L’hôpital Apollo Bramwell continue à faire couler beaucoup d’encre. Entre le flou concernant son acquéreur final qui devrait se matérialiser dès le début de l’année prochaine, sa transformation envisagée ou non en un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et la problématique des salaires à trouver à chaque fin de mois, cet hôpital, ébranlé de son piédestal dans le sillage de l’affaire BAI depuis avril dernier, reste au centre de l’actualité, souvent pour les mauvaises raisons. Au-delà des problèmes financiers et de gestion attribués à ses ex-propriétaires et managers, Apollo Bramwell Hospital (ABH), qui s’est fait une réputation- certes avec une pointe d’arrogance et de suffisance, dans le champ de la santé mauricienne, est aussi et surtout l’affaire de plus de 850 employés, qui malgré l’incertitude engendrée par le cyclone qui a frappé leur entreprise, ont su rester soudés et solidaires pour continuer à offrir le service au mieux de leur compétence. Car, dans un hôpital, tout est permanent: il s’agit de souffrance et de bien-être, mais aussi de la vie et de la mort… Cette semaine, Week-End a eu l’occasion d’y tâter le pouls et propose une immersion, libre de toute contrainte, au coeur de cette institution médicale qui veut revivre.
19h30, mardi 22 décembre, à l’hôpital Apollo Bramwell. La salle d’attente des urgences, située derrière le centre hospitalier, est vide. Les deux ambulances sont soigneusement garées devant l’entrée. A l’intérieur, le personnel est concentré sur l’écran d’ordinateur et sur des fiches. Passe un infirmier qui fait un brin de causette avec les secrétaires. L’agent de sécurité posté devant la porte se joint à la conversation. La soirée semble calme. Soudain, le téléphone sonne et tous les visages se figent. La secrétaire décroche : «Urgences, bonsoir» ; elle écoute attentivement, puis esquisse un sourire et poursuit : «Oui j’ai déjà envoyé la fiche». C’était un appel interne, une demande administrative. La tension retombe immédiatement. Mais l’agent de sécurité continue de guetter la porte. On s’enquiert : «C’est calme aujourd’hui?» -»Non, l’ambiance est trompeuse. Dans notre département, il y a toujours quelque chose. En une minute il peut y avoir un chamboulement», explique l’infirmier. A peine ces mots prononcés que la porte s’ouvre et trois personnes entrent. Immédiatement l’équipe se met en marche. Pendant que l’infirmier d’accueil interroge les patients sur leur malaise, la secrétaire note les premières informations. Au même moment, l’agent de sécurité dirige un père et son fils fiévreux vers la réception. C’est une autre urgence, le petit est très faible. Un deuxième infirmier arrive et fait le premier constat pendant qu’une deuxième secrétaire prend les notes. Le premier patient est déjà passé dans la salle de soins où un médecin l’ausculte. En quelques minutes, la salle d’attente s’est remplie…
Moral et fréquentation au plus bas
Dans cette ambiance tendue, le personnel est cependant très calme. Chacun connaît son rôle et sait exactement ce qu’il doit faire. Ce département est en lui-même «un hôpital dans un hôpital». «Tout est sur place pour faciliter les tâches. Lorsqu’on a une urgence, on a tous les services: x-ray, IRM, scan… à proximité. Nous avons les salles de consultations normales et les salles d’urgence où l’on peut pratiquer les interventions chirurgicales. Nous avons aussi une salle de réanimation… Ce département est très organisé et paré à toute éventualité», explique le Dr Maiyalagan Sundaresan. Mais ce n’est pas seulement les urgences qui offrent un service professionnalisé, dit le personnel. «Tout l’hôpital est synchronisé. C’est ce qui fait la différence», disent les employés, fiers de leur entreprise qui continue malgré les soubresauts cités en haut.
Pourtant, il y a neuf mois, le moral y était au plus bas. L’éclatement de l’affaire BAI avait bouleversé le quotidien des employés d’ABH. Nul d’entre eux ne s’attendait à ce que l’hôpital — là-bas on insiste sur la désignation hôpital dont la réputation avait rejoint, voire dépassé, certaines cliniques privées de l’île — connaisse ce coup dur. Par pudeur ou par colère intériorisée peut-être, ils évoquent peu «l’affaire» mais à mots couverts certains osent se dire choqués de ce que l’on reproche à leur ancienne hiérarchie. Mais ce qui compte, c’est que les activités se poursuivent après la débâcle.
Du jour au lendemain, en effet, le taux de fréquentation de la clinique a drastiquement chuté. «Il y a eu des jours où il n’y avait pas de patients. Ce n’était pas évident, mais nous n’avons pas baissé les bras. Nous sommes venus travailler tous les jours», explique un infirmier.
Outre les urgences, tous les services ont toujours été opérationnels malgré les temps durs. «C’est une question de passion. Nous avons embarqué dans l’aventure ABH parce que nous croyons dans la qualité de service, parce que les médecins de cet hôpital ont une solide expérience qui contribue à faire sa réputation. La force d’ABH, c’est son personnel. Sans nous, il n’existerait pas», dit Abdool Carrim Mollabux, responsable du Surgical ward au 5e étage. Le Dr Nirishka Seewoosungkur abonde dans le même sens. Ce médecin généraliste concède que le mois d’avril a été difficile. «Mais aujourd’hui, nous avons oublié cet épisode. Nous sommes là avant tout pour soigner et offrir le meilleur service aux patients qui, très rares il y a neuf mois, sont aujourd’hui revenus», dit-elle.
En effet, a contrario des salles d’attente désertes en avril et mai derniers, la clinique a retrouvé un niveau d’animation appréciable et laisse espérer le retour aux heures de gloire. Le département Out-patient que Week-End a visité mardi après-midi était rempli de patients venus pour leur rendez-vous avec leur médecin traitant, et d’autres nouveaux qui se faisaient ausculter pour la première fois. Depuis le mois de juin, l’hôpital revit. A ce jour, tous les wards sont occupés, apprend-on. Il y a trois semaines, la clinique avait même atteint un niveau de 100% d’admission. Une situation nécessitant une nouvelle organisation administrative… Cela, rappellent nombre d’employés, parce que malgré les moments de découragement, ils n’ont jamais montré de signe de faiblesse. «En dépit des difficultés, nous n’avons jamais donné des soins de seconde classe. Le service a continué à rouler comme il devait rouler», expliquent-ils.
La passion du métier
Ce que fait également ressortir Gérard Requin, Procurement manager à ABH. «Ce qui est arrivé à la clinique était inattendu. Ce n’était pas envisageable qu’un groupe d’une telle renommée tombe aussi bas en si peu de temps. Mais heureusement, les employés n’ont pas abandonné. Même les fournisseurs nous ont soutenus», dit-il expliquant qu’il a fallu planifier autrement les approvisionnements à court terme. «Si l’hôpital a survécu, c’est aussi grâce à la compréhension des administrateurs qui ont cessé de voir en l’établissement un commerce, mais un hôpital», ajoute-t-il.
Si dans le sillage du plan de redressement, il y a eu le licenciement douloureux de 122 personnes parmi les membres du personnel, qui ont ensuite été réembauchées, et que le staff s’est senti échaudé à un moment, la majorité a puisé dans sa conviction et sa passion du métier pour donner le meilleur d’elle-même, pour sauver l’hôpital et le remettre sur les rails. «Malgré l’incertitude, nous voulons assurer la qualité du service pour que l’hôpital retrouve le top du classement. Nous sommes sûrs que nous remonterons rapidement la pente. Il n’y a qu’à voir le nombre de patients qui retournent chaque jour», disent les employés. Et d’ajouter que la valse des médecins visiteurs a également repris de plus belle depuis peu, alors qu’en avril dernier certains avaient préféré quitter le navire qui tanguait. «Même ceux qui sont partis reviennent aujourd’hui», notent-ils.
ABH a définitivement repris des couleurs. Au moment de notre incursion au coeur de l’hôpital, le département ICU était rempli à 75%. Et dans les autres wards d’admission, les chiffres d’occupation sont en hausse. Surtout qu’en cette période de pointe dans le secteur touristique, il y a beaucoup d’étrangers qui y viennent.
Etude d’évaluation auprès de la clientèle
Si l’avenir de la clinique reste tout de même assez flou pour les employés malgré l’annonce d’un «Preferred Bidder» du nom d’Omega Ark, ils ont décidé de ne pas s’en faire. Ils veulent avant tout «consolider l’image et la réputation de leur hôpital». Si bien que le management qui assure la continuité dans cette période charnière sous la direction du COO Manager Thomas Matthew, chapeauté par un conseil d’administration composé de membres de la National Insurance Co. Ltd et de la NIC Healthcare Limited, a aussi récemment entrepris une étude d’évaluation auprès d’une poignée de patients, des plus exigeants aux plus arrangeants, pris au hasard, en vue de définir les failles dans les services et les meilleurs moyens pour y remédier.
Si les patients et les membres de leur famille ont eu une forte appréhension au moment de la crise sur la qualité des soins et ont hésité à se rendre à ABH dans ses moments les plus difficiles, aujourd’hui, la crise financière et de gestion de l’hôpital ne semble plus les toucher. Ils font confiance au dévouement du personnel soignant et à la qualité du service et des équipements High-Tech de cet hôpital. Au contraire, Apollo Bramwell représente pour certains qui n’ont jamais cessé de s’y rendre «la référence» ou «une alternative crédible aux autres cliniques privées les plus prisées de l’île». Tina, une jeune femme qui a accouché de ses deux enfants dans cet hôpital, et que nous avons rencontrée mardi dernier lors d’une visite à son époux qui vient d’y subir une intervention chirurgicale, explique que, «le service est excellent, ici. Non seulement en termes des médecins et infirmiers, mais aussi au niveau des soins, de la propreté « De même, dit-elle, durant la nuit, peu importe l’heure, si on a besoin d’un médecin ou d’un médicament à la pharmacie, on sait qu’on peut se tourner vers le personnel. Il y a cependant de rares témoignages qui parlent de couacs, des équipements en panne, ou des résultats d’analyses incomplets. «Sans doute des exceptions à la règle», soutiennent les cadres qui veilleront à cela.
«Le pire est derrière nous»
Ce qui fait remonter la pente à cet hôpital, c’est la confiance que le staff a en lui-même et l’esprit d’équipe qui s’est développé, qui s’est affirmé et renforcé au plus fort de la crise. Aujourd’hui, disent les employés, «nous savons que le pire est derrière nous. Le plus important, c’est de donner le meilleur de nous-mêmes pour que la confiance revienne et demeure. Ce n’est qu’avec son personnel dévoué qu’elle pourra progresser», dit le Dr Mattadeen, affecté à l’Intensive Care Unit (ICU).
Une progression que l’h^pital espère également se poursuivre avec le soutien d’une nouvelle clientèle. D’où la campagne de marketing intensif effectuée dans les médias pour rappeler les divers services de qualité qu’offre cet hôpital. «Nous croyons en nos compétences. S’il est difficile de prédire notre avenir, nous allons oeuvrer à maintenir le standard et les normes internationales qui font la réputation de notre hôpital. Nous sommes sa force et c’est avec lui que nous voulons progresser. Nous allons y arriver», disent ces employés que nous avons croisés lors de cette visite de quelques heures et qui ne veulent laisser apparaître aucun signe d’appréhension, peut-être prévenus de notre passage et des enjeux d’un tel reportage.
Il est cependant un fait que le personnel soignant et administratif doit remercier le ciel, ses syndicats et le gouvernement pour avoir pu continuer ses activités pendant ces mois cauchemardesques se donner vraiment à fond pour donner toutes les chances à Apollo Bramwell de revivre, car il y a certes l’amour du métier et la passion des soins et de la vie humaine, il y a aussi le désir de survie personnelle au sein d’un établissement hospitalier qui ambitionne de reprendre sa route vers l’excellence. Tous les employés souhaitent tous que l’année 2016 fera sienne la maxime de Jean-François Collin d’Harleville sur les vrais trésors de la vie : la paix, l’amour et la bonne santé. Pour eux et pour leur hôpital!
APOLLO BRAMWELL HOSPITAL, NEUF MOIS APRÈS LA CRISE : Immersion au coeur d’un hôpital qui veut revivre
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