Ashram Gayasingh: les aînées, héroïnes ne renonçant pas aux joies de l’existence

L’ashram Gayasingh a célébré la Journée internationale des personnes âgées le samedi 1er octobre. L’idée est d’encourager et de valoriser les efforts de ces personnes âgées qui ont apporté leur contribution et leur expertise au pays et à la société. L’occasion de se rappeler que la vieillesse ne devrait plus rimer avec exclusion et qu’il est encore temps de s’occuper de « nos héroïnes », qui n’ont pas renoncé aux joies de l’existence et qui sont encore une source d’inspiration pour la société.

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Vendredi matin, sous un soleil de plomb, cap su l’ashram Gayasingh à Port-Louis. Sous la véranda, des femmes de différents âges se côtoient et s’adonnent à l’artisanat. Elles ont l’air concentré devant des amas de perles multicolores, qu’elles doivent assembler pour en faire une belle parure. L’atelier de bijoux est une préoccupation qui les enchante, à voir le sourire de ces dames qui veulent bien nous conter leur histoire.
Alors qu’on s’attendait uniquement à voir des femmes d’un certain âge, on sera surpris de voir une jeune dans la cohorte. Le visage juvénile de Danisha Narayen ne cadre pas avec le lieu. « J’ai 30 ans ! » On lui en donnerait volontiers 15, tant sa fraîcheur et sa jeunesse apportent un côté soleil à l’environnement. Un peu plus loin, une dame âgée s’avance. Dans un large sourire, elle s’exprime : « Je te salue. Mais dis donc, tu ne me connais pas, moi je te connais pourtant. »
Le regard perdu, cette dame aura à chacune de ses rencontres les mêmes mots. Pourtant, elle aussi a été jeune à un moment de sa vie, mais faute d’amour, elle a fini par s’étioler. Le visage hagard, avec ce regard perçant qui traduit toute la souffrance endurée. Pourtant, il suffirait de prendre le temps de les écouter, de leur tenir la main, un petit geste affectueux qui ne coûte rien, mais ô combien important pour ces dames à la recherche d’un peu de réconfort, voire de chaleur humaine.
Mettre l’humain au cœur de ses actions, un exercice occulté par manque de temps et trop souvent par manque de compassion. Heureusement que la pandémie est venue remettre sur le tapis toute la fragilité d’une société. Un combat qui a réuni tous les humains de la terre entière pour la lutte contre le Covid-19 et qui a aussi généré des élans de solidarité envers les plus démunis. Aujourd’hui, il est aussi propice de s’accorder un temps de réflexion sur le devenir de nos vieux laissés pour compte dans des couvents, des ashrams.
Pourtant, c’est grâce à leur expertise et de leur contribution envers la société que les jeunes bénéficient aujourd’hui d’une meilleure éducation, voire d’un meilleur style de vie. Et si leurs histoires pouvaient changer notre regard ? Car être vieux aujourd’hui, cela ne s’arrête pas à un chiffre précis. À tout âge, les gens ont besoin d’être écoutés.

Kamini Ramjatan : « Comprise, j’aurais réalisé de belles choses »

C’est le cas de Kamini Ramjatan, 45 ans, placée dans l’ashram Gayasingh. Elle a travaillé comme animatrice au ministère de la Femme et du Bien-être de l’Enfant, avant que sa vie ne bascule suite à un problème familial. Mariée, divorcée, placée dans un premier temps à l’hôpital psychiatrique par son mari, elle sera ensuite placée chez sa mère. La mésentente entre sa sœur et elle l’a conduite à l’ashram Gayasingh depuis dix ans.
« Je souffre de dépression et quand on m’agace j’ai les nerfs à bout. Quand vous placez une personne dans un hôpital psychiatrique, c’est difficile pour elle de retrouver du travail. Je ne suis pas folle. Je suis capable de m’organiser, et, à l’ashram, j’ai pu rencontrer des femmes jeunes et d’autres plus âgées qui m’ont appris la vraie signification de vivre dans une famille. On n’est pas du même sang, mais l’amour qu’on ressent en vivant en communauté nous permet de nous épanouir. Pour moi, il ne faut pas séparer un membre de sa famille en l’envoyant dans un couvent, il faut prendre le temps de l’accompagner. Si j’étais comprise en famille, j’aurais pu réaliser de belles choses et être une personne utile dans la société », confie-t-elle avec assurance.
Ces mots cogitent dans la tête de Kamini qui, à 45 ans, veut encore se faire une place au soleil.

Chandranee Bhuheth : « Dir mo ser vinn get mwa, li mank mwa »

Même constat auprès de Chandranee Bhuheth, 52 ans qui raconte son calvaire de petite fille abandonnée par une mère qui, à la place de caresses, lui administrait des coups. « Ma mère m’a abandonnée dans l’ashram. Li ti kontan donn kou pwin lor mwa, pa bien dan so latet », se rappelle-t-elle encore. Ayant un problème de vue, Chandranee ne travaille pas et se dit dépressive.
Elle raconte qu’elle a failli mourir : « Mo ti pe aval mo la lang, inn bizin met kuyer dan la bouss pou sov mwa. » Prenant son courage à deux mains, elle lance comme un cri du coeur : « Miss, mo pa diman nanyen, anvoy mesaz lor zournal, dir mo ser ek mo bo-frer vinn guet mwa, anmen mwa promne kot zot. »
Depuis le confinement, elle ne les a pas vus et ce qu’elle éprouve pour sa sœur est devenu encore plus fort. Dans la kyrielle, il y a aussi les plus âgées dont Khashmira Coothoopermal, 85 ans. Une mémoire intacte, un déplacement rapide, sauf, son œil droit qui se ferme dû à une congestion du visage et à une opération de l’œil droit.
Chandranee respire la joie de vivre. Célibataire, sa mère est morte à 63 ans, et son père à 85 ans. Placée dans l’ashram Gayasingh, il y a 21 ans, elle n’a rien perdu de sa verve. Ses réflexions la mènent au temps de son enfance où elle jouait au jeu de « dînette », avec ses poupées, comme pour imiter les adultes qui recevaient des invités. Son père exerçait comme messenger et sa mère était femme au foyer. Elle a un frère âgé aujourd’hui de 86 ans.
Enfant, elle raconte avoir eu des convulsions, de la fièvre à 40 degrés, avec une paralysie sur tout le corps. « Finn fer promes per Laval, inn resi dibut », fait-elle comprendre. À 85 ans, elle pense encore à sa nièce qu’elle souhaiterait voir de manière régulière, tout en espérant qu’un jour, elle aura le plaisir de retrouver le confort d’un foyer familial.
Chicoree, 87 ans, veut aussi dire un mot. Cette petite dame toute menue aux cheveux blancs avec de grands yeux rieurs est un vrai bonheur. « Ou marye ? Si wi, mo sant enn sanson maryaz. »
La voilà qui se lance, donnant la mesure aux rythmes et la cadence aux reins. Cela fait deux mois depuis qu’elle a fait son entrée à l’ashram et elle se sent dans son élément. Elle s’est fait vite une amie en la personne de Marie Ramdoo, 58 ans, qui se fait son porte-parole.
Soookerah Purmhatee, une autre résidente, se désole : « Mwa mo pena personn pou guet mwa. »
L’ashram Gayansing est loin d’être un lieu désolant pour ces résidentes qui puisent leur force dans cette chaleur humaine omniprésente. Chacune d’entre elles a trouvé son repère, son réconfort. Parfois, on note aussi des tensions, comme cette dame âgacée qui lance : « Pa vinn dir moi naryen », ou chez cette autre dame de 99 ans, qui refuse qu’on lui tienne les mains, expliquant par des gestes brusques qu’elle n’est pas encore paralysée et qu’on la laisse vaquer à ses petites affaires. Il y a aussi cet élan de générosité et d’accueil quand les résidentes croisent Ravindrasingh Gowd, le Manager de l’ashram Gayasingh et Bidhata Jeewuth, le président.
Certaines n’hésitent pas à leur toucher les pieds en signe de remerciements. Une à presque les larmes aux yeux et se sent redevable d’avoir pu avoir une forme de dignité et de respect en ce lieu.

« Elders are value to the society »

Ravindrasingh Gowd parle de l’importance de la célébration de nos aînés et trouve intéressant que les Nations unies aient décrété le 1er octobre la Journée des vieux. Pour lui, il est important de valoriser les personnes âgées. D’où la mise en place des activités à l’ashram Gayasingh qui aide à développer le mental, le physique à travers le yoga, l’atelier créatif, les sorties.
Bidhata Jeewuth évoque une anecdote. Celle de Mme Ramdewha, une femme qui vivait dans l’ashram et qui avait, à sa mort fait don, d’un terrain à Calebasses. « Elle était mariée, sans enfant, et a voulu à sa mort que d’autres connaissent cette joie d’avoir un endroit pour se poser en période de difficulté. »
À la question de savoir si l’ashram ou le couvent sont des lieux bien indiqués pour les vieux, Bidhata Jeewuth dira : « Les vieux recherchent la sécurité. Ils sont entourés socialement, alors que chez eux, ils sont livrés à eux-mêmes. Une personne bien portante reste bornée sur les plaisirs de la vie avec son travail, ses moyens financiers, sa voiture. Un vieux, lui, n’est pas autonome, il dépend des autres pour s’insérer dans la société. Quand la famille ne peut lui offrir ce confort, il doit se résoudre à venir dans un ashram ou un couvent. »
De son côté, Ravindrasingh Gowd parle aussi de la réalité sur le terrain. Il trouve inadmissible que certains proches de ces résidentes calculent au millimètre près l’argent de leurs aînés remis par la Sécurité sociale. « Il y en a qui viennent pour une semaine garder un parent chez eux juste pour bénéficier de cet argent. Il y en a d’autres qui sont établis ailleurs et qui demandent aussi que la pension de leur mère ou proche leur revienne. »
Il insiste au passage que la philosophie de l’ashram ne se limite pas à abriter les vieux ou de les pourvoir en nourriture, mais surtout de leur donner un statut de reconnaissance pour ce qu’ils ont fait pour leur pays et la société. « On est à 85 résidentes et chacune est valorisée et ne manque de rien. »
Bidhata Jeewuth parle aussi de la nécessité d’enseigner aux enfants dès leur jeune âge à s’occuper des vieux. « Il faut ce lien familial, et un système de rotation auprès de chaque membre pour mieux s’occuper d’une personne âgée, car certains ne sont pas mariés, n’ont pas de descendance. Elders are value to the society. Une personne qui vient en ce lieu vient surtout rechercher un réconfort, une touche d’humanisme. Si chaque jeune avait cette prise de conscience, devenu adulte, aucun vieux ne serait placé dans un “home” ? »
Ravindrasingh Gowd conclut par ses mots : « We all can’t be Prime ministers, play Hamlet or build a Taj Mahal, but one thing we all can do is make someone happy. A good smile, kind words and a helping hand that doesn’t cost anything. »

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Fazila Jeewa-Daureeawoo : « Nos aînés sont la mémoire vivante de notre société »

Fazila Jeewa-Daureeawoo, ministre de l’Intégration sociale, de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale, est d’avis que l’on doit « toujours montrer de la gratitude envers nos aînés pour leurs inestimables services rendus à la nation et leur esprit de sacrifice ». Ces derniers, dit-elle, « méritent largement nos reconnaissances, car c’est grâce à leurs efforts que Maurice est citée en exemple sur le plan régional et international ». Elle intervenait lors de la commémoration de la Journée mondiale des personnes âgées, samedi dernier, au Gayasing Ashram, à Port-Louis.
« Nos aînés nous ont transmis les valeurs, la culture et les traditions, et constituent la mémoire vivante de notre société », a poursuivi la ministre en présence du lord-maire, Mahfooz Moussa Cadersaïb, du président de l’Arya Sabha, Rajendra Prasad Ramjee, du nouveau président de l’Hindi Speaking Union, Oudaye Narain Gangoo, Harrydev Ramdhony, du Chairperson du Gayasingh Ashram, Bholanath Jeewuth, et du manager de cette institution charitable, Ravindrasingh Gowd.
« Le gouvernement a mis en place une série de mesures qui visent à protéger les personnes âgées dans différentes phases de leur vie, et ce, afin que les personnes vulnérables et fragiles puissent vivre dans la sécurité et dans la paix », dit Fazila Jeewa-Daureeawoo. « Le gouvernement fait des efforts, mais les ONG restent des partenaires privilégiés. Et la famille est le pilier et le fondement de la société, et doit veiller à ce que nos aînés ne soient pas sujets à la maltraitance et la violence, et ne soient pas victimes d’exploitation financière. »
Elle rappelle que l’espérance de vie continue de progresser à Maurice, ajoutant que sur une population de 1,3 million d’habitants, 244 000 personnes sont âgées de plus de 60 ans, ce qui constitue 18% de la population. « En 2050, ce chiffre passera à 37%, et nous travaillons déjà sur un plan pour que nos aînés aient une vie sereine et soient en bonne santé », dit-elle.
La ministre rappelle que la pension de vieillesse a augmenté depuis 2014. « Nous voulons que nos séniors soient autonomes en termes financiers et que les visites médicales à domicile s’étendent maintenant aux personnes alitées sans limite d’âge. Nous avons mis en place une panoplie de mesures pour le confort de nos aînés, dont le recrutement de 280 médecins pour des visites à domicile, la construction d’un nouveau centre récréatif à Riambel, le lancement de l’application mobile Sekirite, pour la protection des personnes âgées, l’amendement de la loi pour protéger les aînés contre la maltraitance domestique… » Et Fazila Jeewa-Daureeawoo de dire « qu’un cas de violence est un cas de trop ».
Rajendra Prasad Ramjee a annoncé plusieurs projets, dont l’implantation des Ashrams dans chaque district, dont Rivière-du-Rempart et Calebasses. « L’Arya Sabha a toujours adopté une politique de transparence et de confiance, ce qui fait que beaucoup de donateurs font confiance à cette organisation socioculturelle », dit-il. Rajendra Prasad Ramjee a par ailleurs annoncé l’ouverture de Day Care Centres, où les proches de vieilles personnes peuvent laisser ces derniers et les récupérer dans l’après-midi.
Mahfooz Moussa Cadersaïb, le lord-maire, a, lui, estimé que « les aînés représentent une source de sagesse basée sur les expériences de la vie » et ont « grandement contribué dans le développement » du pays. « Les jeunes devraient s’inspirer d’eux afin de construire un meilleur avenir. »
Ravindrasingh Gowd, le manager du Gayasingh Ashram, soutient que le vieillissement de la population est une source de préoccupation, car beaucoup de personnes âgées sont abandonnées à leur sort par leurs propres enfants. Il poursuit : « nul ne peut remplacer la famille, et même si l’Ashram contribue au développement mental et psychique des pensionnaires, il est triste de constater que les enfants abandonnent leurs parents dans des hospices, ne leur rendent pas visite et ne se présentent même pas en cas de décès. »
« Certains vont jusqu’à toucher la pension de vieillesse de leurs parents et grands-parents en venant les chercher deux ou trois jours à la fin du mois, pour mettre le grappin sur leur pension. » Sur les 382 places dont disposent les hospices, 322 sont actuellement occupées par des résidents de toutes confessions religieuses. « Ils bénéficient d’un grand confort, mais le coeur n’y est pas, et certains meurent dans l’abandon le plus total », constate encore avec regret Ravindrasingh Gowd.

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