. Car certains ont des symptômes légers et d’autres plus conséquents. Mais lorsqu’ils entrent dans la détresse respiratoire, on sait tout de suite que c’est le Delta qui est en train de les ravager. Et pour nous qui devons être à leur chevet, ce n’est pas évident, mais nous faisons de notre mieux pour les assister, explique Anil.

S’il est sur les rotules, « je suis mentalement épuisé. Je vis dans l’angoisse. L’angoisse d’attraper la maladie, mais aussi l’angoisse de refiler la maladie à mes parents », confie le jeune homme. Et d’ajouter que depuis mars 2020, il n’a pas serré ses parents dans ses bras. « Nous sommes très proches dans la famille. J’avais l’habitude d’embrasser mes parents avant de quitter la maison chaque jour pour aller travailler. Mais avec le Covid, je ne peux approcher mes parents. C’est difficile de vivre comme un reclus. Quand je rentre, je me change illico, je vais me doucher, je mange et je reste dans ma chambre. Non seulement parce que je suis fatigué, mais surtout pour ne pas prendre de risque de contaminer mes parents», dit Anil. Il arrive aussi qu’il ne voit pas ses parents deux ou trois jours parce qu’il a doublé ou triplé son shift de travail. « Mo mama plerer, dir moi pa bizin ale travail parski li per. Mo leker fer mal », raconte le jeune homme.

« J’aimerais tellement que cela cesse ! »

Il y a aussi le découragement, dit Anil, qui se dit triste que « dimoun critik nou sans conner ki nou pe traverser. » Pensez-vous que nous sommes sans cœur? Non, dit l’infirmier. « Demain li kapav mo prop fami ki en détresse. Li kapav mo mama, mo papa ki mo pa pe kapav soigner ek ki mo trouve zot pe mort devant moi », dit-il. Des fois aussi, il est découragé de voir certains patients inconscients des risques.

« Parfois, nous avons des patients avec des symptômes légers qui sont guéris presqu’au 7e jour d’admission, mais qui ne portent pas le masque et chopent le variant Delta d’un autre patient. Et en un jour, des fois quelques heures, se retrouvent en détresse respiratoire et finissent à la morgue », raconte Anil. On a beau être au four et au moulin, mais des fois, ce n’est pas facile de tout contrôler dans la salle, dit-il encore. Les patients doivent prendre leurs responsabilités, tout comme le public, poursuit le jeune infirmier qui demande à la population de redoubler de vigilance. « Je vois trop de souffrance chaque jour, que ce soit avec les patients qui n’arrivent pas à respirer ou leurs proches à qui on annonce la mauvaise nouvelle. Je me sens impuissant. J’aimerais tellement que cela cesse ! Je suis à bout. Si tous nous prenons garde, cela réduirait le nombre de cas », plaide Anil.

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