Bientôt un an après le naufrage du vraquier à Pointe d’Esny – Des habitants du SE : “Wakashio inn detrir nou lavi !”

Bientôt un an (dans la nuit du 25 juillet 2020) après le naufrage du MV Wakashio sur les récifs de Pointe d’Esny et la marée noire qui a suivi, les séquelles socio-économiques, accentuées par la crise sanitaire, se font encore sentir dans les foyers du Sud-Est, ainsi qu’à Mahébourg, village névralgique de la région. Chacun tente tant bien que mal de surmonter les difficultés financières face à une lente reprise des activités et en attendant la réouverture des frontières. Certains se sont lancés dans la restauration avec ou sans succès, tandis que plusieurs familles continuent à compter sur les colis alimentaires distribués par des organisations non gouvernementales. Et de leurs côtés, les pêcheurs ont retrouvé la mer, mais le lagon leur est toujours interdit.

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“Wakashio inn detrir nou lavi !” lâche Vina Pokhun, 42 ans. Le temps a passé depuis le naufrage du vraquier et la marée noire, mais pas suffisamment pour que Vina Pokhun, banian, retrouve ses activités professionnelles, comme autrefois. Vendredi dernier, Vina était dans tous ses états. Son mari Biswadev, pêcheur, n’a pu sortir en mer à cause du temps. Le pêcheur,, 46 ans, n’est pas détenteur de carte et dépend d’un pêcheur enregistré pour gagner sa vie. Toutes les fois qu’il ne peut se rendre au-delà du lagon, c’est l’argent qui fait défaut dans le modeste foyer du couple, lequel croule sous des dettes.

Si Vina Pokhun est démoralisée, c’est aussi parce qu’elle ne travaille plus comme avant. A Petit-Bel-Air, où elle vit dans une maison de la National Housing Development Company Ltd et où elle exerce son métier, Vina explique qu’elle n’a vendu que quelques tranches de thon il y a plusieurs mois. Les deux confinements et leurs impacts économiques, associés aux répercussions de la marrée noire, ont rendu la vie des habitants du Sud-Est difficile, voire amère pour certains. L’envie de rebondir pour faire face aux contraintes matérielles et assurer la survie de leur foyer est là, certes, mais les moyens pour passer à autre chose, comme une reconversion professionnelle, ne sont pas toujours à la portée de tous.

Après avoir bénéficié de la Wakashio Solidarity Grant jusqu’à mars dernier, Vina doit de nouveau compter sur elle-même pour faire bouillir la marmite. Mais les activités de pêche dans le lagon du Sud-Est sont toujours interdites. Les prises en hiver sont moindres, il en est de même pour les revenus. Ainsi, bien souvent la marmite est vide. Pour la remplir, Vina confie qu’elle frappe à la porte de sa mère retraitée et de sa soeur. “Merkredi enn kamarad inn donn mwa enn poul. Monn kwi li pou nou manze an de fwa”, raconte la banian. A la veille de la rentrée des classes, Vina, mère d’une collégienne, explique ne pas être en mesure de donner à sa fille, qui fera son entrée en Grade 9 demain, tout son matériel scolaire.

La marée noire a décuplé les dettes des foyers

“Le 25, Wakashio pou fer enn-an la !” dit Cindy Scott en pensant au jour où le navire a échoué sur les récifs de Pointe d’Esny et à l’impact du naufrage sur la communauté. Le temps, vendredi dernier, n’était pas propice pour sortir les casiers du lagon de Bambous-Virieux. Cindy Scott, 44 ans, est pêcheuse enregistrée. Elle n’est pas allée récupérer ses casiers ce jour-là. Tous les matins, à 7 h, quand le temps s’y prête, elle est dans le bateau de son père, François Hector, pêcheur. C’est avec lui et sa mère, Marie-Clède, que Cindy Scott et sa soeur Fleurette ont appris le métier. Quand la marée noire a plongé les pêcheurs dans les abysses du chômage et des jours d’incertitude, Cindy Scott, qui fait partie des 8 femmes pêcheuses du village de Bambous-Virieux, n’a pas voulu trouver un travail alternatif. “La pêche est mon métier ! Je ne sais pas faire autre chose”, dit-elle, catégorique. Des pêcheurs, essentiellement ceux qui ne détiennent pas de carte, s’étaient résolus à remplacer momentanément la mer par des chantiers de construction ou des terres agricoles. D’autres ont trouvé du travail en plomberie ou carrelage auprès de contracteurs. Aujourd’hui, ils sont de retour en mer.

Il y a deux mois, Cindy Scott a revu ses positions. En parallèle à la pêche, elle s’est mise à l’élevage des pondeuses. L’an dernier, plusieurs pêcheurs avaient été initiés à cette activité par le Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire, et bientôt quelque 85 autres seront bénéficiaires du programme. Parce que les prises sont devenues aléatoires et qu’il lui arrive de trouver ses casiers vides quand ils n’ont pas disparu carrément, Cindy Scott s’est laissée tentée par les pondeuses. “Mo depans Rs 1000 dan transpor pou al ramas gomon Le Bouchon pou met dan kazie. Letan mo al lev kazie, zot inn kokin mo pwason ou bien mo pa trouv mo kazie”, explique-t-elle. Face à ses casiers parfois vides, Cindy Scott a dû trouver une alternative. Depuis un mois, ses poules lui donnent des oeufs qu’elle vend à un boutiquier et elle profite ainsi d’une petite rentrée financière non négligeable. La crise post-Wakashio a poussé Cindy Scott à ne plus compter que sur son métier. Même si elle n’a pas de loyer à payer, que son mari et sa fille unique travaillent, la pêcheuse a des contraintes financières que la marée noire a décuplées.

Retrousser ses manches pour se réinventer

La catastrophe écologique dans le Sud-Est a touché quasiment tous les secteurs d’activité: des métiers de la mer aux petits projets visant à renforcer la capacité économique de ceux qui s’étaient mis à leur compte. Virginie Parisot, 46 ans, est de ceux-là. Alors qu’elle venait de lancer un projet dans la restauration à Mahébourg l’an dernier, Virginie Parisot est frappée par la crise économique provoquée par le naufrage du vraquier. A l’instar des petits restaurants et autres snacks dont la clientèle est principalement composée de pêcheurs et plaisanciers — au chômage pendant plusieurs mois — l’enseigne de Virginie Parisot voit sa fréquentation chuter drastiquement.

“J’ai dû arrêter mon travail complètement en décembre dernier. Cela ne valait pas la peine de continuer. Je perdais des pains et beaucoup de produits frais. Je ne savais plus quoi faire ! J’avais contracté un emprunt pour lancer mon entreprise que je dois rembourser avec ou sans travail. Les Rs 5200 d’assistance financière ne suffisaient pas. J’ai un fils de 17 ans à ma charge… C’était et c’est toujours très compliqué”, explique-t-elle. Près d’une année après le cauchemar qu’a connue Mahébourg, Virginie Parisot a retroussé ses manches et veut relever la tête. Elle n’a le choix, dit-elle, que de se donner une autre chance. Avec le crédit qui lui reste, elle a, en fin de semaine, financé des travaux dans son local pour le restaurer et dès ce week-end, elle relance son enseigne avec un autre concept. Elle s’est mise à la confection de pizzas. Virginie Parisot sait rebondir: après avoir opéré un centre d’appels pendant 8 ans, elle a dû mettre fin à ses services après la première crise liée à la Covid. Elle s’est tournée rapidement vers la restauration et espère que la nouvelle semaine soit porteuse de meilleures perspectives.

Mahébourg, un « produit » encore exploitable

L’après Wakashio devrait être un moment de réflexion pour permettre à tout un village, notamment celui de Mahébourg, de rebondir pour être repensé. Natasha Magraja, 45 ans, fait partie des Mahébourgeois qui auraient souhaité que la région, centre névralgique dans cette partie de l’île, devienne en elle-même un produit incontournable dans le circuit culturel et touristique. Pour cette mère de deux enfants de 18 et 15 ans et veuve de l’artiste Vishal Magraja, un an après la catastrophe écologique, Mahébourg ne doit pas rester inerte. Avec l’ouverture des frontières et la reprise des activités touristiques, le village a des atouts, dont ses artisans, qu’il doit mettre en avant.

Natasha Magraja, n’est pas artiste, mais elle a soutenu son époux, Vishal Magraja, pyrograveur connu et apprécié à Mahébourg, décédé il y a deux ans. Ce dernier ambitionnait de promouvoir « I love Mahébourg », un concept qui revalorisait les talents bruts et les spécificités du village. Aujourd’hui, Natasha Magraja peine à maintenir le local dédié à « I Love Mahébourg ». Les factures ont explosé. Des 100 t-shirts « I Love Mahébourg » qu’elle a placés dans sa boutique l’année dernière, elle n’en a vendu qu’un. Ses porte-clés, ses souvenirs n’ont pas trouvé preneurs, même pendant l’élan de solidarité envers la communauté au moment de la catastrophe. Ce n’est pas parce qu’il n’y pas de visiteurs étrangers que l’espace artisanal dans l’enceinte du musée doit rester à l’abandon, dans un piteux état. Que les vestiges ne doivent pas être restaurés, le front de mer et ses alentours doivent rester sales… Qu’on ne devrait pas planifier des événements culturels et nocturnes pour encourager le tourisme local et booster les activités économiques du village. Natasha Magraja se désole de cette situation. Pourtant, en 2019, le gouvernement avait annoncé le projet « Mahébourg, village touristique ». Ce concept, qui était axé sur la promotion de Mahébourg à travers plusieurs thématiques, avait été présenté aux habitants, à l’époque. Mais depuis, il a été mis au placard. Il y a eu la pandémie et la marée noire.

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