Commémoration: 250e anniversaire du Cimetière de l’Ouest

(Adapté d’un texte de Philippe La Hausse de Lalouvière, qui est redevable à l’historienne Marina Carter pour la partie sur la missionnaire américaine Harriet Newell)
Cette année 2021 coïncide avec le 250e anniversaire de la création du Cimetière de l’Ouest, en 1771, par le gouverneur Desroches. Le récit suivant montre comment il s’y est pris dans un contexte vraiment explosif :
« Ce n’est que sous l’administration de M. Desroches que le Port-Louis commença à prendre quelque ressemblance avec la vague ébauche d’une ville ; il s’occupa tout d’abord de la voierie, les rues étaient étroites et tortueuses, il en fit rectifier l’alignement et leur donna partout une largeur uniforme de 36 pieds pour les artères principales et de 24 pieds pour celles où le trafic était moins considérable. Une cause d’insalubrité qu’il fallait à tout prix faire disparaître existait au centre même de la ville, à deux pas de l’Hôtel du gouvernement, c’était le cimetière de l’Enfoncement, situé là où se trouve actuellement le Jardin de la Compagnie. Depuis fort longtemps, l’administration avait pris la résolution de le déplacer et de l’établir tout-à-fait en dehors des limites urbaines, mais la difficulté de trouver un terrain convenable, la crainte d’encourir le mécontentement et l’opposition de la population, et surtout du clergé, car il fallait d’abord procéder à l’exhumation de corps récemment enterrés ; tout cela fut cause que le projet n’aboutit pas ; des préoccupations d’autre nature vinrent ensuite le faire perdre de vue.
1. Desroches lui, n’hésita pas ; il choisit un vaste terrain vague non loin du Fort Blanc, le même où se trouve actuellement le cimetière de l’Ouest, le fit défricher et entourer de raquettes ; et bien qu’à ce moment (décembre 1771) l’île fût ravagée par une épidémie de petite vérole, il n’en ordonna pas moins de commencer les exhumations et les fit hâter le plus qu’il put, sans vouloir prêter l’oreille aux protestations affolées de ceux qui trouvaient cette décision on ne peut plus dangereuse en un pareil moment ni aux récriminations de ceux qui criaient au scandale et à la profanation. On prétend que le curé de Port-Louis, l’abbé Pierre Léonard Leborgne, s’en laissa mourir de désespoir. Ce digne ecclésiastique échappa du moins par là à la contagion et put se consoler en songeant qu’il donnait une fois de plus le bon exemple à ses ouailles. Les faits prouvèrent qu’il portait un nom prédestiné, car il n’y vit pas plus clair que les antres en cette occasion. L’épidémie n’augmenta pas pour cela, grâce aux précautions prises. » (Albert Pitot, Esquisses historiques)
Le comité de Sauvegarde du Cimetière de l’Ouest en action
Donc, la nécropole à l’ouest de la ville est aujourd’hui, par extension, la plus ancienne toujours en fonction, et est aussi la plus vaste de l’île. Dans le cadre du 250e anniversaire du cimetière, le comité de Sauvegarde du Cimetière de l’Ouest a voulu mettre en valeur les hommes et les femmes enterrés ici, qui ont consacré leurs talents et leur vie aux autres. Ceux et celles qui, de par leur conviction spirituelle, ont soutenu les faibles, les pauvres et ceux qui avait besoin d’aide ; les prêtres, les missionnaires et les religieuses.
À l’entrée du cimetière, le monument funéraire du révérend Jean Lebrun, missionnaire de la London Missionary Society (voir Dictionnaire de Biographie Mauricienne). De côté opposé dans le cimetière se trouvent le tombeau de Jean Lebrun et le monument érigé par la communauté chinoise de l’île Maurice, à la mémoire d’Émilie Raynaud, plus connue sous le nom de Mère Barthélemy (voir Dictionnaire de Biographie Mauricienne). Ces deux monuments — Lebrun & Barthélemy — sont reconnus comme patrimoine national et protégés par la loi. Il y a un autre missionnaire pour lequel les citoyens ont contribué après sa mort, pour élever un monument en reconnaissance, c’est le révérend Sommuel Rock (voir Dictionnaire de Biographie Mauricienne).
Les trois prêtres catholiques enterrés dans l’ancienne section du cimetière sont :
Le Père Vincent Dumas, né à Versailles et décédé en 1846 à l’âge de 38 ans. Son épitaphe souligne l’appréciation de ses paroissiens ;
Le Père Lawrence Conran, né en Irlande en 1826 et mort à Maurice en 1853 — que 27 ans ! La pierre tombale de ce jeune prêtre qui a exercé sa mission pour un an seulement est gravée en latin, et a été érigéde par l’évêque et le clergé diocésain de Port-Louis ;
L’abbé Barthélemy Lombardi, natif de Corse et mort en 1844. Assistant de Père Désiré Laval, il passa quelque temps à l’île de La Réunion avant de débarquer à Maurice.
Le clergé catholique entre la Révolution et la mi-19e siècle
Après la Révolution française, et pendant les premières décennies du 19e siècle, il y avait peu de prêtres sur l’île. « Au point de vue religieux, pour longtemps, rien ne put être entrepris. La Révolution et ses suites dispersèrent graduellement le clergé et en tarirent le recrutement. Alors qu’en 1789 treize prêtres exerçaient le ministère auprès des 45 000 habitants, au début de 1809, il n’y en avait que cinq pour environ 73 000 âmes. Grâce à la bienveillance du général Decaen, la situation s’améliora quelque peu, mais pendant trente ans, le nombre total des ecclésiastiques oscilla en moyenne entre neuf et dix. En 1841, Mgr Collier en trouva huit. À la fin de 1841, il n’en demeura que six, en octobre 1842 trois seulement. Le prélat n’avait que le père Laval, l’abbé Larkan, dom Giles o.s.b., arrivés en même temps que lui, et l’abbé Lombardi, venu de Bourbon à la fin de 1841 et qui allait mourir dans les derniers mois de 1844. Avec ses quatre-vingt-dix mille catholiques et ses cinq paroisses, l’île s’y voyait réduite à sept pasteurs. Pour compléter ces cinq vides, le prélat n’avait que le père Laval, affecté aux affranchis, principalement dans la capitale, l’abbé Corr, curé de Saint-Louis, avec dom Giles et l’abbé Lombardi comme assistants, l’abbé Larkan, curé de Notre-Dame du Grand-Port, dom de Colyar o.s.b., curé de Saint-François-d’Assise de Pamplemousses, dom Spain o.s.b., curé de Saint-Julien de Flacq. Monseigneur Collier résolut de procéder lui-même personnellement à cette sélection. Il se mit en route pour l’Europe le 25 septembre 1843 et il revint le 8 septembre 1845. Il avait fait huit recrues : l’abbé Masuy et l’abbé Eggermont, Belges, l’abbé O’Brien, l’abbé Mc Gauran, l’abbé O’Dwyer, l’abbé Gosford, l’abbé Hogan et l’abbé Commerford, tous Irlandais » (Extraits des archives de l’Évêché de Port-Louis).
La missionnaire Harriet Newell meurt à 19 ans
Finalement, la missionnaire Harriet Newell (voir Dictionnaire de Biographie Mauricienne), qui meurt au jeune âge de 19 ans seulement.
•Née le 10 octobre 1793 dans le Massachusetts, USA
•Épouse Samuel Newell en février 1812
•Partie en Inde sur le premier vaisseau missionnaire américain d’outre-mer
•Expulsée d’Inde en juin 1812
•A donné naissance à une fille qui est décédée sur le trajet vers l’île Maurice
•A contracté la tuberculose en Inde et est morte un mois après son arrivée à Maurice le 30 novembre 1812 à l’âge de 19 ans
•En 1814, Samuel s’arrange pour que les mémoires soient publiées. Les mémoires se sont avérées populaires et un héritage durable.
Harriett était le troisième enfant de Moïse et Mary Atwood. Moïse était un marchand à Haverhill, Massachusetts. Née à Crescent Place (aujourd’hui Winter Street), elle a fait ses études à la Bradford Academy, où elle est devenue amie avec Ann Haseltine. Les deux allaient être influencées par les enseignements chrétiens et deviendraient ensuite missionnaires.
En février 1812, Harriett épousa le révérend Samuel Newell, tandis qu’Ann épousa le révérend Adoniram Judson. Les deux maris étaient fondateurs de l’American Board of Commissioners for Foreign Missions.
Embarquement à Salem pour l’Inde
Le 19 février 1812, ils quittent le port de Salem pour l’Inde, sur le premier missionnaire étranger américain. Le brick Caravan a mis 114 jours pour atteindre l’Inde. Harriett décrit le long voyage. Les premières semaines étaient faites de mal de mer, d’humidité et de saleté dans un navire qui fuit. Elle s’occupe de son mari qui souffrait de dysenterie. Le régime de gruau dans l’eau, les biscuits et la viande, et ses promenades sur le pont trois fois par jour. Elle décrit les poissons volants, le marsouin et les requins traversant l’équateur le 18 mars 1812, puis le froid comme ils ont arrondi le cap avant de finalement observer la côte d’Orissa comme ils approchaient de Calcutta. « La vue du beau pays, après que nous soyons entrés dans la rivière Hoogly, était belle au-delà de la description. »
Harriett arriva à Calcutta le 18 juin 1812 après quatre mois en mer, et une semaine plus tard écrivit à son frère décrivant l’agitation, les vues et les sons de Calcutta. Après un retard de deux jours à bord de la « aavan », elle est allée par palanquin à la maison du Dr Carey. De là, elle visita les écoles missionnaires baptistes à Calcutta, et à Serampore à une quinzaine de kilomètres de Calcutta. Harriet visitait les temples et regardait les gens se baigner dans le Gange. Elle était fascinée par la végétation et les arbres, les « centaines de chalets Hindoo, qui ressemblaient à des piles de foin. » Malgré l’inquiétude que suscite « la Compagnie anglaise des Indes orientales violemment opposée aux missions », Harriet devait écrire « Je suis beaucoup plus heureuse que je ne m’y attendais jamais. »
Le 16 juillet, un peu moins d’un mois après son arrivée, Harriett écrivait dans son journal : « Comment les voies sombres et complexes sont les voies de la Providence ! Le gouvernement nous ordonne de quitter les territoires britanniques et de retourner immédiatement en Amérique. » Pour faire respecter l’ordre, le capitaine du navire sur lequel ils sont arrivés « a demandé l’autorisation (de partir), mais on la lui a absolument refusée, à moins que nous ne nous engagions à quitter l’Inde avec lui. »
Autorisés à mettre le cap sur l’Isle de France
Dans son journal du 28 juillet, Newell indique que « nous avons obtenu de la Compagnie des Indes orientales la liberté d’aller à l’île de France », et que « le navire y mettrait le cap samedi prochain sous le commandement du capitaine Chimminant, un homme sérieux. » Harriett explique que « nous avons appris que le gouverneur anglais (Sir Robert Farquhar) favorisait les missions. » Le lendemain, le capitaine accepte de prendre Harriett et Samuel pour Rs 600, et le lendemain « Est allé à bord du navire ; bien satisfait de l’hébergement, notre couchette est sur le pont un endroit frais. Le 31 juillet 1812, ils partent pour l’île Maurice. »
En raison des conditions météorologiques et d’une fuite du bateau, le voyage qui devait initialement durer trois semaines a duré trois mois. Le jour où elle a quitté l’Inde, Harriett a écrit à sa mère : « Ma santé est excellente, je ne me suis jamais sentie aussi bien en Amérique », et que « je commencerai à étudier la langue française. » Les mémoires publiées sont alors silencieuses jusqu’à ce qu’une lettre de Samuel Newell à la mère de Harriet datée du 10 décembre 1812, date à laquelle il révèle les événements tragiques qui ont suivi : « Harriet, ta belle fille, est partie »
Harriett et Samuel avaient finalement quitté Calcutta le 4 août. Le vent et le mauvais temps dans le golfe du Bengale ont forcé le navire qui fuyait à accoster pour des réparations à Coringa sur la côte de Coromandel le 5 septembre. Le 19 septembre, ils se sont de nouveau embarqués pour l’île Maurice. Harriett se plaignait de douleurs à l’estomac le 1er août et, le 10 octobre, Harriett donna naissance à un bébé prématuré, une fille. L’enfant devait mourir cinq jours plus tard « À la suite d’une violente tempête de vent et de pluie, l’enfant a pris froid et est mort dans la soirée du lendemain. » Une semaine plus tard, Harriett donnait des signes de consommation (tuberculose).
Harriett était dans un état critique lorsqu’elle débarqua à Maurice le 31 octobre 1802. Le Dr Burke, chirurgien en chef de l’armée britannique, et le Dr Waller, un médecin danois, ont pris soin d’elle. Le 30 novembre 1812, trois semaines après son arrivée à Maurice, Harriet Newell mourut à l’âge de 19 ans. Elle est enterrée au Cimetière de l’Ouest de Port-Louis.
Les mots de la fin
Le Cimetière de l’Ouest contient les tombeaux des dizaines de milliers de défunts qui sont des ancêtres de probablement deux-tiers de la population aujourd’hui vivant à Maurice. Ce patrimoine est précieux et les sépultures sont d’une grande valeur, et méritent d’être sauvegardées, pas seulement en respect de nos ancêtres, mais en termes de respect pour nos racines. La mixité des origines ; Corse et Canada, États-Unis et Exeter, Pondichéry et Portugal, Chandernagor et la Ciotat… une Suissesse à côté d’un Français, un pêcheur enterré à quelques mètres d’un scientifique, les tailleurs de pierre, les commerçants, les gouverneurs et les entrepreneurs… ce sont les racines de notre pays moderne ; homogène dans son humanité malgré sa diversité. Et les prêtres, missionnaires et religieuses sont une partie importante de ce passé.
Le comité de Sauvegarde du Cimetière de l’Ouest remercie les bénévoles qui ont contribué grandement à la préservation de ce mémoire. Surtout Mmes Rault et Martial-Craig de l’Évêché, James Lee Fye, le Groupe Eclosia, l’ambassade de France, les compagnies Scott, Hardy-Henry, Currimjee, General Construction et Joonas, et les partenaires, particulièrement la Société de l’Histoire de l’île Maurice, le Cercle Généalogique de Maurice-Réunion, la municipalité de Port-Louis et Friends of the Environment. Toute donation sera très appréciée, à travers www.cimetiere.mu

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