Hommage à Edouard Maunick – Jacques Maunick : « Pourquoi Maurice n’a pas honoré la mort de ce grand poète mauricien ? »

Un hommage au poète Edouard Maunick, tenu le 20 septembre au Caudan Arts Center par Jacques Maunick. En entrée, la voix d’Edouard Maunick sur le poème Cholo, où il parle de ce poème qui ne s’explique pas et qui ne doit pas être expliqué. Jacques Maunick, son frère, dira : « Qu’est-ce que son pays a fait pour Edouard quand il est décédé ? Rien ! Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi celui qui est considéré comme un des plus grands poètes, et ce n’est pas Maurice qui le dit, c’est la France… pourquoi donc, hormis la presse, Maurice n’a pas honoré la mort de ce grand poète mauricien ? »

- Publicité -

Le public a eu droit à une projection du documentaire sur l’île métisse d’Edouard Maunick, du magazine de la chaîne culturelle Arte, consacrée au poète deux jours après sa mort. Une sorte d’invitation au voyage de Maunick. Cette grande voix de la littérature mauricienne du 20e siècle qui aura su faire corps avec les mots, qui brassent les couleurs et les peuples. Enseignant, journaliste, diplomate… Edouard Maunick aura su porter au firmament son île métisse et ses peaux brunies par le soleil.

Cet homme, qui était un homme de la mer, et qui dit dans ses poèmes : « J’habite la mer, je vis au bord des légendes de la mer, les manèges de la mer. » Toute la poésie d’Edouard, issue de tous ces sang-mêlé et qui répondent à cette question existentielle de la vie : « D’où viens-tu ? » À cela, Edouard a répondu : « Parlez-moi du lieu où j’ai appris à vivre. Le quartier, c’est le lieu où on a appris à vivre et, apprendre à vivre, cela signifie la joie comme la souffrance. »

Lady Ramdanee : « Edouard était mon petit frère »

Le moment le plus émouvant de cet hommage est venu de Lady Ursule Ramdanee, née Maunick, et de Jacques Maunick, sœur aînée et petit frère du poète. Edouard Maunick, qui a vu le jour à Flacq, est devenu un enfant et un adolescent du Ward IV. Jacques dit qu’il fallait aussi présenter l’homme, et ne pas en faire uniquement un monument de la poésie.

Pour parler de l’enfance et de l’adolescence d’Edouard, qui aurait eu 90 ans le 23 septembre de cette année. Jacques n’étant pas encore né, c’est Ursule, son aînée de deux ans, qui raconte d’une voix tendre : « Edouard, c’était mon petit frère. C’était du genre feu follet enfant. Il aimait grimper aux arbres, dans la cour où nous habitions; nous étions cinq enfants, les trois autres devaient venir plus tard. Pour chacun, il y avait un manguier, et Edouard grimpait au manguier tout en aimant manger des mandarines, des bilimbis. On allait l’école L’Aiguille, comme on l’appelait, car le maître d’école était un M. L’Aiguille. »

Elle poursuit : « Edouard faisait ce qu’il pouvait et avait une propension pour le français, l’anglais n’étant pas sa tasse de thé. Il a décroché un certificat de 6e très modeste. Pour le secondaire, il ne pouvait pas chercher à atteindre la SC. Il est parti au collège Bhujoharry, où le directeur, M. Bhujoharry, l’a introduit aux strophes de Shakespeare. Mais Edouard avait cette préférence pour la langue française. C’est M. Bruller, qui en entendant Edouard lire, lui a dit :Mon enfant, tu es bon pour la langue française avec ta diction”. »

« Le dernier sacrement à 12 ans »

Lady Ramdanee dira que les leçons particulières étant payantes, leur père faisait ressortir qu’il avait cinq enfants et que ce n’était pas possible. Le père a cédé. M. Bruller a accepté de donner des leçons de l’Alliance française à Edouard, qui s’impose dans la deuxième division. Prix de récitation sur prix, ce qui lui avait alors valu « un bon tabassage » par les petits de Curepipe.

D’emploi d’enseignant à l’école primaire, Edouard se développe une culture pour le français, et il s’est mis à lire la Bible, ce qui l’a conduit à se faire adventiste. Lady Ramdanee poursuit que Edouard a épousé son premier amour à 20 ans, une fille à qui il donna des leçons d’adventiste. Elle dira aussi que Edouard, étant gravement malade, avait reçu le dernier sacrement à 12 ans des mains du révérend Père Raoul, qui officiait à l’église Immaculée. « Savez-vous que Edouard Maunick ne figure pas à l’Ètat civil, parce qu’il n’est pas là. Il est né sous le nom de Joseph Marc Davy, les prénoms dont il a été déclaré. Ce nom d’Edouard est venu d’une tante après la déclaration qu’il lui a dite : “Ah to enn zoli baba, to kouman mo Prince Edouard.” C’est à partie de là que l’appellation Edouard est restée. »

Jacques Maunick évoque ses 11 ans, où il apprend que Edouard est pasteur adventiste et qu’il s’est mis à s’intéresser à toutes les religions en fréquentant toutes les communautés et en étudiant le véda. Ses meilleurs amis seront Ismael Atchia et son frère, Hossen, propriétaires du cinéma des familles, où il a commencé à écrire des poèmes.

Jacques fera même des révélations sur son frère : « Vous connaissez le kiosque du Jardin de la Compagnie ? C’est là que Edouard, avec le père des Damoo, a lancé le premier radio crochet à Maurice dans les années 50’. Il était ami avec les Chinois, le Typhoon Band, concurrent de l’orchestre de la police, où il n’y avait que des sino-mauriciens, avec pour présentateur Edouard. Ursule est devenue la chanteuse de variété du groupe, car elle chantait déjà de l’opéra. Ils firent même une tournée à La Réunion. »

« C’est Edouard qui a fait découvrir Maurice, et non l’inverse »

De simple enseignant promu bibliothécaire de la municipalité de Port-Louis, Edouard avait déjà deux recueils à son actif et cherchait des réponses existentielles de l’ordre de « Ki nou ete ? », « Kot nou sorti ? ». C’est à Paris, confie Jacques Maunick, qu’il va vraiment se révéler comme le poète du métissage. « Nous venons d’une famille de race mélangée. On a tout, même l’Écossais. À Paris, il a fréquenté des Africains, il a multiplié des recueils. RFI s’est intéressé à lui en lui proposant des séries d’émissions sur la littérature noire africaine, sur lui et sur sa poésie. »

Jacques ouvre une parenthèse : « Il faut arrêter de dire que Edouard était un poète de la négritude ! Il était l’ami de Senghor, qui disait de lui : “Edouard va au-delà de la négritude. Sa source d’inspiration est le métissage.Edouard a refusé la nationalité française. Jusqu’à sa mort, il a gardé le passeport mauricien. Alain Bosquet, grand critique littéraire, et qui est décédé, révéla Edouard dans le journal Le Monde et dans des magazines littéraires français, en disant : Attention, il y a là un grand poète venu de Maurice qui nous parle du métissage de son pays. Ce n’est pas Maurice, au milieu des années 60’, qui a découvert Edouard Maunick, c’est Edouard Maunick qui a fait découvrir Maurice dans les milieux littéraires. »

Jacques se souvient, ému, que son frère lui a permis de voir le dernier concert de Jacques Brel. Il parle d’Edouard comme d’un excellent cuisinier qui savait manger avec ses mains. Récompensé deux fois par l’Académie française, fait Chevalier de la légion d’honneur, Edouard a aussi reçu le prix Apollinaire. Invité dans plus d’une cinquantaine de pays, ainsi que dans les plus grandes universités, ses poèmes, dit Jacques, auront été traduits en plus de dix langues. « Edouard n’écrivait pas de poèmes selon les normes françaises. Je l’entends encore dire à ses collègues africains : “Il faut violer la langue française.” Et dans un de ces poèmes, il explique qu’il faut marronner Molière. La poésie d’Edouard n’est pas faite pour être lue par les yeux, mais dites par la bouche. D’où son recueil, La parole ne pourrit jamais. »

Michel Ducasse, également poète, a, lui, parlé du mémorable orateur Edouard, le poète « faisant la nique aux mots ». De sa traversée du Ward IV aux côtés du conteur revisitant son enfance. Michel Ducasse a livré un extrait de L’essentiel d’un exil, qui donne à entendre quelques thèmes majeurs de l’œuvre d’Edouard Maunick.

Robert Furlong, le comédien, a pour sa part fait écho de ce rire tonitruant d’Edouard à travers un poème, et la slameuse Kelly Ang Ting Hone, elle, un slam sur Ki kote la mer ?.

Après la diaspora mauricienne du Canada, notamment de Toronto, qui a pu voir cet événement en streaming sur la chaîne YouTube de Logos Introductions International Ltée, cela sera ensuite le tour de Dakar, Haïti, l’île créolophone, et notre diaspora de Melbourne sur la radio Free Free ZZZ.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -