Cartes SIM : résistance citoyenne face à la pression étatique grandissante

Les opérateurs de téléphonie martèlent leurs clients de messages menaçants de désactivation et multiplient les moyens et pressions pour contraindre à ces réenregistrements

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La position de la Cour suprême face à une plainte constitutionnelle contre la décision gouvernemenale attendue avant la date butoir de fin avril

L’un des plaignants, Me Rangasamy, a souligné que la commission Lam Shang Leen n’avait jamais recommandé un réenregistrement obligatoire de toutes les cartes SIM comme affirmé par l’ICTA
et le gouvernement

Impact financier négatif redouté pour les compagnies de téléphonie et des banques en cas de désactivation massive

La tension monte à Maurice au fur et à mesure que la date butoir pour le réenregistrement obligatoire des cartes SIM approche. Depuis son lancement le 31 octobre dernier, cet exercice suscite une résistance grandissante, alimentée par une série de préoccupations éthiques, légales et pratiques. Mais l’État ne compte pas reculer et brandit la menace de désactivation comme inéluctable pendant que les opérateurs téléphoniques et même les banques multiplient communiqués, messages électroniques à la limite du harcèlement, et mettent en place des mesures incitatives pour faciliter le processus d’enregistrement, notamment des points d’enregistrement mobiles à travers le pays, voire des déplacements ciblés dans les entreprises comme cela a été le cas à la MBC en début de semaine. Contrainte par les autorités, elles redoutent également des pertes financières conséquentes en cas de désactivation massive des cartes SIM. Dans ce contexte délétère, la saisine de la justice par des activistes et hommes de loi pour contester la constitionalité de la démarche gouvernementale et la prise en main de la plainte constitutionnelle par la cheffe juge, Rehana Gulbul, elle-même, pourrait être déterminant dans cette énième confrontation de l’État avec ses citoyens, dont un certain nombre ne sont pas prêts à devenir des moutons de Panurge…

Initialement conçu pour contrer l’utilisation abusive des cartes SIM dans des activités criminelles telles que le trafic de drogue, le réenregistrement des cartes SIM est devenu un sujet de controverse majeur dans le pays. D’aucuns estimant avoir déjà fait le nécessaire et que le réenregistrement doit avoir des motifs inavouables, d’autant qu’une photo personnelle doit être adjointe au dossier de réenregistrement.

Des activistes et hommes de loi en première ligne de la contestation
En effet, une des principales critiques concerne l’exigence de fournir une photo autoportrait (selfie), ce que bon nombre d’activistes estiment qu’elles serviront comme outil de comparaison biométrique pour mieux retracer les déplacements des individus dans le pays, voire à travers la planète. Cette exigence a soulevé des préoccupations majeures quant à la vie privée et à la sécurité des données des citoyens, ainsi qu’à la possibilité d’une utilisation abusive de ces informations par les autorités.

Plusieurs activistes connus, dont le premier à s’être manifesté est Ivor Tan Yan et le dernier en date Rajen Valayden, ont publiquement dénoncé cette mesure, remettant en question son efficacité réelle dans la lutte contre la criminalité tout en soulevant des préoccupations sur la surveillance de masse potentielle par le biais du système de vidéosurveillance Safe City. Entre-temps, citoyens, activistes et politiques ont participé à une marche pacifique, organisée par le Collectif ‘Pa Tous Nu SIM Carte’ pour contester ll’exercice de réenregistrement des cartes SIM.

Parallèlement, des actions en justice ont été engagées pour contester la légalité du réenregistrement obligatoire des cartes SIM. Des avocats éminents, dont Rama Valayden et Me Pazhany, ont déposé des plaintes devant la Cour suprême, remettant en question la constitutionnalité de cette exigence, notamment en ce qui concerne la collecte de données biométriques éventuelles avec l’obligation de confier les photos d’usagers du téléphone.

La Cour suprême de Maurice, même pendant la période de congé judiciaire, est en ébullition suite à l’affaire de réenregistrement obligatoire des cartes SIM. Me Pazhany Rangasamy, avocat, a déposé une plainte constitutionnelle remettant en question les régulations gouvernementales et celles de l’ICTA, imposant cette mesure sur la base d’une contre-vérité, soutenant notamment qu’elles ne sont pas conformes aux recommandations de la Commission Lam Shang Leen qui lui préconisant cette mesure pour les acteurs du trafic de drogue notamment et non à toute la population.

La cheffe juge monte au créneau à l’orée de l’échéance
Lors d’une récente audience présidée par la cheffe juge Rehana Mungly-Gulbul, les représentants de l’État et des opérateurs téléphoniques ont exprimé leur intention de contester la plainte de Me Rangasamy. Ils ont souligné que ces régulations étaient dans l’intérêt public, notamment pour lutter contre le trafic de drogue.

La cheffe juge a fixé un calendrier strict pour l’audience de cette affaire en avril, exigeant des réponses rapides des parties impliquées. Me Rangasamy et son avocat Me Teeluckdharry ont jusqu’au 15 avril pour répondre aux demandes de further and better Particulars, tandis que les répliques doivent être soumises au plus tard le 22 avril. Parallèlement, Me Teeluckdharry a réitéré la demande d’un Stay of Execution des régulations, soulignant que la date butoir du 30 avril pour le réenregistrement approche rapidement. Cependant, la cheffe juge a indiqué que cette question serait traitée séparément.

Après l’audience, Me Rangasamy a souligné que la commission Lam Shang Leen n’avait jamais recommandé un réenregistrement obligatoire de toutes les cartes SIM, plaidant plutôt pour des mesures ciblées contre le trafic de drogue. Il a critiqué la mesure comme étant disproportionnée et traumatisante pour la population.

Cette affaire suscite un vif intérêt, alors que le débat sur la protection des libertés individuelles et la sécurité nationale continue de faire rage à Maurice puisque c’est un sujet sensible et non-négociable pour une frange importante de la population qui dit ne pas vouloir céder un pouce de terrain sur ce qui concerne sa vie intime et personnelle. En tout cas, elle ne cache pas que cette affaire pèsera lourdement sur ses choix aux prochaines législatives…

Les opérateurs téléphoniques et les banques victimes collatérales ?
Par ailleurs, les opérateurs de télécommunications ont également été pris dans la tourmente et sont contraints sous le diktat du régulateur qu’est l’ICTA et des pressions gouvernementales de tenter de mobiliser leurs abonnés pour se conformer à la réglementation avant la date limite. Cependant, leurs efforts ont été accueillis avec une résistance croissante et vécus comme du harcèlement. Certains utilisateurs expriment leur mécontentement face à ce qu’ils perçoivent comme une intrusion dans leur vie privée et une pression indue. Sur les réseaux sociaux, l’image et l’indépendance de ces opérateurs sont mises à mal et le mot “chatwa” résonne comme une litanie qui démontre que leur image immaculée est entamée.

Le pire pour ces compagnies de la téléphonie et des banques — qui utilisent leur plateforme pour une partie importante de leurs opérations — est que la désactivation programmée des cartes dans les proportions où elle s’annonce, dans le contexte de l’ampleur de la contestation silencieuse, pourrait lourdement impacter leurs chiffres d’affaires et leur profitabilité. Dans tous les cas de figure, elles pourraient être des victimes collatérales de cette opération de réenregistrement des cartes SIM dans les conditions imposées par l’ICTA et le gouvernement.
En outre, le manque de transparence entourant le nombre réel de cartes SIM réenregistrées a semé le doute quant à l’efficacité globale de cette initiative. Alors que la date butoir approche, la controverse persiste, alimentée par un mélange de préoccupations sur la vie privée, les droits civils et les implications pratiques de cette mesure sur la sécurité nationale.

À mesure que les parties prenantes se préparent pour les prochaines étapes, il est clair que le débat sur le réenregistrement des cartes SIM à Maurice et son urgence absolue, à quelques mois des élections générales, qui suscitent toutes les appréhensions est loin d’être clos, soulignant les défis persistants auxquels le pays est confronté dans son équilibre entre sécurité et respect des libertés individuelles, et le mood de la population qui est au plus bas à un moment où ceux qui comptaient sur l’opposition pour un semblant d’espoir est en train de se déliter…

Namibie : 43% des cartes SIM non-enregistrés désactivées au 1er avril 2024

La campagne d’identification — et non de réenregistrement avec photo biométrique à l’appui comme c’est le cas à Maurice — des abonnés Telecom Namibia lancée sous le prétexte de lutter contre la cybercriminalité a désactivé près de 43% des cartes SIM des 30 % non enregistrées au 1er avril.

Bien que 70% aient été enregistrées avant la date limite, encore 200 000 cartes sont concernées. Initialement prévue jusqu’en décembre 2023, la campagne a été prolongée de trois mois. Malgré des mesures incitatives, de nombreux abonnés ne se sont pas enregistrés à temps. Pourtant, Telecom Namibia (TN), l’opérateur national des télécommunications, avait déployé des mesures incitatives telles que des points d’enregistrement mobiles et des campagnes de sensibilisation pour faciliter le processus d’enregistrement. Les Namibiens ont maintenant jusqu’à fin juin pour s’enregistrer, sinon leurs cartes seront définitivement désactivées.

Cette initiative aurait cependant déjà impacté les revenus des opérateurs télécoms et les institutions bancaires qui dépendent de la vente des cartes SIM et des transactions financières mobiles.

Des sociétés étrangères pour les vérifications biométriques et faciales

Une enquête de notre confrère Le Mauricien révèle que les compagnies de téléphonie mobile à Maurice font appel à des sociétés étrangères pour vérifier les données des citoyens mauriciens lors du réenregistrement des cartes SIM. Des technologies de Regula Forensics et ML Kit, basées à l’étranger, sont utilisées pour effectuer des vérifications biométriques et faciales. Cette décision est motivée par le manque de ressources locales et l’urgence de respecter les délais imposés par les autorités. Malgré les assurances des compagnies et des autorités quant à la sécurité et à la confidentialité des données, des inquiétudes persistent quant au partage de ces informations avec des tiers étrangers, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles des Mauriciens.

Les pressions exercées sur les abonnés pour se conformer aux exigences de réenregistrement sont également mises en lumière, avec des entreprises et des institutions incitant leurs employés à agir rapidement. Cependant, malgré ces efforts, l’intérêt des Mauriciens pour cet exercice semble faible, soulevant des questions sur la nécessité et l’efficacité du processus de réenregistrement des cartes SIM.

Enfin, des préoccupations ont été soulevées quant à l’efficacité du réenregistrement dans la lutte contre le trafic de drogue, ainsi que sur la possibilité pour les trafiquants de contourner les réglementations en utilisant des cartes SIM étrangères et des applications Internet. Les déclarations antérieures du Premier ministre concernant la sécurité des données sont également mentionnées, mettant en évidence l’importance de garantir la confidentialité des informations personnelles des abonnés.

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