CENTENAIRE : Gabrielle Rose, celle qui rédigeait les lettres des “femmes-pionniers”

Le centre communautaire de Crève-Coeur, à Rodrigues, a accueilli hier, lundi 27, la fête d’anniversaire de Gabrielle Rose. La centenaire Rodriguaise, originaire de la Baie aux Huîtres, est mère de six enfants : cinq filles et un fils. Celle que tous connaissent sous le sobriquet de Madame Gabrielle ou Madame Gaby s’est surtout fait connaître dans les années 50 quand elle écrivait les lettres des épouses des soldats qui se trouvaient en Palestine : les « femmes-pionniers »… Gabrielle Rose, une des rares à avoir appris à lire et à écrire à son époque, était très active socialement, et a contribué à instruire bon nombre de ses compatriotes. Souvenirs.
Violet, la benjamine de Gabrielle Rose décline dans un grand rire que sa mère, du haut de ses 100 ans, « reste en dépit de tout une femme très joviale. Et coquette » Merle, la troisième fille de la centenaire, complète le descriptif, rappelant que « maman était certainement très populaire durant sa jeunesse et pendant longtemps. Elle a été toujours très active socialement et auprès de l’église. Et jusqu’à maintenant, elle affectionne toujours se pouponner et s’habiller… Elle a gardé ce désir de toujours se faire belle et que tout le monde l’admire ! » Notre interlocutrice explique, d’ailleurs, « quand elle nous voit, disons pour un anniversaire ou une fête, si on n’est pas sur notre 31, elle le remarque immédiatement. Et surtout, elle ne rate pas une occasion de nous dire “tu es encore jeune, tu dois te faire belle ! ”… C’est tout maman, ça ! Encourager tout le monde autour d’elle à profiter pleinement de la vie et à ne pas s’attarder sur les soucis… » (voir plus loin)
En effet, Gabrielle Rose a marqué ses enfants par ce trait de caractère : Merle et Violet estiment que « l’un des secrets de sa longévité est peut-être le fait qu’elle balayait d’un revers de main les soucis… » De tout temps, Gabrielle Rose a eu cette philosophie : « Na pa pran traka. » Et pourtant, ce ne sont pas les ennuis qui ont manqué durant toute sa vie ! « Mais elle nous encourageait tout le temps à ne pas nous morfondre sur les tracasseries du quotidien, relatent ses filles. Elle nous disait toujours de prendre les choses du bon côté ; d’avoir la patience et que les choses s’amélioreront… C’est peut-être ce qui l’a préservé. »
Autre trait de caractère de la centenaire : sa joie de vivre. « Elle est toute excitée depuis qu’une de nos nièces, venue spécialement d’Australie, lui a apporté une jolie robe grenat, raconte Merle. Sa couleur préférée étant le rouge, elle a immédiatement adoré cette robe grenat quand elle l’a vue ! » Ayant décidé que c’est ce qu’elle allait porter le jour de sa fête, Gabrielle, confient encore ses filles, « a aussi fait comprendre qu’elle souhaitait un collier pour porter autour de son cou, afin d’être ravissante ce jour-là ! » Merle et Violet renchérissent : « Maman a toujours mis un point d’honneur à soigner son apparence. Ça a toujours été important à ses yeux. »
Blessée à la jambe
Avec son époux, Gabriel, la centenaire a eu six enfants : cinq filles, Franck Sède, Claude, Merle, Merline et Violet ; et un fils, Merlin. Pendant quelques années, Gabriel avait exercé le métier de marin. « Puis, sa santé en avait pris un coup, se souviennent ses filles. Il avait donc arrêté et s’était mis à la pêche… » Ce travail ne rapportant pas beaucoup, Gabrielle décide d’aider son mari : « Elle faisait des travaux de couture et de broderie. Elle allait aussi couper de l’herbe… Elle a travaillé très dur pour nous élever. »
Depuis plusieurs semaines, Gabrielle Rose est alitée. La cause : elle a glissé et fait une chute. S’en étant sortie avec une fêlure à la jambe droite, la centenaire a été confinée au lit par le médecin qui l’a traitée et qui « a évidemment refusé de l’opérer, vu son grand âge, puisque cela représente un certain nombre de risques », précise Merle. Mais « maman ne garde pas le lit en permanence, ajoute la fille de Gabrielle. Elle fait quelques pas, de temps à autre, histoire de se dégourdir les jambes et pour ne pas rester immobile. » Difficile, en effet, pour celle que tous connaissent par le surnom de Madame Gabrielle ou Madame Gaby de rester longtemps inactive…
Gabrielle Rose est « l’une des rares femmes à avoir eu la chance d’apprendre à lire et à écrire, durant son enfance. Elle avait été à l’école et y est restée jusqu’à la sixième. Ce qui est très conséquent, car la sixième, à cette époque, c’était comme avoir un niveau de School Certificate (SC) ! », témoignent Merle et Violet. Elles continuent : « De ce fait, maman est devenue très populaire durant les années 50, auprès des “femmes-pionniers”, surtout ! » Celles-ci voulant rester en contact avec leurs maris, qui avaient été envoyés en Palestine, où la conjoncture sociale était déjà difficile, en ce temps-là, faisaient appel à Gabrielle pour les aider. « Comme elles ne savaient ni lire ni écrire, elles venaient voir maman… » Gabrielle Rose prenait 25 sous par lettre rédigée.
Violet se souvient, qu’une fois, en rentrant de l’école, elle trouva « une interminable file d’attente devant notre maison ! » Une autre petite histoire qui la fait éclater de rires : « Enn fwa, mama ti pe demann madam ki ti vinn fer ekrir so let “Abe ki pou met dan let-la ?” Madam-la reflesi enn kou ek dir mama “dir li ti baba inn vini… ” Ce sont des épisodes de nos vies que nous n’allons jamais oublier ! »
Romans d’amour
Ce souvenir reste attaché à un autre, de la même trempe, poursuivent nos deux interlocutrices : « Maman a aidé beaucoup de gens de son époque à apprendre à lire et à écrire… » Anecdote pour le moins original, souligne Merle : « Maman a toujours eu un très gros faible pour les romans d’amour… Elle lisait beaucoup. Elle était abonnée à une bibliothèque dans le quartier et elle empruntait deux ou trois romans d’un coup. Elle dévorait littéralement ces livres. » Parmi ceux et celles à qui elle apprenait à lire et à écrire, Gabrielle Rose a utilisé comme « manuel d’apprentissage » ces romans d’amour…
De par le fait qu’elle savait lire et écrire, la centenaire de Rodrigues était également « très sollicitée et prisée lors des fêtes, anniversaires, baptêmes, réceptions… Tous faisaient appel à elle pour délivrer le discours de circonstance. » Gabrielle Rose, relèvent encore ses filles, « avait un coeur d’or. Elle partageait tout… Avec les femmes qui venaient pour qu’elle leur écrive les lettres à leur mari, si c’était l’heure du déjeuner, même s’il n’y avait pas assez pour tout le monde, elle en donnait un peu à chacune… »
Très active également sur le plan social et bénévole auprès de l’église, Gabrielle Rose chantait avec la chorale de son quartier, à Crève-Coeur. Et ce que n’oublieront jamais Merle et Violet, « c’est son cahier de chants ! Maman a un passe-temps très personnel : elle chante. Chaque jour, depuis toujours, elle prend son cahier où elle a précieusement et soigneusement copié les paroles de ses chansons préférées, dont Chi Chi ou Je t’aimerais toujours, et elle chante ! C’est un des secrets de sa vie… »
Même alitée depuis peu, aucun jour ne passe sans que Gabrielle ne prenne son fameux cahier et fasse résonner sa belle voix…
Ce lundi 27 janvier, ses proches et parents sont venus de divers coins du monde — Angleterre, Australie, France, notamment — pour être à ses côtés pour souffler ses 100 bougies.

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